Comment oublier ce jour du lundi 27 févier 1995, 27e jour du mois de Ramadhan et par un temps maussade, quand six terroristes nous attendaient, mon épouse et moi, au sortir de chez nous à Birkhadem pour nous ôter la vie ? Comment oublier ce terroriste accompagnant son acte ignoble d'un sourire narquois, attrapant ma femme par les cheveux et criant «Allah Akbar !» au moment de lui tirer trois balles en plein cœur? Comment oublier son agonie au cours de son transfert à l'hôpital ? Comment oublier le terrible choc subi par mes enfants alors âgés de 12 et 8 ans, en apprenant l'assassinat de leur mère ? Comment oublier les années qui ont suivi notre drame personnel et durant lesquelles chaque jour et chaque nuit des populations civiles démunies et habitants des hameaux isolés étaient égorgées ou massacrées à la hache ? Comment oublier cette longue période d'angoisse quand chaque jour qui passait était une victoire contre la mort ? Comment oublier ces trois enfants en bas âge baignant jusqu'au matin dans la mare de sang de leurs parents égorgés durant une nuit de 1996 sous leurs yeux, à Sidi El Kebir, sur les hauteurs de Blida ? Comment oublier le chagrin et la souffrance de Khalti Houria décédée il y a deux mois et dont la fille, la belle Amel, étudiante en droit, a été arrachée en 1996 d'un bus qui la transportait à l'université pour être égorgée ? Comment oublier Khalti Aïcha de Bouinan (Blida) que des monstres hirsutes ont obligée à assister au supplice de ses trois fils égorgés l'un après l'autre sous ses yeux révulsés ? Comment oublier le calvaire de ce vieux moudjahid, Ammi Ali, dont les trois filles ont été violées en sa présence par une quinzaine de barbus et qui s'est enfermé dans un mutisme absolu jusqu'à sa mort en 2007? Comment oublier les centaines de journalistes, intellectuels, hommes de culte et femmes côtoyés tout au long de ces années de larmes et de sang et assassinés pour leurs idées? Comment oublier ces années de terreur et de haine ? Comment oublier l'indifférence et l'ostracisme dont ont fait montre à notre égard durant cette période les pays démocratiques qui, aujourd'hui, sont confrontés à la même barbarie ? Comment oublier les 200 000 victimes algériennes de cette barbarie dont les commanditaires ont bénéficié de lois scélérates d'amnistie ? Comment ferez-vous face à Dieu au jour du jugement dernier, que direz-vous, vous autres assassins et ceux qui vous ont absous à notre place, en notre nom ? Que dira de vous l'Histoire ? Quel exemple croyez-vous avoir laissé aux générations à venir ? Que peut être l'avenir de cette nation avec ces crimes impunis et les âmes des vivants criant justice ?