En matière de lutte contre le blanchiment d'argent, l'Algérie est un très mauvais élève ! Ce que confirme le président de la Cellule gouvernementale de traitement du renseignement financier (CTRF) qui annonce que depuis 2005, seuls 82 dossiers ont été transmis à la justice ! Vous avez bien lu : 82 affaires en 10 ans. Ce n'est même pas un constat d'échec : c'est pire que cela, car échec signifie au moins avoir essayé. Or, non seulement il n'y a pas de volonté politique de lutter contre le blanchiment d'argent, mais plus grave, à l'image de la corruption, le blanchiment d'argent, l'évasion fiscale et la fuite des capitaux sont des marques de fabrique du pouvoir... Pouvoir qui feint de s'étonner des déclarations officielles du gouvernement saoudien à propos de l'explosion du blanchiment d'argent en Algérie. Quand le chef de la Cellule de traitement du renseignement financier (CTRF) déplore la non-collaboration des professions libérales concernées à transmettre des déclarations de soupçon de blanchiment d'argent, il signe l'inefficacité du dispositif en place pour lutter contre le blanchiment d'argent. Djilali Hadjadj La Cellule de traitement du renseignement financier (CTRF) a transmis à la justice 82 affaires de blanchiment d'argent depuis son entrée en activité en 2005 jusqu'à ce jour, a indiqué jeudi dernier à l'APS le président de cet organisme spécialisé, M. Abdenour Hibouche. La grande majorité de ces dossiers provient des déclarations de soupçons adressées par les banques à la CTRF, tandis que le reste (près de 10%) émane des Douanes et de la Banque d'Algérie sachant que cette cellule, placée auprès du ministère des Finances, n'est pas habilitée à procéder par auto-saisine. Jusqu'à 2011, seulement 3 affaires de blanchiment ont été transmises à la justice par la CTRF même si le nombre des déclarations de soupçons envoyées à cet organisme avait atteint 3 188 entre 2007 et 2011 avec un «pic» enregistré en 2010 lorsque la Banque d'Algérie a entamé une large opération de contrôle au niveau des banques et établissements financiers. Sur l'année 2014, la CTRF avait reçu 661 déclarations de soupçons émanant de banques (contre 582 en 2013) ainsi que 1 698 déclarations de soupçon adressées par des établissements financiers non bancaires (contre 1 828 en 2013). Baisse anormale du nombre de déclarations de soupçons A noter que les rapports envoyés par les banques et établissements financiers à la CTRF sont appelés «déclarations de soupçons» alors que ceux de la Banque d'Algérie, des Douanes et de la Direction générale des impôts (DGI) sont intitulés «rapports confidentiels». Mais selon M. Hibouche, contrairement aux banques, les rapports envoyés par les établissements financiers ne sont, malheureusement, pas conformes au modèle de déclaration exigé par la loi (décret de janvier 2006), empêchant leur exploitation par la CTRF qui tente de remédier à cette situation en sensibilisant ces établissements sur le respect des normes obligatoires précisées par la législation. Par ailleurs, le même responsable constate une baisse, depuis 2012, du nombre de déclarations de soupçons du fait, selon ses explications, des mesures de vigilance et des procédures de contrôle édictées par la Banque d'Algérie ainsi que de la sensibilisation des banques pour une transmission sélective des déclarations à soumettre à la cellule excluant, de ce fait, toutes les opérations sans lien avec le blanchiment. Mais si les établissements financiers non bancaires ne respectent pas les normes exigées dans l'élaboration de leurs rapports, les banques, par contre, font preuve de davantage d'efforts suite aux mesures de vigilance édictées par la Banque centrale à travers la nouvelle approche basée sur le risque, l'acquisition d'outils spécifiques de détection des infractions et les actions de formation de leur personnel, souligne le même responsable. Ces affaires prises en charge par les banques sont, parfois, étayées par d'autres renseignements et indices émanant principalement des Douanes et de la Banque d'Algérie. De surcroît, l'ordonnance de février 2012 modifiant et complétant la loi de 2005 relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, a conforté l'autonomie de la CTRF en l'érigeant en une autorité administrative indépendante, placée auprès du ministère des Finances. Cette autonomie lui a permis «d'améliorer ses performances, de lui conférer des prérogatives plus étendues vis-à-vis de ses partenaires nationaux et étrangers et de la doter d'un mode de fonctionnement et de gestion encore plus souple conformément aux standards internationaux », soutient M. Hibouche. Absence de collaboration des professions libérales Interrogé sur l'écart important entre le nombre des déclarations de soupçons transmises à la CTRF et celui des dossiers soumis à la justice suite à ces rapports, il explique que les banques déclarent, souvent, les dépôts financiers importants qu'elles jugent suspects, alors que la CTRF se prononce uniquement sur les affaires de «blanchiment avéré» en coordination avec d'autres institutions nationales concernées. En effet, explique-t-il, le montant d'un dépôt bancaire, qui interpelle souvent les banques lorsqu'il est important, ne constitue pas une preuve irréfutable d'une opération douteuse puisque les blanchisseurs d'argent recourent, systématiquement, au fractionnement des dépôts et des transferts en petits montants pour ne pas attirer l'attention des banques. Par ailleurs, M. Hibouche déplore l'absence de collaboration de certaines professions libérales dont l'activité est, pourtant, de nature à être particulièrement utile pour débusquer les blanchisseurs d'argent, telles les professions de notaires, agents immobiliers, concessionnaires automobiles, huissiers, avocats, experts-comptables, commissaires aux comptes et les commissaires en douane. Mais aucune déclaration de soupçons n'a été émise par ces professions depuis l'entrée en activité de la CTRF en 2005, alors que la loi relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d'argent les soumet à «l'obligation de déclaration de soupçons». En vertu de cette obligation, note cette loi, ces professionnels sont tenus de «déclarer à la CTRF toute opération portant sur des capitaux paraissant provenir d'une infraction ou semblent destinés au blanchiment de capitaux et/ou financement du terrorisme». D. H. Une loi adoptée il y a plus de 10 ans et qui souffre d'inapplication L'Algérie dispose d'une loi de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, et d'un dispositif complémentaire, dont plusieurs textes d'application. La Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée a été adoptée en novembre 2000. Elle a été ratifiée par l'Algérie en février 2002. La transposition de cette convention en droit interne en Algérie a été faite parallèlement, et complète, à celle de la Convention des Nations unies contre la corruption. Le 14 juin 2003, l'Algérie a voté la loi relative à la répression de l'infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l'étranger. En décembre 2004, a été mise en place une Cellule gouvernementale du traitement du renseignement financier (CTRF) auprès du ministère des Finances. Cette cellule est opérationnelle depuis décembre 2004 et serait, selon la réglementation algérienne, «un organisme indépendant chargé de recevoir, d'analyser et de traiter les déclarations de soupçon relatives aux opérations bancaires ou financières susceptibles de constituer des infractions de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme». C'est le 6 février 2005 que fut promulguée la loi contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Quelques mois plus tard, le 31 décembre 2005, était signée la loi relative à la lutte contre la contrebande. Le 9 janvier 2006, en application de la loi de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, était signé le décret exécutif sur la déclaration de soupçons de blanchiment d'argent, décret qui a précisé les modalités d'établissement de la déclaration de soupçons à laquelle sont tenues toutes personnes physiques ou morales qui seraient amenées à douter de la légalité de l'origine ou de la destination de fonds manipulés. La déclaration de soupçons est, ainsi, rendue obligatoire, y compris dans le cas où il a été impossible de surseoir à l'exécution des opérations concernées ou postérieurement à leur réalisation.