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Athées, n'avouez jamais !
Publié dans Le Soir d'Algérie le 08 - 06 - 2015


Par Ahmed Halli
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Dans nos sociétés modernes où la liberté de croire, ou de ne pas croire, de prier seul ou en public est normalement garantie par la Constitution en vigueur, interroger quelqu'un sur sa foi est une atteinte à cette liberté. Dans ces sociétés où les règles de la décence s'attachent aux habits féminins et aux barbes cache-sexe, on a oublié qu'il est indécent de demander à quelqu'un s'il est athée. Plus crument, s'il croit ou non à l'existence d'un être supérieur, nommé Dieu, qui est à l'origine de la création. Interpeller publiquement un illustre inconnu ou une célébrité littéraire ou artistique en lui demandant d'avouer son athéisme est plus indécent encore que de lui demander s'il est circoncis ou non. Et ce manque de décence, de respect envers soi-même et envers les autres est malheureusement fréquent de nos jours. La question inquisitoriale est encore plus malvenue, pour ne pas dire malhonnête, lorsque la réponse est déjà connue. Surtout lorsqu'elle est posée en termes excluant tout débat sur le sujet, du genre projecteur dans les yeux : «Allez, avoue que tu es un athée!», alors qu'il aurait été plus stimulant de dire : «Pourquoi et comment êtes-vous devenu athée ?», sans doute, est-ce trop demander et supposer que s'il y a des coupables, il y a forcément des questions innocentes et totalement dénuées d'intention de nuire ? «Alors, êtes-vous athée ou non ?» La question posée ainsi à brûle-pourpoint, et sur un plateau de télévision, exige que l'interviewé, ou l'accusé si vous préférez, soit au courant de la présence du coupeur de têtes, hors du cadre ou dans les coulisses. Sommé de choisir entre une vie pas très rose et un trépas quasi-certain, «l'invité» du tribunal de l'index peut sacrifier à la mode du moment. «Oui, athée, je le fus naguère, mais par la grâce de Dieu, j'ai retrouvé mes esprits, j'ai quitté le chemin de l'errance et je suis revenu sur la bonne voie, qui passe pour moi par un prochain pèlerinage.» Une phrase bateau qui ne mange pas de poisson, hors de prix, mais qui risque d'envoyer par le fond le talk-show, son concept et son animatrice- procureure. C'est la voie à suivre, si vous êtes réellement un athée, désireux de continuer pour longtemps encore à nier l'existence de Dieu, tout en invoquant son nom, dans les moments sombres de l'existence. Toutefois, et connaissant vos convictions et leur profond ancrage, ainsi que vos impulsions téméraires irrésistibles, je suis certain que vous diriez : «Oui je suis athée, sans contredit !» Et que vous iriez poser votre tête sur le billot, donnant ainsi le signal au bourreau, mais en gardant l'initiative de vous rétracter au dernier moment, les repentirs les plus tardifs étant les plus gratifiants (voir les illustres prédécesseurs). Moralité : n'avouez jamais en ce siècle troublé et bizarre ce que vous auriez trouvé normal de reconnaître au siècle dernier, celui de la théorie de la relativité, d'Einstein, celui d'Ali Abderrazak, et de Mohamed Abdou. Il y a eu aussi, plus près de nous, la plateforme de la Soummam, Kateb Yacine, Benhadouga, Mimouni, et Boudjedra, mais ils ne parlent plus à ce peuple. En parlant de la façon de formuler une question, selon que l'on ait une idée sous le front ou derrière la tête, et s'agissant d'athéisme, je me suis rappelé que le monde musulman n'a pas toujours été celui des dangereux aveux que nous connaissons. Parlant la semaine dernière, des atteintes actuelles aux libertés, notamment à la liberté d'expression, l'écrivain égyptien Ala Aswani a évoqué l'époque où l'on pouvait se dire athée sans risquer la censure ou la mort. A titre d'exemple, il a cité le cas d'Ismaïl Adham, l'auteur du célèbre pamphlet «Pourquoi je suis athée?», publié en 1937, il y a près de 80 ans donc. Le livret d'Adham suscita un grand débat intellectuel, auquel participèrent de grands noms des arts et des lettres, comme Mustapha Al- Aqqad, Moussa Salama ou Ahmed Zaki. Ce dernier répliqua par un texte intitulé «Pourquoi je suis croyant?», alors que l'auteur des «Abqariates», Al-Aqqad, avait accusé Adham d'avoir plagié le philosophe anglais Bertrand Russel. Quant à Moussa Salama, il avait fustigé, au nom de la liberté de croyance, la réaction de Youssef Dejoui, alors recteur d'Al-Azhar, qui avait demandé l'interdiction du livre d'Ismaïl Adham. Dans la revue de la célèbre université, le recteur avait invoqué l'article 49 de la Constitution de 1923, instituant l'Islam comme religion d'Etat, alors que les articles 12, 14, et 16 de la même Constitution garantissaient la liberté religieuse. De fait, le gouvernement de Mustapha Nahas obtempéra aux injonctions du recteur d'Al-Azhar en interdisant le livre et en saisissant les exemplaires trouvés lors d'une perquisition au domicile d'Adham. La découverte du livre de Bertrand Russel, portant le même titre, dans la bibliothèque d'Ismaïl Adham, étaya un moment l'accusation de plagiat, lancée par Al-Aqqad. Toutefois, l'analyse des deux ouvrages, faite par la suite par des spécialistes prouva que si Bertrand Russel avait sans doute inspiré Adham, ce dernier n'avait pas été jusqu'à le plagier. Toujours est-il que l'auteur de «Pourquoi je suis athée?» fut retrouvé mort en 1940 sur une plage d'Alexandrie, et l'enquête avait conclu à un suicide par noyade. Une lettre trouvée sur lui confirma cette thèse, en même temps qu'elle contenait ses dernières volontés : il voulait que son corps soit brûlé, après que son cerveau eut été préalablement soumis à une autopsie. Aucune de ces deux exigences ne fût respectée, et Ismaïl Adham est enterré dans un cimetière musulman d'Alexandrie, sans soulever d'émois particuliers. Ce qui ne serait sans doute pas le cas, aujourd'hui, où la moindre tentative d'échapper à la norme wahhabite peut vous valoir d'être interdit de sépulture en terre consacrée. Avouez que ce n'est pas facile de parler vrai, de nos jours !


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