Par Kader Bakou Pour aller au boulot, il est obligé de prendre le taxi. Au début, il pensait que c'était une bonne occasion de fréquenter «le peuple», toujours bon, selon les politiciens. Mais il a dû vite déchanter. A Alger, le «taxieur» est un grand bavard qui ne respecte que rarement le droit au silence du client, roi sous d'autres cieux. A Alger, tous les «taxieurs» pratiquent le «jumelage», c'est-à-dire prendre plusieurs clients pour la même destination. La plupart des passagers considèrent le taxi comme une tribune leur permettant de déverser leur trop-plein de frustrations et d'agressivité. Les plus enragés sont paradoxalement les plus âgés. Ils ne parlent que de politique et de religion et parfois de foot, les lendemains des matchs de l'équipe nationale. Les «vieux», qui semblent avoir oublié qu'ils ont eux aussi été jeunes, font toujours remarquer que «l'Etat» récupère «politiquement» les victoires de l'équipe nationale de football. Tous savent tout et jugent tout le monde. Personne ne parle de littérature, de cinéma, de théâtre, de musique ou des autres arts, eux aussi, selon les «vieux», des moyens pour détourner le peuple de réfléchir à ses problèmes. Le taxieur algérois n'a pas honte de faire ce que cinq minutes auparavant il avait reproché à un autre automobiliste. Lui aussi c'est un hargneux à la colère et au klaxon faciles. Il est tout le temps aux aguets à la recherche d'un client pressé pour aller à l'aéroport ou à la gare routière du Caroubier, par exemple. Si par hasard il le trouve, il n'a pas honte de multiplier par dix «el coursa» après avoir éteint le compteur. Comme tous les autres gens dans d'autres métiers et corporations, le «taxieur» algérois se plaint tout le temps de la «rareté» des clients ces derniers temps. Les «taxieurs» algérois ont perdu cette semaine un autre client en la personne du bonhomme obligé de prendre un taxi pour aller au boulot. Maintenant, il fait quotidiennement cinq kilomètres à pied pour aller au boulot, juste pour ne pas entendre les blablas des «taxieurs» et des autres clients que les chauffeurs de taxi lui imposent. K. B.