Par B. Nouioua Une campagne est menée sur une grande échelle contre le riba. Elle est propagée à travers la presse écrite en arabe, certaines chaînes de télévision, les réseaux sociaux et même quelquefois dans les mosquées, etc. Le riba est interdit dans l'islam d'une manière catégorique, cela ne fait aucun doute et ce n'est pas lui qui est en question. Le problème vient du fait qu'on assimile souvent, sans aucune explication sans aucune nuance, l'intérêt bancaire, tel qu'il est pratiqué actuellement, au riba. Ceux qui rappellent l'interdit frappant le riba appliquent cet interdit non seulement à l'intérêt bancaire mais également à l'activité bancaire conventionnelle, et ce, avec une aisance déconcertante. Ils promettent les pires châtiments divins aux responsables des entreprises et aux personnes physiques qui recourent aux crédits bancaires et payent des intérêts ou mettent leur argent dans les banques et perçoivent des intérêts. Ils condamnent ainsi ceux qui veulent développer leurs activités ou réaliser des projets en faisant appel à des concours bancaires. Comme ils condamnent ceux qui veulent mettre leurs ressources financières à l'abri et les faire fructifier en faisant des placements bancaires. Leurs condamnations couvrent, outre les banques conventionnelles, le Trésor public puisqu'il émet des bons du Trésor et des obligations qui comportent des intérêts. Profitant de l'attachement de la population algérienne à l'islam, les éléments qui diffusent ces points de vue cherchent à lui inculquer les idées les plus rétrogrades, les plus nuisibles qui l'empêchent de réfléchir, de faire la distinction entre le bien et le mal, d'évoluer, de progresser et de contribuer utilement au développement du pays. Si les banques ne trouvent plus de déposants, ni de clients qui sollicitent leurs crédits, elles ne peuvent plus exercer leurs activités. De même, si le Trésor public ne peut plus lancer des emprunts, faute d'emprunteurs, il éprouvera des difficultés de trésorerie et ce sont tous les services de l'Etat qui en pâtiront. Peut-on concevoir à l'époque actuelle qu'un pays puisse fonctionner, se développer et répondre aux besoins de sa population sans disposer d'un système bancaire et d'un système financier? Alors qu'ailleurs on cherche à rendre ces systèmes plus efficaces, plus performants, dans notre pays, certains ne pensent qu'à les faire disparaître parce que, selon eux, ils pratiquent le riba. Ces gens ignorent le plus souvent la nature des activités bancaires et financières et n'ont qu'une connaissance très superficielle du riba. Ils se contentent de répéter les versets du Coran, les hadiths (paroles) du Prophète(QSSSL) et les commentaires des exégètes des premiers siècles de l'islam se rapportant à ce sujet sans bien les comprendre, ni savoir d'une manière claire les opérations qu'ils visent. Riba signifie dans la langue arabe surplus, accroissement. Le Coran le cite huit fois et les hadiths qui l'abordent sont nombreux. Par contre, il n'existe pas une définition précise le concernant. Il semble que le riba ait été très répandu avant l'avènement de l'islam. On dit que Abbas, l'oncle du Prophète et dont le nom est à l'origine de la fondation de la dynastie des Abbassides, Othman ben Affan, le troisième calife, Khaled ben Walid, le fameux conquérant, pratiquaient pendant cette époque le riba. Ce dernier a continué à avoir largement cours du temps du Prophète, ce qui expliquerait peut-être les termes très sévères utilisés dans certains versets du Coran à l'égard de ceux qui y restaient attachés. Le riba qui était en usage à ces époques concernait les prêts avec intérêts et davantage le troc de marchandises. A ce sujet, il y a lieu de signaler que les Arabes n'avaient pas en ces temps de monnaie propre. Ils utilisaient les monnaies des Romains et des Perses et pratiquaient, semble-t-il, souvent le troc (échange de marchandises contre d'autres marchandises). Il était interdit et sévèrement condamné dans les deux cas (prêt et troc) pour les raisons ci-après. Les prêts, qu'ils aient été accordés pour couvrir des besoins de consommation ou développer des activités, comportaient toujours des intérêts excessifs, exorbitants. De ce fait, le capital prêté doublait, triplait, etc. très rapidement. Quant aux échanges, effectués sous forme de troc, ils étaient déséquilibrés et portaient par conséquent préjudice à l'une des parties. La prohibition du riba dans l'islam est intervenue pour mettre fin à ces abus, pour introduire de la justice, de l'équité, de la probité, de l'équilibre dans les opérations de prêts et dans les échanges. Un hadith dit expressément que les transactions doivent être équilibrées en ce qui concerne tant la qualité, la quantité que la durée. Un des versets du Coran se rapportant au riba se termine de la sorte «La tathlimoun wa la touthlamoun», ce qui pourrait être traduit comme suit : «Ne lésez pas autrui et ne soyez pas lésés.» C'est à la lumière de ces principes, de ces valeurs qui sont universels qu'on doit juger l'intérêt bancaire et les activités bancaires et financières d'une manière générale. Dans la mesure où ils n'entraînent ni exploitation, ni injustice, ni dommage pour aucune des parties concernées, ils ne devraient pas être prohibés, estiment beaucoup de ceux qui s'intéressent à ces questions. Les banques n'existaient pas du temps du Prophète, ni durant les siècles où les jurisconsultes (fouqaha) avaient élaboré leurs exégèses, lesquelles continuent à être la référence pour certains. Les opérations qu'effectuent, à l'heure actuelle, les banques et les institutions financières n'ont rien de commun avec les pratiques qui avaient cours à ces époques et qui avaient fait l'objet d'interdiction. Les banques exercent maintenant leurs activités dans un cadre réglementé, organisé avec la mise en place de contrôles aussi bien internes qu'externes, et ce, dans le but d'éviter précisément que leurs clients (déposants ou bénéficiaires de crédits) ou qu'elles-mêmes subissent des préjudices. