Par Sarah Haidar Léguée par l'ancienne ministre, la loi-cadre sur le livre vient d'être adoptée par l'Assemblée populaire nationale où la majorité des députés, excepté ceux du FFS, ont, comme à l'accoutumée, levé la main droite. Ceci passe encore, car l'APN a toujours été le temple de l'approbation pavlovienne de tout ce qui vient de l'Exécutif sauf, bien sûr, quand il s'agit de lois plus ou moins justes, à l'instar de celle interdisant les violences faites aux femmes ! C'était donc tout à fait prévisible que ces mêmes mains, qui ont gesticulé contre l'ébranlement blasphématoire des violences misogynes, se lèvent aujourd'hui pour approuver une législation qui, non seulement renforcera le monopole de l'Etat sur le marché du livre, mais confortera également le dogme des baillons et des muselières déjà puissant en Algérie. Rédigé par une commission désignée arbitrairement par le ministère de la Culture du temps de Mme Khalida Toumi et dans laquelle sont absents les partenaires naturels que sont les acteurs du domaine, ce projet de loi transforme le secteur du livre en chasse gardée de l'Etat, quadrillée et contrôlée par une armée bureaucratique digne des régimes staliniens, avec en prime des sanctions pénales en cas de désobéissance. Il prévoit aussi un ensemble de dispositions qui feraient rougir le plus accompli des censeurs : désormais, un écrivain se doit de «respecter» les religions, l'ordre public et la sécurité nationale et ses mots devront à l'avenir passer au scanner des politiques qui en décideront de la «légalité». Ainsi, en 2015, l'Algérie érige la censure et la peur d'écrire en système alors que même la décennie noire n'a pas réussi à brider les esprits. On est devant un texte de loi qui traite auteurs et éditeurs comme des délinquants potentiels et encourage nos nombreux inquisiteurs à vouloir encore grignoter le peu de libertés qui nous reste. Si Hamadache était passablement hors la loi en lançant sa fetwa de mort contre Kamel Daoud, il ne le sera plus avec cette législation qui rejoint allègrement l'idéologie des ennemis de l'art et de la littérature. Et même si on admet que la résistance des rares écrivains et éditeurs non encore rongés par la paresse, la fatigue ou la corruption morale, pourra endiguer l'application intégrale de cette loi, le ministère de la Culture a d'ores et déjà préparé le terrain pour ceux qui n'ont plus besoin d'arriver au sommet de l'Etat pour refaire l'Algérie à leur (laide) image. Après qu'un obscur terroriste raté ait fait plier le Premier ministre sur une circulaire régulant la vente d'alcool, il ne sera désormais pas seul quand il voudra bafouer les libertés fondamentales de la littérature : tout un gouvernement, avec son artillerie répressive, sera à ses côtés ! K. B.