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Le risque, la peur et le progrès
Publié dans Le Soir d'Algérie le 15 - 04 - 2015

Aujourd'hui le monde semble évoluer dans un contexte de plus en plus risqué. Partout, dans les médias, les conférences scientifiques, les discours politiques, les prévisions économiques, le risque occupe une place de plus en plus large : risques naturels, écologiques, industriels, sanitaires et aussi sociaux. Tout évènement, toute action, toute découverte, sont aujourd'hui pensés et ressentis comme porteurs d'un risque potentiel et une menace qui réclame protection, voire réparation.
Cette prolifération des risques renvoie vers une peur, supposée positive, qui marque les sociétés modernes de par le monde. La fin du XXe siècle et le début de ce XXIe ont connu une recrudescence des peurs comme l'histoire de l'humanité n'en a pas connu depuis son affranchissement de ses angoisses par la révolution de la science moderne. Les individus, les sociétés civiles, les Etats, les nations, sont désormais en droit de déclarer leurs peurs. Nous avons désormais des peurs anciennes qui reviennent : peur des catastrophes naturelles, de l'épuisement des ressources, de la grippe... mais également des peurs nouvelles : peur des OGM, du nucléaire, des nanotechnologies, des pesticides, des accidents routiers, des craches d'avions, des vaccins, du progrès de la robotisation, du gaz de schiste, de la pollution généralisée... et à cela viennent s'ajouter, si ce n'est aggraver les peurs sociales : peur des crises économiques, de la recrudescence de la violence, du dumping social, et bien d'autres choses.
Dans ce contexte de multiplication des sources du risque, il advient que toutes les peurs aujourd'hui se valent. Nous sommes autant en droit de rejeter la recherche en nanosciences de peur que la technicité n'échappe à la maîtrise de l'homme, que de réclamer des constructions normalisées de peur des secousses sismiques, ou de dénoncer des mesures de mise en concurrence au sein des entreprises de peur de l'installation d'une précarité du travail.
Alors que certaines peurs sont positives et conduisent incontestablement vers une prise de conscience sur des questions de bien-être social et individuel, d'autres sont toutefois à remettre en cause et à prendre avec réserve.
En effet, en réponse à cet accroissement des peurs, se développent des systèmes de protection toujours plus élaborés et plus contraignants. Le risque fait peur, la précaution est donc de mise. Le principe de précaution est désormais institutionnalisé. Mais quelle analyse sommes-nous appelés à faire de cet état des choses ? Sommes-nous en droit d'avoir peur, ou du moins en droit de le déclarer et de le justifier ? Jusqu'où peut-on aller dans la protection et le principe du risque zéro ?
La peur est aussi ancienne que l'humanité. Elle est partie intégrante de l'individu. Elle est même, et à bien des égards, un élément salvateur. Si on n'avait pas peur d'une voiture qui arrive à toute vitesse, on verrait les piétons défier les automobilistes sur les voies routières, et on ne compterait plus le nombre de décès. Si on n'avait pas peur de l'échec, on ne verrait pas les jeunes redoubler d'efforts pour obtenir leurs diplômes.
D'un autre côté, et d'un point de vue philosophique, on estime que la peur est ce qui égare le jugement. Elle est qualifiée par Spinoza d'une passion triste. D'un point de vue managérial, elle est décrite comme un élément paralysant l'individu, handicapant son activité au sein de la société, en l'accrochant avec nostalgie au passé, sans perspective d'évolution. L'enchaînement qui se profile est alors le suivant : la culture du risque s'installe, la peur du risque prolifère, sa prolifération conduit à la mise en place de systèmes de protection, qui mènent progressivement à une déresponsabilisation de l'individu. Il se transforme petit à petit en assisté, désemparé et prisonnier de ses phobies. Ainsi naissent une plèbe apeurée accrochée à des avantages acquis et une aristocratie du risque porteuse de dynamique et génératrice de richesses.
La plèbe et l'aristocratie ici ne désignent pas des niveaux dans la hiérarchie sociale, mais plutôt des catégories dans la classification psychologique des acteurs de la dynamique sociale, économique et même scientifique.
En économie, la prise de risque est au fondement du capitalisme. Elle est source d'innovation et de progrès, avec l'émergence de la figure héroïque du manager, qui sait prendre des risques et en tirer le juste profit. En science, la prise du risque a toujours été derrière les inventions les plus audacieuses. Aller sur les terrains les plus inconnus et les plus reculés du possible est le propre du scientifique. D'où la volonté de réhabiliter le risque selon plusieurs dimensions : philosophiques, économiques et éthiques. Pour une économie de l'innovation, pour une science avant-gardiste, il faudra réintroduire le risque dans le corps social avec une remise en cause du principe du risque zéro. Le philosophe allemand Hegel disait que c'est au risque de sa vie que l'individu acquiert sa liberté, et c'est face au risque ultime que la conscience peut s'arracher à la vie immédiate et faire avancer les frontières du possible.
La prise du risque permet de faire de l'être humain un acteur de l'évolution. L'une des raisons d'être du principe du risque zéro est d'assurer la mise en place des systèmes de protection.
Il met l'accent sur le rôle de l'Etat de lutter contre l'insécurité de l'individu et de la société. Selon Hobbs, philosophe anglais, l'homme est un être fondamentalement marqué par la peur, une peur primordiale, du moment que dans l'état de nature il n'y a qu'incertitude, imprévisibilité, absence de garantie, de réciprocité et impossibilité de se faire confiance. En ce sens, la peur va conduire au pacte social et à la naissance de l'Etat.
