Par Naoufel Brahimi El Mili A tout instant, il se passe quelque chose. Telle était la réclame d'une grande enseigne commerciale parisienne. C'est encore plus vrai sur cette planète, village mondialisé. Terrorisme, un roi saoudien meurt, l'Algérie en deuil, la Coupe d'Afrique des nations, le nouveau pouvoir grec élu démocratiquement qui renégocie sa dette en menaçant l'euro, voire l'Union européenne. Les événements se succèdent et influent peu ou prou sur notre destin sinon notre quotidien. Le monde bouge. L'Algérie aussi, indépendamment des mouvements mesurés sur l'échelle de Richter. Pour ma part, j'essaye de me tenir informé notamment, pour des raisons conjoncturelles, en regardant le journal télévisé sur une chaîne algérienne. Ouverture des informations du 20 heures : Ali Haddad, président du FCE, reçoit le ministre des Industries et des Mines. Ou bien l'inverse ? Tout comme les délégations algériennes à l'étranger dirigées protocolairement par le Premier ministre mais opérationnellement par Citizen Haddad. Toujours est-il que le ton du «patron des patrons» se veut être celui de la puissance invitante. Il semble donner la feuille de route au gouvernement, de quoi occuper le prochain et hypothétique Conseil des ministres. Ouverture de l'espace aérien, question de soulager un grand nombre de passagers algériens, ceux qui ne passent pas par le salon d'honneur. Traitement radical du foncier afin de démocratiser les prête-noms, nouveau groupe social. Création de quatre grands pôles de zones industrielles : à l'Est, à l'Ouest au Nord et surtout au Sud. Ce Sud tumultueux, tenu à l'écart de la distribution de la rente avec de graves incidents, notamment à Ghardaïa et à In Salah. Plusieurs morts plus tard, le problème n'est pas résolu. Monsieur le président... du FCE apporte enfin son remède. Le secteur privé peut investir et développer cette région en créant des emplois à condition d'avoir les mains libres. Oui le patronat algérien promet de réussir là où l'Etat a échoué. Doit-on en conclure que le FCE est un agrégat d'entrepreneurs schumpetériens ? Pas du tout. Nous assistons à la mainmise progressive d'une oligarchie sur l'économie nationale. Ici n'est pas le lieu de relayer les rumeurs faisant état de nominations de ministres par le président du FCE. Constatons cependant un changement radical. Avant, pour faire des affaires, l'appui du politique, voire du militaire était indispensable. Maintenant, c'est l'inverse. Le monde des affaires finance des élections, fait élire des politiques avec un bon retour sur investissement. Le renversement de ce rapport de force confirme l'émergence d'une oligarchie, et ce, dans un contexte de double opacité : politique et économique. L'Algérie n'est pas le seul pays à connaître ce phénomène. La Russie de Boris Eltsine en était un exemple fort illustratif. Vladimir Poutine y a mis un terme. Cuba est aussi assujettie à cette menace. A La Havane, deux frères se sont succédé à la présidence. Cependant, Raoul Castro tient sa légitimité non pas du lien du sang mais comme compagnon d'armes. Il faisait partie des deux cents «barbus» qui ont descendu la Sierra Maestria pour chasser Fulgencio Batista du pouvoir. Raoul Castro dirige le pays depuis 2006, date à laquelle son frère Fidel a jugé que son état de santé ne lui permettait pas d'assumer cette lourde tâche. Pour rappel, Fidel Castro a toujours été soigné dans son pays. La principale mission de Raoul Castro est de prévenir l'apparition de toute oligarchie ou groupe social menaçant la cohésion nationale. D'une manière pragmatique, le Président cubain limite le pillage en plafonnant à cinq ans maximum tout poste de responsabilité politique, économique ou militaire. Ces responsables ont le temps de s'enrichir mais pas assez pour constituer une oligarchie. Bien sûr, Cuba n'est pas le pays de lait et de miel, son économie est pauvre mais assure une redistribution à minima. Revenons à l'Algérie, pays riche mais non prospère. Le Sud n'est riche que par son sous-sol. La population se sent délaissée. Les frontières sont tumultueuses. Oui, le Sud est le ventre mou de l'Algérie. Cette région riche que la France n'a pu conserver malgré son insistance lors des négociations d'Evian. Est-ce un hasard que l'oligarchie algérienne veuille prendre en charge cet immense territoire ? Amar Saâdani, secrétaire général du FLN, plaide pour un rôle accru du secteur privé dans cette région alors que la doctrine de l'ex-parti unique a toujours été loin de tout libéralisme effréné. Selon ce secrétaire général, la France a donné l'indépendance à l'Algérie. Cette France généreuse a aussi donné des titres de séjour.