Enfin un ouvrage complet sur le tourisme et l'hôtellerie en Algérie, à mettre entre toutes les mains. A commencer par les professionnels du secteur, qui seraient bien avisés d'en prendre connaissance. Djamila Fernane vient de publier, aux éditions Enag, Hôtellerie, le maillon faible du tourisme algérien. Le titre indique clairement l'orientation du travail de recherche réalisé par l'auteure, partant du constat que l'hôtellerie reste le parent pauvre de l'industrie touristique. Mais cela ne se limite pas à diagnostiquer un point vulnérable, le livre étant une analyse détaillée, discursive et prospective du monde du tourisme en Algérie. Historique, bilan, statistiques, enjeux, gestion, stratégie, environnement, etc., sont expliqués et solidement argumentés. La démarche est persuasive et permet d'éclairer certaines choses complexes en apparence. A la fin, le lecteur comprend aisément comment et pourquoi l'Algérie se retrouve en queue de peloton, et il en sait plus sur ce qu'il convient de faire pour remonter au classement. Avant de revenir à l'ouvrage de Djamila Fernane, il est utile de signaler le récent rapport sur la compétitivité des voyages et du tourisme, texte publié le 6 mai dernier par le Forum économique mondial (FEM). Dans cette édition 2015, le FEM classe l'Algérie à la 123e place parmi 141 pays (en 2013, elle occupait la 132e position sur 140). En comparaison, le Maroc et la Tunisie sont classés respectivement aux 62e et 79e positions dans le rapport annuel, en se basant sur des critères et des indicateurs de compétitivité bien précisés. C'est ce qui s'appelle rester à la traîne ! En quatrième de couverture de l'ouvrage, il est justement souligné que «l'Algérie ne saurait prétendre à un développement significatif de son industrie touristique tant que son infrastructure hôtelière sera quantitativement insuffisante et qualitativement médiocre. Outre le nombre considérable d'hôtels qu'il faudrait construire pour atteindre une offre d'hébergement comparable ne serait-ce qu'à celle des pays voisins, il y a lieu de se pencher sérieusement sur la qualité de leur management, car c'est précisément à ce niveau que va se jouer l'avenir du tourisme algérien». En un mot, il s'agit de se convaincre que «l'accès au rang et privilèges de destination touristique internationale à laquelle prétend l'Algérie est le fruit d'un long et méthodique processus combinant judicieusement l'investissement, l'excellence management, l'innovation et bien entendu, la formation qualifiante». Cela signifie un programme à long terme et rendu prioritaire par une volonté politique claire, afin d'impulser une véritable culture touristique chez les Algériens et surtout faire décoller le tourisme domestique notamment. Préfacé par Nordine Grim qui a beaucoup écrit sur l'économie algérienne, l'ouvrage s'articule en six intéressants chapitres. Le premier est une entrée en matière, comme un cours magistral pour se familiariser avec «les outils théoriques» applicables dans le domaine : l'évolution du tourisme dans l'histoire de l'humanité, ses différents impacts, les aspects techniques du produit touristique, les déterminismes politiques ! Le deuxième chapitre traite de l'évolution de l'industrie touristique et hôtelière algérienne, étudie les causes de sa léthargie, en dissèque la gestion, revient sur les programmes de privatisation et les perspectives de relance, évoque le rôle stratégique de l'information et des TIC... Le tout est illustré par des statistiques, des bilans et des tableaux comparatifs. Intitulé «Les conditions environnementales et le développement hôtelier en Algérie», le chapitre suivant propose une analyse détaillée de l'offre et de la demande algériennes, de la stratégie managériale et des réelles capacités existantes. Et l'auteure d'en déduire que «l'industrie hôtelière algérienne évolue dans un marché potentiel estimé à plus de 2,5 millions de touristes, mais qu'il n'est en mesure d'offrir de prestations que pour environ 96 497 d'entre eux, pour la plupart (80%) des hommes d'affaires. Le parc hôtelier est constitué de 1136 hôtels dont seulement 20% répondent aux normes internationales». Là encore, Djamila Fernane fournit beaucoup de données chiffrées (tableaux, graphes, prix...) qu'elle interprète au fur et à mesure. Le quatrième chapitre explique par le menu détail comment est organisé un établissement hôtelier avec ses différents services, les différences de prestations entre les catégories d'hôtels, etc. Dans le chapitre suivant intitulé «Un gouffre financier en quête d'efficience», la réflexion est centrée sur les coûts liés à l'exploitation et à la gestion (structure des coûts, pratique tarifaire et rentabilité) et sur les méthodes de management à adopter pour maîtriser la structure des coûts. Enfin, le sixième et dernier chapitre prolonge et approfondit l'analyse (et les propositions) de Djamila Fernane quant à «la nature des actions promotionnelles et stratégiques à entreprendre pour mieux maîtriser les coûts de production et le niveau des ventes». Par exemple, le marketing et le tourismatique (le traitement informatique), les bons choix stratégiques à faire et les méthodes de gestion actualisées qu'il devient impératif d'appliquer et de généraliser. Parce que «l'industrie hôtelière longtemps considérée comme une activité artisanale qui n'a pas besoin d'outils de gestion performants est entrée dans une phase de «croissance folle» qui ne peut s'accommoder d'une gestion au rabais. L'amateurisme managérial est à jamais révolu depuis notamment la généralisation des systèmes électroniques de réservation, l'informatisation de la gestion et l'émergence de grandes sociétés multinationales capables de créer des produits de plus en plus complexes et personnalisés». En conclusion de son ouvrage, Djamila Fernane revient sur les questions en suspens, les enseignements à tirer et sur ce qui reste à faire pour que l'industrie algérienne du tourisme et de l'hôtellerie décolle enfin. Premièrement, il est urgent de changer la législation inadaptée, de remettre à plat les textes qui régissent le secteur. Pour cela, il faut une réelle volonté politique d'en faire une priorité et de le développer (ce qui n'est pas encore le cas, malgré une prise de conscience que le tourisme crée de l'emploi et des richesses). En deuxième lieu, il faut encourager l'investissement et intensifier la formation. Enfin, il est «impératif que des actions concrètes soient entreprises à l'effet de rehausser l'attractivité de la destination Algérie». L'auteure se dit convaincue que la relance est possible, «pour peu que l'Etat et les opérateurs économiques concernés parviennent tous ensemble à mettre en œuvre des choix stratégiques rationnels mettant en valeur les potentialités indéniables du pays». Djamila Fernane, 28 ans, est maître-assistante en management des entreprises. Elle enseigne à l'université Mouloud-Mammeri de Tizou-Ouzou tout en activant dans le mouvement associatif lié au tourisme et à l'écologie. Hocine Tamou Djamila Fernane, Hôtellerie, le maillon faible du tourisme algérien, Enag éditions, Alger 2014, 270 pages.