Or il faut se demander, en prenant un raisonnement contraposé, si la résurgence des peurs aujourd'hui ne s'explique pas par le retour du sentiment de l'incertitude et l'imprévisibilité chez les individus, avec l'idée que tout peut arriver. Est-ce que finalement ces peurs ne s'expliquent pas par une lente dissolution des liens, ce qui pourrait faire revenir à une situation d'avant le pacte social ? Avec en plus, l'idée que la réhabilitation du risque, de la flexibilité, conduirait à rendre encore plus fragiles ceux qui sont déjà vulnérables et pour qui pouvoir prendre des risques nécessiterait d'en avoir les moyens et les ressources. Un peu comme si aujourd'hui, prendre un risque équivaudrait à se jeter dans la fatalité de l'échec et ne signifierait plus l'ouverture de nouvelles perspectives de progrès. L'individu au sein de l'Etat est alors en droit de réclamer le droit de vivre tranquillement, de ne pas être exposé à l'inquiétude, et il s'agira alors de réduire, en vertu du principe de précaution et du risque zéro, non plus le danger, mais l'inquiétude, les soucis et les angoisses. La question du délitement du pacte social viendrait, a priori, de la profonde redéfinition de l'idée même du progrès. Le progrès c'est le fait d'avancer, il implique un mouvement en avant, une progression. C'est le fait d'aller vers un degré supérieur. A une échelle plus large, il s'agit de l'évolution régulière de l'humanité, ou de la civilisation, vers un but idéal. Cette conception du progrès suppose que l'on croit d'emblée qu'un futur meilleur est possible. Un futur collectif plus satisfaisant qui mérite le sacrifice du présent individuel de chacun.
Croire au progrès, c'est croire à un meilleur futur collectif au prix sacrificiel du présent individuel. Que sommes-nous aujourd'hui prêts à sacrifier ? Car en fait, il s'agit de deux représentations complètement différentes : travailler pour réduire le danger implique des actions qui ne sont pas du tout les mêmes à mettre en œuvre pour réduire les angoisses. Alors que la réduction des dangers conduit incontestablement au bien-être, combattre les inquiétudes peut limiter les ambitions et brider la dynamique du progrès. Beaucoup de scientifiques pensent que les peurs inconsidérées viennent du fait que la science n'est pas suffisamment diffusée.
Les messages scientifiques n'étant pas des plus faciles d'accès, il faudrait redoubler les efforts de vulgarisation vers la société. Toutefois, il faudra noter que de par cette complexité et cette difficulté d'accès du message scientifique, il est le plus souvent mis en concurrence avec d'autres messages, plus médiatiquement popularisés. Ce n'est pas la faiblesse de l'activité de vulgarisation qui est en cause, la vie quotidienne parle déjà le langage scientifique, il y a de la science dans les médias en permanence, sous une forme diffuse, imprécise et difficilement contrôlable. En profitant par exemple de la peur panique que nous avons du cancer, les médias s'évertuent à lister ses facteurs potentiels. Entre les listes d'aliments à éviter, les heures d'ensoleillement à craindre, l'usage du portable à réduire, nous ne savons plus où nous situer : ce qui est loué par certaines sources de média est incriminé par d'autres. Il y a là une surabondance de l'information qui la rend complètement inutilisable, et induitchez l'individu un état d'indécidabilité auquel il est confronté tous les jours.
Ce fait est tellement présent que nous pouvons nous trouver dans une situation où l'individu est indifférent à une certitude scientifique établie, et complètement déstabilisé par des déclarations incertaines, et scientifiquement très relatives.
Il n'y a qu'à observer cet individu qui, indifférent aux certitudes scientifiques quant à la nocivité du tabac, continue à fumer un paquet par jour, paquet sur lequel est clairement mentionné que fumer tue, et nuit à la santé – certitude scientifique ; ce même individu serait près de manifester contre l'exploitation du gaz de schiste, alors que les questions au tour des méfaits de la fracturation hydraulique ne font pas l'unanimité, et font l'objet d'une pléthore d'analyses pseudoscientifiques. A quel point est-il censé pour cet individu de prendre, en échange de quelques bouffées de tabac, un risque établi d'un cancer des poumons, alors qu'en même temps il rechigne, en échange de la promesse d'une source énergétique qui viendrait renforcer le capital de la nation, à prendre un risque présumé d'une pollution probablement maîtrisable, et dont la maîtrise dépendra de la prise du risque de l'exploitation ?
Si on considérait le niveau du risque zéro réclamé par certains aujourd'hui, on se demanderait quelle aurait été leur position dans un contexte de risque équivalent à celui pris par les révolutionnaires du Premier novembre.
L'idée que ces derniers se faisaient de leur objectif était telle qu'ils ont accepté de prendre le pari, au nom de l'idéal commun. L'idée qu'on se fait aujourd'hui du progrès doit être telle que nous prenons le risque de sacrifier les présents individuels de chacun pour le futur collectif de tous. Il nous faut repositionner la peur et faire la distinction entre un risque subi et un risque choisi. Sans jeu de mots aucun, il est risqué de faire du risque zéro un principe et de la peur une sagesse, voire une vertu, dans un monde où le progrès est une question des limites de l'inconnu.
H. I. F.
(*) Directrice générale de l'Agence thématique de la recherche en science et technologies.


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