Par Ahmed Halli [email protected] 10 morts au Niger, plusieurs églises détruites, ou l'art de venger une offense par une autre offense, et la liste reste ouverte. Sous prétexte de défendre Mohammed, on brûle l'Eglise de Jésus (Aïssa), alors que le pape en personne a dit son opposition à la liberté de s'attaquer au sacré, au nom de la sacro-sainte liberté d'expression. Cette guerre de prophètes, qui ne l'ont pas voulue, risque de perdurer, parce qu'il y a tant de casus belli, et plus nombreux encore sont les fauteurs de guerre. Après avoir épuisé le filon «Charlie», les vengeurs se tourneront sans doute vers Dante, et son enfer, avant de s'attaquer ensuite à Voltaire. Il suffira de traduire en arabe et de diffuser sur le Net ce qu'ils ont écrit sur le Prophète de l'Islam et l'étincelle jaillira. Pas celle de la vie ou de l'intelligence, mais l'étincelle de l'incendie, qui détruit de préférence des églises, voire des synagogues, et pourquoi pas des mosquées chiites. Il suffit qu'un prédicateur reprenne un texte, jusque-là ignoré, une vidéo jamais vue, pour que les survoltés de la piété entrent en action et se prennent à crier «Je suis Mohammed». Ils pourront toujours ajouter, in extremis, la préposition «avec», après s'être aperçus de l'infraction à leurs propres règles, mais le mal est fait, et par ceux-là mêmes qui mettent en garde contre l'imitation aveugle de l'Occident. Je n'ose imaginer ce qu'ils auraient trouvé si c'était Dieu, lui-même, qui avait été offensé ici, comme il l'est quotidiennement par ailleurs. Beaucoup d'intellectuels musulmans pensent que ces attitudes insensées proviennent d'une vision à œillères des textes religieux, voire de leur méconnaissance totale par la masse des manipulés. Ces intellectuels plaident pour une réforme salutaire de l'Islam, ce en quoi je suis entièrement d'accord, à un détail près, celui-ci : avant de réformer l'Islam, on pourrait penser à réformer les musulmans, à commencer par les plus fondamentalistes, avec une pension d'invalidité permanente. Je pense très sincèrement que lorsqu'un être humain renonce à utiliser, à temps plein, les organes, autres que ceux pilotés par l'instinct, dont la providence l'a pourvu, il doit être, au mieux soigné. Or, il semble bien qu'il y a des cohortes de plus en plus grandes de musulmans, dociles par cécité, qui suivent des mots d'ordre dictés directement de Mossoul. L'écrivaine palestinienne exilée à Londres, Ahlam Akram, rapporte les propos singuliers de ce cheikh, britannique de naissance, interrogé par la BBC sur les problèmes actuels. À la question de savoir s'il préférait la Charia à la démocratie en Grande-Bretagne, il répond qu'il œuvre personnellement à l'application de la Charia dans tous les endroits du monde. La journaliste lui fait remarquer alors que les sentences de la Charia, telles que les montrent les vidéos de Daesh, sont d'une sauvagerie et d'une barbarie incompatibles avec ce siècle. Et il répond : «C'est ce que Dieu a voulu, et nous sommes tenus d'exécuter ses volontés.» Lorsque l'animatrice de la BBC lui demande, enfin, pourquoi il ne va pas rejoindre Daesh, puisqu'il est d'accord avec les idées professées par l'Etat islamique, il répond, catégorique : «Si le gouvernement britannique ouvre les portes à ceux qui veulent abandonner la nationalité britannique et rejoindre le djihad, vous verrez des files de jeunes Britanniques qui veulent rejoindre l'armée de l'Etat islamique.» Dans une autre émission de la BBC, un imam demande à un groupe de musulmans britanniques combien d'entre eux approuvent les peines prévues par le Coran : la mort pour l'apostat et la lapidation pour la femme adultère. Tout le groupe a levé la main. L'écrivaine note également que sur une chaîne religieuse, le cheikh Haïthem Haddad, jouissant de sa liberté d'expression, affirme que «l'objectif fondamental des musulmans établis en Occident est d'y propager l'Islam». Est-il nécessaire de préciser de quel Islam il s'agit? Le Président égyptien semble avoir encore des espoirs concernant l'institution Al-Azhar qu'il vient d'appeler encore à se renouveler, à se réformer, voire lancer une véritable révolution religieuse. Lui-même en a provoqué une de révolution, bien modeste au demeurant, en faisant intrusion dans une église copte il y a une dizaine de jours, au moment où se célébrait la messe du Noël orthodoxe. Plus que la présence en elle-même, il faudra retenir surtout le discours qu'il a tenu à ses concitoyens coptes, depuis longtemps marginalisés, voire persécutés. Il a affirmé qu'il fallait dorénavant parler de citoyens égyptiens, sans distinction religieuse, cette distinction qui lèse surtout la minorité chrétienne. Quant à son discours d'Al-Azhar, si le Président égyptien a critiqué ouvertement l'institution pour ses carences et ses errements, il semble encore croire à sa rédemption. Ce qui n'est pas du tout le cas du journaliste et chroniqueur de télévision, Ibrahim Aïssa, persuadé qu'Al-Azhar est en grande partie responsable des dérives religieuses de ces dernières années. À l'instar du ministre égyptien des Waqfs, il affirme que l'institution millénaire est infiltrée et gangrenée par l'islamisme et ses avatars salafistes, et ce au vu et au su de ses dirigeants. «Comment peut-on confier le choix de réformer l'Islam à une institution qui a échoué non seulement en Egypte, mais dans le monde entier, et qui a permis aux groupuscules intégristes de faire la loi?», interroge-t-il. Pour lui, un failli ne peut entreprendre, et à ce titre, Al-Azhar peut être considérée comme une faillite monumentale. D'où son étonnement de voir Sissi faire encore confiance à Al-Azhar et lui abandonner l'initiative de renouveler le discours religieux et de lancer une réforme religieuse qu'elle est incapable de mener à bien.