«Il n'y a pas réellement d'affaire. Quelque chose s'est par contre passé au sein de la justice. On a tenté de créer un dossier pour justifier une autre affaire. La justice est chargée d'une mission. Elle cherche en effet quelque chose à coller à Oultache avant de le juger dans l'autre affaire», s'indigne maître Mustapha Bouchachi, l'un des défenseurs dans le procès dit «Oultache et consorts». Poursuivant sa plaidoirie, le défenseur du P-dg de l'entreprise ABM, Mohamed AntriBouzar, s'est emporté. «Arrêtez la mascarade ! Il y a certes des mascarades qui font rire mais il y a aussi des mascarades dramatiques. C'est le cas pour tous les inculpés.» Avant d'ajouter : «On n'hésite pas à casser des cadres de haut niveau et des institutions pour créer une affaire. L'Histoire retiendra où est arrivée la justice de ce pays.» Touché par la plaidoirie de Bouchachi, le président Mohamed Kouadri est intervenu pour renouveler son engagement, à savoir ne s'en tenir qu'à sa conscience et la loi pour rendre son verdict. Lors de la séance de l'après-midi de ce dimanche durant laquelle les avocats de la défense ont pris la parole pour entamer leurs plaidoiries, une chose a été, en effet, mise en évidence par plusieurs membres du prétoire : le malaise qui était palpable depuis les premiers instants de ce procès a été distinctement abordé : et pour cause, le drame qui a coûté la vie à l'ancien directeur général de la Sûreté nationale, feu Ali Tounsi, n'avait pas quitté la salle d'audience. Comme on l'a vu, maître Bouchachia, avec force, fait la liaison. Pour la majorité des défenseurs les deux affaires sont intimement liées. Revenant sur la genèse de cette affaire, maître Bouchachi dira : «Alors que la DGSN a traité des centaines de marchés de plusieurs centaines de milliards de dinars, personne ne s'en est inquiété. On n'a pas cherché à enquêter sur la corruption. On s'est focalisé sur un marché où est cité Oultache.» Plus tard, maître Belarif, défenseur d'Oultache, rappellera dans son intervention que le programme de la modernisation de la Police nationale a bénéficié d'un financement de 9 milliards de dollars. Faisant toujours le parallèle de ce dossier avec celui de l'assassinat de Ali Tounsi, un défenseur assènera : «Toute cette affaire est montée sur la relation entre Oultache et Toufik Sator.» Laissant entendre qu'elle avait donc pris une autre dimension du fait de ce lien de parenté. Plusieurs intervenants ont signalé que ce volet a été le déclencheur de cette affaire. D'ailleurs, d'après maître Mohand Tayeb Belarif, l'avocat d'Oultache, la police judiciaire n'a pris en considération dans le rapport de l'inspection générale de la DGSN, que le passage signalant la relation entre le président de la commission de modernisation de la police et le vice-président ABM pour ouvrir ce dossier. A ce propos, il apportera une importante précision : «Je vous signale que le DGSN, feu Ali Tounsi, a été avisé de cette relation. Il a interpellé Oulatache qui ne l'avait pas dissimulée.» Au sein du prétoire, les défenseurs ont abordé cette affaire de deux manières. Les uns se sont attaqués au dossier sous l'angle purement procédurier. Ils étaient bien à l'aise pour s'attaquer à l'argumentaire et les attendus des jugements antérieurs afin de demander l'annulation de la condamnation du tribunal d'Alger en sachant par ailleurs que l'arrêt de la cour d'Alger a été accepté par la Cour suprême que sur la forme et non sur le fond. D'ailleurs, l'instance suprême a formulé des critiques contre le jugement du tribunal d'Alger donnant du grain à moudre aux défenseurs. «Ce dossier est sans âme. L'accès au rapport de l'inspection nous a été refusé. Il n'y a dans ce dossier aucun rapport d'expertise sur un supposé préjudice subi par la DGSN ou le Trésor public», assènera maître Abdelhamid Rihioui, avocat de Yahiaoui. Tous les intervenants ont utilisé le rejet, sur le fond, du recours introduit par le procureur général de la cour d'Alger et les critiques formulées par la même Cour suprême contre les attendus des jugements en première instance et en appel pour demander l'annulation du premier jugement. S'appuyant sur ces données, plusieurs défenseurs ont, en outre, affirmé que le réquisitoire du ministère public de la cour de Boumerdès est illégal. «Le juge ne peut en aucun cas aggraver les peines antérieurement prononcées.» Ils dénoncèrent le refus signifié, sans explication, de leur demande du rapport établi par l'Inspection générale de la Police nationale au sujet de cette affaire. «Qu'on nous dise quel est le préjudice matériel et financier subi par la DGSN. On nous a refusé le rapport de l'Inspection générale parce qu'il est favorable aux inculpés.» D'autres, par contre, lui donneront une autre vocation. Ils ont affirmé qu'il sera le projecteur qui sera braqué, le moment venu, sur la principale cible qui est Oultache. Au plan général des plaidoiries, le prétoire voulait connaître les bénéfices tirés par les inculpés des faits qui leur sont reprochés. C'est maître Faïçal Benabdelmalek, le défenseur de Youcef Daim, ancien DAG de la DGSN, qui résume cette doléance : «Chaque individu qui commet un crime ou un délit le fait pour en tirer un bénéfice. Où est celui de mon client ?» Maître Saïd Hadjer interroge l'auditoire : «Est-ce qu'il y eu préjudice ?» Et de répondre : «La réponse est évidemment non. La preuve, la partie civile s'est contentée de demander une indemnité de 5 millions de dinars pour le préjudice moral subi par la DGSN alors que pour le préjudice matériel et financier, elle demande la désignation d'un expert.» Or, à suivre ce raisonnement, toute condamnation ne survient qu'après constations d'un préjudice quelconque. Ce qui n'est pas le cas dans cette affaire. Tous les défenseurs se sont efforcés de démontrer que les marchés de fourniture de 10 300 onduleurs et des consommables en informatique ont été conçus et attribués dans le strict respect de la loi. Au cours de leurs plaidoiries, les défenseurs n'ont pas hésité à louer les hautes compétences des leurs clients. «Mon mandant est appelé à siéger au sein de la commission gouvernementale chargée de réflexion sur la réforme du code des marchés publics.» A la fin de la dernière plaidoirie, le président Mohamed Kouadri a appelé les prévenus pour dire leurs derniers mots avant la mise en délibération du verdict. Le premier à passer, Oultache, qui est accusé de 7 chefs d'inculpation dans cette affaire, a fait l'éloge du travail par l'équipe qui l'entourait. «Ce sont de brillants cadres. Grâce à leur travail, la police algérienne est devenue la plus moderne et la meilleure dans le monde arabe. Je vous demande, monsieur le président, de les acquitter et de m'acquitter.» Omar Daas dira, pour sa part : «Je travaille actuellement sur de grands projets. Je vous demande de m'acquitter pour que je puisse me consacrer entièrement à mon travail.» Puis un à un, les 19 autres inculpés demanderont tout simplement la relaxe. Le verdict sera connu le 8 juin prochain.