Chaque accusé a été questionné par le président sur d'éventuelles pressions de la part d'Oultache ou d'une autre partie de la Sûreté nationale pour lui faire accepter des décisions contre son gré. Tous ont rejeté cette assertion. Le procès, après pourvoi en cassation des condamnés, intenté contre Choaïb Oultache, 19 cadres de la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) ainsi que des cadres d'une entreprise privée qui se déroule à la cour de Boumerdès, après son renvoi par la arrêt de la Cour suprême en date du 2 octobre 2014, s'est poursuivi mercredi après-midi et jeudi jusqu'au début de la nuit. Dans la suite de la séance de mercredi, qui a suivi l'audition du principal accusé de cette affaire, Choaïb Oultache en l'occurrence, le président Mohamed Kouadi rappela à la barre Yahiaoui. Il le questionna sur la passation des marchés. Ce dernier affirma qu'il n'a aucun pouvoir pour signer des marchés. D'ailleurs, tous les mis en cause, y compris Oultache, ont réitéré leur incompétence légale à avaliser des marchés qui est la prérogative du seul DG de la Sûreté nationale. Commissaire de police et ingénieur d'Etat en informatique, Zaâche Omar est accusé de passation illégale de marchés publics et exploitation abusive de la fonction. «En tant qu'ingénieur en informatique, on a fait appel à moi pour contribuer à l'exécution du programme de modernisation. C'était ma seule tâche.» Au sujet du marché 139/2007 concernant la fourniture de 10 300 onduleurs pour une valeur de 115 millions de dinars, il dira : «On a fait appel à moi pour l'élaboration d'un cahier des charges. Ce cahier des charges est conçu pour intéresser seulement les constructeurs. De ce fait, l'entreprise ABM est exclue parce que tout simplement cette société n'est pas un constructeur.» Il persiste sur son affirmation. Cette assertion donne momentanément du crédit à l'accusation contre ceux qui avaient opté pour passer une commande chez ABM (Algerian Business Multimédias). Le président revient sur le fait qu'à la suite d'études des offres, alors qu'il ne restait qu'un seul soumissionnaire et de ce fait l'appel d'offres devait légalement être complètement reformulé publiquement. Sur ce point, un défenseur nous a confié plus tard que la réglementation antérieurement en vigueur, soit avant cette affaire, n'obligeait pas les entités publiques à annuler une offre lorsqu'il n'en reste qu'une seule recevable. «Ce n'est qu'en 2010 qu'un amendement a été introduit», précisera cet avocat. Sur son intégration à la commission technique que présidait Choaïb Oultache, le prévenu a déclaré qu'il a été désigné verbalement pour siéger dans cette instance. C'est le cas de la majorité des mis en cause. Les membres de cette commission ont siégé, rappelons-le, dans les instances qui ont élaboré le cahier des charges pour la fourniture des équipements informatiques ou celle qui a procédé à l'ouverture des plis et des évaluations techniques et financières des offres. Pour rappel, il y avait en plus du lot des 10 300 onduleurs, 4 autres lots, à savoir des imprimantes (340 000 000,00 DA), des micro-ordinateurs, PC et stations (800 000 000,00 de dinars), imprimantes (340 000 000,00 de dinars) et un contrat programme (30 à 60 000 000,00 de dinars) sur 5 ans pour fourniture des consommables. Dans ce dossier, l'accusation tente d'accréditer l'idée que le marché des onduleurs a été attribué, entre autres, sur une fausse déclaration faisant de l'entreprise ABM un constructeur alors qu'elle n'est qu'un distributeur agréé. On apprendra plus tard, lors des interrogations des accusés, que la rectification de la fiche technique se rapportant aux onduleurs qui devraient être acquis a été faite au niveau de la DG de la DGSN et que, par ailleurs, la DGSN était destinataire d'une lettre d'un producteur, mondialement connu, qui se porterait garant sur la bonne exécution d'un éventuel contrat qui lierait la DGSN à l'entreprise en question (ABM). Chaque accusé a été questionné par le président sur d'éventuelles pressions de la part d'Oultache ou d'une autre partie de la Sureté nationale pour lui faire accepter des décisions contre son gré. Tous ont rejeté cette assertion. Plusieurs d'entre eux ont, en outre, tenu à rappeler que ces fameux onduleurs - acquis en 2008 - sur lesquels repose la principale accusation sont toujours en fonction alors que leur durée de vie admise universellement n'est que de 3 ans. L'expectative Après avoir suivi tous les débats du mercredi et du jeudi – le procès se poursuivra demain dimanche avec l'audition des témoins — et écouté notamment les réponses des prévenus aux questions du président Mohamed Kouadri, qui dirige avec beaucoup de sérénité les débats et qui laisse les accusés s'exprimer, «le doute raisonnable» commence à s'installer chez les observateurs. L'accusation, qui fonde son argumentaire sur le marché des onduleurs, la dispense des pénalités de retards à ABM, le fonctionnement de la commission technique que préside Choaïb Oultache, l'élaboration du cahier des charges concernant