Par Naoufel Brahimi El Mili. Une station balnéaire transformée, le temps d'un week-end, en capitale du monde arabe. A Charm El-Cheikh, s'est tenue l'assemblée de la Ligue arabe avec un ordre du jour particulièrement chargé. En effet, les sujets de préoccupation ne manquent pas. En premier, la situation au Yémen, ensuite, la Syrie, la Libye, le Sud-Soudan, le terrorisme. Cependant, aucune condamnation claire et explicite contre l'AQPI (Al-Qaïda dans la péninsule Arabique). Pourtant, des responsables arabes, à l'instar du roi de Jordanie, ont défilé à Paris le 11 janvier dernier, journée de «Charlie». Il est à préciser que l'attentat contre Charlie Hebdo a été commandité par cette même AQPI. Amnésie ? Non, pas du tout. Au Yémen, cette organisation terroriste combat les Houtis ennemis des Saoudiens. A la tête d'une coalition de dix pays arabes, Riyadh mène une guerre au Yémen sans l'aval de l'ONU mais avec le soutien opérationnel des Américains. Le secrétaire général de l'ONU appelle à une résolution pacifique du conflit, autant dire qu'il prêche dans le désert. Ce désert sur lequel s'abat une nouvelle tempête meurtrière. Plus important que l'ONU, le président russe a demandé aux pays arabes de régler les problèmes d'une manière pacifique et sans avoir recours à une intervention étrangère. «Tempête décisive», c'est le nom de l'opération militaire de grande envergure que mène l'armée saoudienne au Yémen. Pas moins de 150 000 soldats sont mobilisés avec un objectif clair : exterminer les milices houtistes par des bombardements intensifs. Une vingtaine de F16 assurent ce «carpet bombing» à travers d'incessantes rotations. Officiellement, ce n'est pas une guerre, il s'agit de rétablir l'ordre dans la seule république de la péninsule Arabique. Officiellement aussi, ce n'est pas une agression étrangère puisque l'aide saoudienne a été sollicitée par le président du Yémen, moyennement légitimé mais surtout en fuite. Le but est surtout de neutraliser la menace chiite. Le discours du roi d'Arabie Saoudite devant l'assemblée de la Ligue arabe n'est pas sans rappeler celui de Kadhafi qui promettait d'exterminer ses opposants «rue par rue, maison par maison... (zengua , zenga)», avec le succès que l'on sait. Le Royaume tremble, le nouveau roi doit affirmer son autorité devant la progression des Houtis qui ont atteint les rives de la mer Rouge. Entre la maison Saoud et le Yémen, le contentieux est lourd et compliqué. Sur son lit de mort, Abdelaziz Ibn Saoud, le père fondateur, a livré son testament : «Le bonheur du royaume réside dans le malheur du Yémen». Dès 1962, date de la première guerre civile yéménite, l'Arabie Saoudite s'était alliée à l'Imam El-Badr, pourtant Zaydite (branche chiite), déposé par un coup d'Etat fomenté au Caire. Ce face-à-face, Riyadh-Le Caire, dura presque dix ans et divisa le Yémen en deux. Aujourd'hui l'Egypte est aux côtés des Saoudiens pour combattre les Houtis, issus du courant religieux zaydite. La situation est explosive surtout que pour l'Arabie Saoudite la menace est essentiellement Chiite. Or, les deux tiers de la population yéménite est issue de diverses factions shiites. L'Orient compliqué, dites-vous ? Ce n'est pas nouveau. Déjà en 2004, la région de Saada s'est rebellée contre le pouvoir central ,jugé trop pro-américain peut-être, mais qui a surtout marginalisé sa population. Territoire traditionnel de l'imamat, situé au nord du Yémen, Saâda est le fief de la rébellion houtie. L'intervention de l'armée saoudienne, en 2009, aux côtés des troupes d'Ali Abdallah Saleh a mis fin à ce conflit au début de l'année dernière mais qui compte sur la durée plus de 10 000 morts côté yéménite et 130 soldats saoudiens tués. Le conflit incessant au Yémen a, certes, des motifs religieux mais il ne faut pas oublier la marginalisation qui frappe particulièrement les Houtis tant du champ politique que des sphères économiques. Le Yémen est une poudrière, sa population est la plus élevée de la péninsule Arabique, avec plus de 26 millions d'habitants. Aussi le fort taux de fécondité (4,4 enfants par femme) laisse présager un avenir sombre pour ce pays pauvre qui ne produit que 120 000 barils/jour de pétrole brut. L'opération «Tempête décisive» va encore appauvrir ce pays dont les côtes contrôlent en grande partie l'accès au canal de Suez. Les enjeux sont aussi géopolitiques. La neutralité du sultanat d'Oman inquiète les Saoudiens. Le sultan Qabus, dont le quart de la population est chiite, a catégoriquement refusé de se joindre, même symboliquement, à la coalition militaire dirigée par Riyadh. Ce sultanat contrôle avec l'Iran le détroit d'Ormuz par lequel transite le quart de l'offre mondiale d'hydrocarbures. Les enjeux sont de taille : globalement, la région renferme le tiers des réserves mondiales d'hydrocarbures. L'Arabie Saoudite doit gérer une bizarrerie géologique : sur les sols pétrolifères vivent majoritairement des chiites alors que ces riches régions sont gouvernées par des sunnites. Ces mêmes sunnites qui, à l'issue de l'assemblée de la Ligue arabe, ont décidé de créer une sorte d'Otan arabe, question de légitimer et d'inscrire dans la durée la coalition militaire qui aujourd'hui bombarde le Yémen et demain peut-être la Libye. La Syrie, la véritable Otan s'en occupe déjà. Une Otan arabe, dans ces conditions ne peut être qu'un front sunnite. La guerre intra-musulmans serait assurée. Attendons cette nouvelle armée arabe qui ne peut être qu'hétéroclite et incomplète (l'Algérie n'en fera pas partie). Jusqu'à maintenant, les armées arabes sont plutôt spécialisées dans les coups d'Etat ou et autres coups tordus tels que mater des manifestants. Comment pourra-t-elle assurer la paix dans la région ? Surtout que l'Iran risque de s'impliquer plus virilement, une fois qu'un accord sur son nucléaire sera peut-être finalisé la fin de juin prochain. Quelle que soit l'issue des négociations de Lausanne entre les Etats-Unis et l'Iran, Téhéran est plus que jamais déterminé à renforcer son leadership sur le monde chiite. Il est clair que la solution ne peut jamais être militaire. Le cocktail religion et pétrole peut conduire à une intervention militaire en guerre plus globale. L'ONU, la Russie, l'Union européenne appellent au dialogue entre les différentes parties. La neutralité omanaise est un atout car Mascate pourrait accueillir une conférence internationale d'où l'Iran ne devra pas être exclu si l'objectif est une solution durable. Il ne faut pas oublier qu'au Yémen, la paix est le temps qui sépare deux guerres.