Si la mort en martyr de son père fut sa première leçon de patriotisme, d'autres épreuves jalonneront sa vie mouvementée marquée par d'autres tribulations. A moins de six ans déjà, il est confronté au froid et à la canicule avec ce métier de bûcheron et de charbonnier auquel l'initia très jeune son père pour aider sa famille nombreuse à trouver ses repères économiques. Son père l'aidait à conduire le baudet jusqu'à la lisière du village et à son retour, il trouvait la nouvelle cargaison de fagots de bois prête à être chargée sur l'animal désormais aguerri à cette nouvelle tâche qu'il accomplissait les yeux fermés. Et si la mort en martyr de son père fut la première leçon de Khellaf, d'autres épreuves jalonneront sa vie mouvementée et l'attendront pour boucler la boucle des défis. A l'école primaire, il constituait déjà un cas d'école par son attitude jugée «excessive» dès lors qu'il différait de ses autres camarades. Tout simplement parce que — en tant qu'élève interactif — il relevait d'une pédagogie appropriée. «C'était au programme de graviter autour de cet élève doué pour prendre en charge ses aptitudes déferlantes, pas l'inverse» avouera plus tard un inspecteur. Admis au collège d'enseignement technique de Tizi-ouzou, il fit connaissance avec Matoub Lounès qui le gavait de la chanson Essouyas Esvouhrouyas, chant d'amour tiré des arcanes du terroir.C'était la belle époque qui coïncidait alors avec la naissance du groupe de musique du village qu'il avait intégré en tant que musicien flûtiste. Et c'est ainsi qu'il opta pour une vie de fonctionnaire des P et T rue Meissonnier à Alger après avoir été aiguillonné par un ancien camarade de classe, non sans avoir réussi, au passage, une véritable prouesse au concours d'entrée où il décrocha un excellent classement de 7e sur 47 ponctué d'un stage qui lui permit d'accéder à un travail tranquille aux Centres postaux d'Alger. Appelé sous les drapeaux une année après, il intégra l'école de la santé militaire de Blida. Une aubaine pour lui qui fut infirmier dans le littoral kabyle où il travailla avec un couple de jeunes coopérants français, bénéficiant d'une bonne expérience dans la foulée de leur expérience. De cette duplicité naquit une complicité professionnelle qui déboucha sur un échange actif. Et c'est ainsi qu'il apprit à extraire les dents avec la dextérité des professionnels. A l'époque, il n'existait qu'un seul chirurgien du secteur public dans toute la région et Khellaf put ainsi venir en aide à sa famille et équiper entièrement la vieille bâtisse ancestrale menaçant ruine. Les centaines de malades affluant des quatre coins de la région se souviennent encore du jeune dentiste aux yeux vertueux et aux mains expertes qui arrachaient si adroitement les dents que l'on ne sentait rien de la douleur qui envahissait tout le corps. La file était si longue que l'on reportait souvent les rendez-vous pour le lendemain... Puis il y eut cette tentative réfléchie de tenter l'alléchante aventure de l'émigration et — partant —, de l'expérience humaine avec ces promesses de prise en charge de la part de certains proches. C'était en 1976. Mais pour les besoins de la régularisation, il fallait transiter par l'Angleterre après quelques années passées en France. Elle ne viendra qu'à l'issue de plusieurs mois, eu égard aux contraintes bureaucratiques et ce, à l'issue de l'intervention généreuse d'une relation locale. Mais il sera tout de même marqué par l'épisode de Dunkerque. Après avoir été refoulé de cette dernière ville, il trouva judicieux d'adopter un grand chien berger allemand qu'il éleva aux fins d'enlever aux policiers toute idée de le faire passer pour un SDF. Et si quelqu'un s'avisait de s'arrêter, c'était pour lui demander où il a pu se dégotter un si joli félin qu'il rêverait tant voir se prélasser sur son vieux vison. Papiers en main, il revint travailler d'abord dans l'entretien de bureaux administratifs, puis comme massicotier pendant 14 ans et