la fourniture des équipements informatiques, le contrat de gré à gré concernant la fourniture des consommables en informatique, la relation entre le colonel Oultache, directeur technique au niveau de la DGSN, maître d'œuvre du programme de la modernisation de la Police nationale et Toufik Sator, vice-président d'ABM et beau-frère d'Oultache, commence par voir ces griefs perdre de leur consistance. Cette fois-ci, il semblerait que les prévenus soient venus devant la cour de Boumerdès armés d'arguments pour convaincre la justice de leur innocence. Au cours de son interrogation, un prévenu s'est exclamé à l'adresse du président : «Comment peut-on concevoir que 16 officiers supérieurs de la police, qui plus est, ont des compétences de haut niveau, mettraient en péril leur réputation, leur famille et leur carrière pour avantager une entreprise ?» et «quels en sont les avantages pour eux ?» Un autre ajouta : «Nous avons toujours travaillé dans la transparence et c'est le data show qui déterminait nos choix.» Jusqu'à présent, il n'a nullement été question d'avantages mal acquis par aucun des protagonistes de ce dossier. Tous les accusés de cette affaire ont rejeté les accusations qui leur ont été rappelées individuellement par le juge. Sur le déroulement du procès, il est utile de noter que jusqu'à présent, il se passe sans incidents notables. A chaque fois, le président Kouadri tenait à répéter : «Je ne suis ni contre vous ni avec vous. Je suis ici avec mes assesseurs pour faire éclater la vérité.» Pour en revenir aux débats, plusieurs prévenus ont expliqué au président qu'en matière d'informatique, il est impossible d'élaborer une fiche technique orientée vers un fournisseur ciblé puisque celle-ci ne contient que des informations techniques universelles. A noter qu'une grande partie des prévenus est spécialisée en informatique. Le débat sur l'essentiel La journée de jeudi a été riche en débats puisque les principaux mis en cause, après Oultache, notamment le DAG de la DGSN, Youcef Dhimi, Toufik Sator, informaticien et vice-président d'ABM et proche d'Oultache, Antri Bouzar Toufik, P-dg d'ABM, et Djaâfer Zerrouk, directeur commercial d'ABM, ont été auditionnés. Sur le fonctionnement de la commission technique, le DAG a rappelé au juge que tous les membres qui y siégeaient ont vu leurs noms inscrits dans la décision signée par le directeur général et que cette instance était effectivement présidée par Oultache suite aux instructions de feu Ali Tounsi. S'agissant de l'affectation du marché des consommables, évalué entre 30 et 60 millions de dinars sur une période de 5 ans, attribué par le truchement du gré à gré à l'ABM, le DAG la justifie du fait que la firme en question est un distributeur exclusif en Algérie. Au cours des débats, il a été prouvé que la décision de la suspension de la livraison des onduleurs incombait à la DGSN. Rappelé par le président sur ce point, Oultache précisera : «Il n'y avait pas de place où mettre ce matériel.» Dans le précédent procès, on insinua que la faute venait d'ABM. Elle devait donc être sanctionnée financièrement. De plus, l'accusation affirma qu'elle aurait été dispensée de ces pénalités de retards suite à des interventions de certains responsables. De son côté, Toufik Sator nie avoir eu une quelconque conversation avec son gendre au sujet des contrats de fournitures liant ABM, dont il est actionnaire à hauteur de 0,12%, à la DGSN. Il a, en outre, répondu à la question du président au sujet du dossier administratif de soumission accompagnant l'offre de service remise à la DGSN. Il était actionnaire et vice-président de la firme, or son nom ne figurait pas dans le document remis. «Le notaire n'avait pas encore formalisé l'acte», dira-t-il. Mohamed Antri Bouzar, P-dg d'ABM, a été appelé à la barre. Il est accusé, à l'instar des autres mis en cause, de trois délits et a passé 4 ans en prison — la majorité des prévenus ont fait de la prison à cause de cette affaire, mais comme ils ont accompli leur peine, ils comparaissaient libres. Le président de l'entreprise ABM commence par brosser un bref tableau de sa société avant les contrats passés avec la Police nationale. «C'étaient 30% du marché national et 12 marques commercialisées. Les contrats avec la DGSN ne représentaient que 2,5% du chiffre d'affaires.» Et d'ajouter : «J'ai signé des contrats qui ont été totalement exécutés. Mais avant leur entrée en vigueur et leur exécution, ils ont été avalisés par des commissions techniques, la commission des marchés de la DGSN et la commission nationale.» Il fait état du début d'exécution du contrat de fourniture des consommables pour un montant de 17 MDA qui n'ont jamais été payés. «La DGSN doit nous payer 35 millions de dinars représentant les cautions de garantie et la livraison des consommables.» Le directeur commercial d'ABM fut le dernier à passer devant le juge. Il apporta une précision. Son entreprise avait les onduleurs en stock pour assurer la livraison, mais le client (la DGSN) en avait demandé la suspension.