Les procès des grandes affaires de corruption se suivent et se ressemblent : des effets d'annonce et des reports à la clé. Même si la présomption d'innocence est de mise pour les accusés, la meilleure preuve de l'étendue de la corruption dans l'affaire de l'autoroute Est-Ouest par exemple est flagrante : projet le plus cher et même trop cher, chantier le plus inachevé, infrastructure la plus dangereuse, marché public le plus opaque, réalisation la plus mauvaise, etc. Et la moisson des tristes records n'est malheureusement pas terminée (voir Le Soir d'Algérie du 23 mars 2015). Et c'est connu : plus la corruption est importante, plus la qualité du projet en prend un coup ! Le pouvoir a réussi son coup : programmer les procès, après plusieurs années de blocage, voir comment réagissent les avocats de la défense, comment la presse traite de ces procès et «calmer» l'opinion publique. Les reports prémédités vont permettre au pouvoir de mieux diriger les procès à venir, d'en finir et de laisser le temps alimenter l'oubli de ces scandales. Cette autoroute et Sonatrach 1 sont des énormes abcès pour le pouvoir, abcès dont il ne peut pas se débarrasser n'importe comment et qui l'embarrassent au plus haut point, car même au-delà des procès qui se termineront bien un jour ou l'autre, des traces resteront. La seule volonté du pouvoir se résume surtout à continuer à exercer sa tutelle sur les enquêtes de police judiciaire et sur la justice. D'ailleurs, ces deux affaires aux ramifications internationales sont très lourdes à gérer pour le pouvoir. L'issue de secours pour le pouvoir, c'est comment vite liquider ces procès en 2015 et que les médias n'en parlent plus. Le pouvoir veut se débarrasser à tout prix de ces procès et à n'importe quel prix, notamment en piétinant les procédures élémentaires de justice : les avocats de la défense d'ailleurs ne cessent de dénoncer les très mauvaises conditions de préparation et de tenue de ces procès. Prenons un exemple, celui de l'affaire autoroute Est-Ouest : procès reporté pour non-présence d'un avocat à cause de la non-délivrance de visa à William Bourdon, avocat français de l'un des principaux accusés. Alibi prémédité par le pouvoir politique ? Le pouvoir policier, autoritaire, répressif et liberticide ne peut pas concevoir d'attribuer un visa à William Bourdon, car au-delà de son métier d'avocat, Bourdon est par ailleurs président de l'ONG française Sherpa dont l'objectif principal est la lutte contre la délinquance économique et financière, dont la lutte contre les biens mal acquis en France par des dirigeants étrangers corrompus et kleptocrates.... Les absents n'ont pas toujours tort Pour le pouvoir, ce visa aurait été une formidable opportunité pour William Bourdon de plaider — avec la conviction et le talent qu'on lui sait — contre la corruption de fonctionnaires étrangers dans les transactions commerciales internationales ! Et l'affaire de l'autoroute Est-Ouest est un cas d'école à ne pas exporter, surtout pas !!!! Quant à l'autorité judiciaire qui aurait envoyé tardivement une convocation à William Bourdon, c'est un faux-fuyant : pitoyable justice aux ordres... Un site électronique titrait il y a quelques jours, à propos de ces 2 affaires : «Des responsables politiques étrangement mis hors de cause» ! Pourquoi étrangement ? Plutôt «naturellement», car malheureusement, c'est dans la nature et l'essence même de ce pouvoir kleptocrate de livrer ses séides en pâture. Et dans l'armée des séides, il y a les hommes de troupe et les gradés : Chakib Khelil, Ghoul et Mohamed Bedjaoui par exemple sont des séides gradés, à épargner, du moins pour le moment... Des magistrats italiens — dans l'affaire Saipem-Sonatrach — ont des preuves accablantes concernant Mohamed Bédjaoui. Khelil et Bédjaoui n'occupent plus de fonctions officielles et c'est tant mieux, alors que Ghoul continue de traîner des casseroles, du ministère de la Pêche à celui des Transports en passant par celui des Travaux publics : s'il y avait une réelle volonté politique du pouvoir de lutter contre la corruption, qu'il commence par limoger ce très mauvais et incompétent ministre (voir l'état catastrophique de l'autoroute) et surtout le traduire en justice, d'autant plus que ce ministre n'a pas le courage politique de démissionner... Effectivement, ces «gradés» du pouvoir actuel sont protégés, et sont sacrifiés des gestionnaires aux ordres qui n'avaient pas à accepter de postes de responsabilité dans un contexte aussi instable. Il faut noter l'hypocrisie de certains médias à propos de ces affaires : pourquoi omettre de citer nommément Mohamed Bédjaoui ? Il est carrément accusé par certains inculpés dans l'affaire de l'autoroute (voir l'arrêt de renvoi), ainsi que son «ami» Pierre Falcone — ancien «acteur» en armement de la «Françafrique», puis actuellement un des principaux agents de la «Chinafrique» ? Pourquoi le Conseil constitutionnel, cette institution de souveraineté, a pris en charge le séjour de Pierre Falcone à Alger — c'est unique dans les annales ? Il est quasi certain que des commanditaires de ces grandes affaires de corruption sont nichés au sein du pouvoir et à sa périphérie : ces commanditaires protègent certains exécutants de ces affaires et en sacrifient d'autres.