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C'est ma vie
La rançon du mépris (2e partie et fin)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 14 - 02 - 2015

Lisa est un diamant aux couleurs vermeil que la vie a eu l'audacieuse idée de donner à un vieux couple de paysans montagnards vivant les affres de la pauvreté. Venue sur le tard fermer la liste d'une longue fratrie moins nantie qu'elle sur la ligne de la beauté, elle braque sur elle tous les regards. Adulée par ses parents, elle n'en faisait qu'à sa guise. Et de caprice en caprice, elle payera plus tard chèrement son outrecuidance.
Au début, Lisa lui avait donné l'impression de l'aimer pour ce qu'il était et non pour ce qu'il possédait. L'été approche et avec lui la date du mariage fixée depuis un an. Il était prévu un mois après la soutenance de Lisa obtenue haut la main. Débarrassée des soucis matériels, elle n'avait qu'à se consacrer à ses études. Djamel, qui avait longtemps rangé son amour-propre en fermant les yeux sur bon nombre de situations incongrues auxquelles elle l'avait habitué, capricieuse et à la limite insolente, devint soudain vindicatif. Derrière ce sursaut d'orgueil, des appels anonymes, des voix féminines qui lui expliquèrent que Lisa ne l'aimait pas et qu'elle n'était en fait attirée que par sa situation matérielle. D'abord méfiant à l'égard de ces appels qu'il avait d'abord mis sur le compte des médisances, il sortit de ses gonds lorsque ces voix firent le lien avec «sa situation d'illettré» qui complexerait sa future aux yeux de ses amis et du cercle de ses relations. C'en était trop.
Le jeune homme qui se refugia dans l'alcool pour noyer son chagrin ne se remit jamais de cette insinuation qui lui fit plus mal que celle de «l'appât matériel».
Il avait beau médire les appels inconnus mais la vérité sautait à ses yeux. Depuis quelques mois, il ne retrouvait plus cette flamme qui habitait d'ordinaire les yeux de sa fiancée dont il comprenait maintenant le peu d'engouement qu'elle montrait à chacune de leurs rencontres.
Il se remémore maintenant la gêne qu'elle avait à lui présenter ses amies et la terreur qui s'est emparée d'elle à l'anniversaire de sa copine lorsqu'il avait employé malencontreusement une formule de politesse en langue française. Il comprit soudain les fou-rires engendrés par sa déconvenue verbale et la colère qui avait envahi sa fiancée morte de honte. Djamel n'était certes pas instruit, mais il était loin d'être bête. Sa fulgurante réussite sociale en est la preuve. Il ne collectionnait bien sûr pas les expressions savantes ni le jargon intellectuel mais ses propos étaient d'une déroutante cohérence.
Sûr désormais qu'aucune vie n'était possible avec Lisa à laquelle il faisait honte tout simplement parce qu'il n'avait pas de diplômes, lui qui s'est en plus affirmé comme un redoutable homme d'affaires, il décida de prendre sa petite revanche sur le sort. Il fit mine de ne s'apercevoir de rien et continua de jouer la comédie de l'homme définitivement épris et amoureux envers et contre tout. Lisa continua son manège, multipliant les caprices et les turpitudes auxquels elle l'avait habitué depuis quelque temps. La générosité de Djamel envers sa future belle-famille s'étiola bien que les parents de Lisa lui témoignaient toujours respect et déférence devant sa bonté et sa magnanimité. N'avaient-ils pas souvent prévenu leur fille quant à d'éventuels dérapages envers celui qu'ils considéraient comme leur propre fils ?
Le peu de doute qui lui restait quant à la sincérité de sa future femme et à la véracité des faits qui lui ont été rapportés par le mystérieux «corbeau» fut balayé d'un revers de la main lorsqu'un de ses amis proches lui confirmera la nouvelle recoupée auprès de l'une de ses amies qui lui raconta le dépit de Lisa face à son «inculture». Cette dernière continua à se jouer des sentiments de Djamel ou, du moins, le croyait-elle. Elle multiplia les extravagances et les exigences à l'approche de la date de son mariage. A la proposition de passer la lune de miel en Tunisie, elle préféra un séjour en Espagne n'était le problème de visa. «Pourquoi pas à Venise sur les rives de la mer adriatique, ses monuments et ses hôtels? ironisa Djamel. Je suis prêt à tout pour te prouver mon grand amour.»
Une subtilité que la fille ne saisit point. Chose à laquelle sourit intérieurement Djamel, soudain ravi que la fille dont le cœur s'est subitement transformé en portefeuille était loin de cette culture dont elle se prévalait, elle qui appréhendait les réunions mondaines en sa présence.
isa attendit donc avec impatience le mariage mais pour des raisons qui n'avaient rien à voir avec l'amour et la vie commune pour le meilleur et pour le pire. Dans sa petite tête de fille vite arrivée, elle échafauda des plans pour délester de sa fortune son mari au moment voulu, aidée en cela par sa connaissance des lois. Une façon pour elle aussi d'en mettre plein la vue à ses détractrices, pensait-elle, tout en tremblant à l'idée de partager toute sa vie «avec un homme qui a une banque à la place d'un cerveau». Djamel ne perdit pas son temps. Durant sa période de fiançailles, il remarqua Lila parmi le groupe d'étudiantes de l'université que fréquentait Lisa. Lila, qui est vite subjuguée par ce jeune homme ambitieux, tomba vite sous son charme. Et la relation amicale née d'un échange de simples regards, jusque-là tue par décence et loyauté envers Lisa, prit alors des allures folles. Convaincus que l'amour n'est que le roman d'un cœur, ils y mirent du leur avec une intensité telle que tout s'est vite décidé entre eux. Lila ne posa aucune question sur sa relation avec Lisa.
Comme si elle savait tout. Djamel, qui n'était d'habitude pas du genre revanchard, s'est senti brimé et humilié. Il n'alla pas voir Lisa pour lui annoncer que leur mariage était annulé. Ce serait trop chevaleresque comme démarche, pensait-il. I
l opta pour une autre voie. Et seuls quelques confidents furent mis au parfum. Et c'est ainsi qu'un jour, Lisa reçut un avis de lettre recommandée. Elle était invitée à se présenter à la poste pour retirer un envoi. Intriguée, elle se présenta tôt à la poste de son village. C'était une invitation à un mariage. Elle l'ouvrit en souriant pour savoir qui de ses amis lui faisait la surprise d'une invitation à une fête.
A la lecture de l'invitation, elle s'évanouit. Sa copine Warda qui l'accompagnait comprit vite pourquoi son amie a perdu connaissance en lisant le dépliant sur lequel était écrit en lettres dorées que Djamel et Lila lui faisaient l'honneur d'honorer de sa présence la cérémonie de leur mariage qui aura lieu le jour même où elle était censée se marier avec Djamel.


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