demi. Le tout sanctionné d'un diplôme équivalent au bac technique, révèle-t-il, les yeux dubitatifs. Il arrive souvent à son entourage de croiser des gens de différents bords socioprofessionnels et du monde des arts et des sciences. Mais quasiment jamais comme Khellaf qui savait se fondre dans la société avec une facilité si déconcertante qu'il représentait à lui seul un condensé de toute cette société qui a consacré sa vie à toutes les bonnes causes. De ses yeux profonds d'humanisme et de vérité, il égrène les leçons de vie comme le ferait si bien un philosophe inspiré par la vie considérée comme un sempiternel voyage de la naissance la mort, la vie étant le train pas la gare. C'est ainsi que du pays, de ses gens, de la manière dont est géré le pays qu'il n'a pas revu depuis des décennies, tout le tarabuste et l'interpelle quand cela ne le fait pas souffrir. Car il en connaît bien plus sur le pays que sur la cour d'école quand il y jouait pendant la récréation. On estime dans son entourage qu'il n'a pas volé cette réputation d'homme affable, épris de rêve et de justice, qu'il s'est solidement taillée. En lisant le récit d'un pan de sa vie, les langues se délient pour diluer le miel qui a toujours délicieusement envahi son palais. Khellaf est telle cette éponge avide de savoir, toujours en quête de vérité, qui se répand généreusement sur tout notre espace de vie pour toucher aussi bien les gens qui nous côtoient discrètement que ceux qui observent de loin nos joutes oratoires dont ils se délectent du sens et s'interrogent sur leur non-sens. Le temps du débat avec des personnes lointaines et de celles qui nous entourent sans qu'on ne s'en aperçoive. Mais peu importe, le sourire qui réchauffe le cœur est toujours là et, avec, toute cette ambiance acoustique émanant de l'instrument de percussion que son ami maniait avec grâce et envoûtement, faisant battre les cœurs à l'unisson. C'était la période des temps bénis par la musique et la paix idyllique, comme passage de témoin de générations qui semaient l'amour et récoltaient la générosité. C'était aussi, poursuivait Khellaf, les temps de l'air traversé par les traînées de condensation émanant du moteur souffreteux de la Yamaha fardée de poussière. Après avoir fait vibrer la fête jusqu'à l'aube avec les interminables et inusables chœurs qui arrachaient les notes aux aurores où beaucoup de cœurs à marier ont concrétisé leurs rêves jusque-là enfouis aux tréfonds de la timidité, se sont décidés à investir le terrain de la séduction, avec — à la clé — la conclusion d'un mariage. Le tout concocté sous le ciel bleu azur de lendemains qui chantent et loin de rêves qui déchantent. On se découvrait alors des alliances que de médisantes méfiances avaient jusque-là réussi à escamoter avant que le vent de la liberté ne vienne tout balayer sur son chemin. L'ami de Khellaf se souvient encore de ses cousines aux yeux rieurs. Montées à l'arrière, elles riaient au vent qui s'amusait à défaire leur chevelure blonde qui se fond avec le soleil qui décline. Khellaf a ainsi toujours su taire ses souffrances, rengainer ses remontrances et dépasser ses contradictions.«Le moral d'acier» dont parle cet inénarrable Khellaf trouve sa résonance dans le courage qu'il trouve dans tout ce qu'entreprend son ami, son miroir qui capte la lumière interne. De cette lumière qui anticipe sur la vie en l'éclairant chaque jour davantage comme au jour où il a été miraculeusement tiré d'un terrible accident. Khellaf pris entre une deux chevaux et un semi-remorque s'en sort avec quatre jours de coma. La fidélité conjugale, consacrée par 34 années d'union sacrée avec un être aimé, consolide ce bonheur et cette joie de vivre avec ses animaux domestiques dans un petit paradis de banlieue entouré de potagers verdoyants. Le tout dans une vie harmonieuse sanctionnée par des dons et des actions de solidarité en direction d'associations caritatives. Le tout indépendamment des confessions et idéologies.