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu ou qu'il n'y a plus de dérives, de défaillances, d'abus dans ce domaine. Tout le monde sait qu'il existe des banquiers et des financiers malhonnêtes, sans scrupules ou qui se comportent en aventuriers et provoquent, par leurs méfaits, la ruine de commerçants, d'entrepreneurs, de familles et parfois la faillite de leurs banques et de leurs institutions. D'un autre côté, le recours imprudent, démesuré et sans contrôle au crédit de la part d'individus, d'entreprises ou d'Etats, leur crée d'énormes difficultés. A titre d'exemple, notre pays à la fin des années 1980 et au début des années 1990, à la suite de l'insuffisance de ses recettes en devises, s'est mis, pour couvrir ses importations et faire face au service de la dette extérieure, à accepter des crédits très chers. Ces crédits étaient obtenus auprès des banques étrangères avec des taux d'intérêt élevés auxquels s'ajoutaient, ce qu'on appelait des «sweatners», des commissions. Le pays a fini par se retrouver dans une situation inextricable et a dû faire appel à l'assistance du FMI et de la Banque mondiale et mettre en œuvre leurs programmes d'assainissement et d'ajustement structurel. Les conséquences ont été en grande partie catastrophiques. La monnaie nationale a perdu l'essentiel de sa valeur, le taux d'inflation a atteint 30%, celui du chômage s'est élevé au même niveau, plusieurs couches de la population se sont complètement appauvries. L'amélioration n'est intervenue que grâce à l'augmentation du prix du baril de pétrole à partir de l'an 2000. L'autre cas qui peut être cité est celui qui a été vécu ces dernières années par certains pays européens, notamment l'Espagne, le Portugal, l'Irlande, la Grèce qui se sont fortement endettés. Ils ont été, de ce fait, confrontés à des crises graves d'ordre financier, économique, social et politique. Pour redresser leurs situations, ils ont dû adopter des mesures très sévères. La Grèce est toujours empêtrée dans ses difficultés. Les erreurs, les fautes commises par certains banquiers et certains de leurs clients ne doivent pas entraîner la condamnation du crédit bancaire et des banques. C'est grâce aux banques que les pays actuellement développés ont pu faire évoluer leur agriculture, leur industrie, créer des richesses et assurer leur prospérité. En Algérie, la mise en valeur de l'exploitation des hydrocarbures qui génèrent maintenant les ressources indispensables pour couvrir les besoins du pays, a pu être réalisée également grâce, en partie, aux crédits extérieurs. Il faut dire que cela s'est fait notamment à une époque où l'endettement extérieur était destiné à financer les investissements productifs et son obtention donnait lieu à des études et négociations sérieuses. Sans un système bancaire efficace, aucune économie ne peut fonctionner, ni progresser. Reconnaissant l'importance des services rendus par les banques, des penseurs musulmans contemporains, tout en estimant que l'intérêt est prohibé, ont appelé à la création de banques islamiques. Ces banques doivent, selon eux, exercer leurs activités en conformité avec la charia, c'est-à-dire en excluant notamment l'intérêt, et dans le respect des principes et valeurs de l'islam. Ils considèrent que le taux d'intérêt bancaire est illicite pour différentes raisons. Principalement parce qu'il est fixé à un niveau déterminé à l'avance, sans tenir compte du résultat qui sera réalisé à la suite de l'utilisation du crédit. Les prêts bancaires, d'autre part, font supporter, disent-ils, tous les risques par l'emprunteur. Pour éviter ces écueils, les promoteurs de banques islamiques se réfèrent en particulier à un verset du Coran dont la traduction est «Dieu a autorisé le commerce et a interdit le riba» et l'utilisent pour donner un caractère commercial aux opérations bancaires de façon à ce qu'elles deviennent compatibles avec la charia. Les financements accordés par les banques islamiques ont par conséquent pour noms : moudharaba (commandite), mourabaha (vente avec profit), ijara (crédit-bail ou leasing), moucharaka (participation à la gestion et au résultat ou joint-venture). Lorsque par exemple un client veut avoir une voiture, la banque islamique, au lieu de lui accorder un prêt avec intérêt, est censée acheter elle-même la voiture et la lui vendre avec un profit calculé sous forme d'un pourcentage qui s'ajoute à la tranche du financement à rembourser. Le taux d'intérêt devient ainsi la marge de profit. En réalité, la banque islamique effectue les mêmes opérations de financement que la banque conventionnelle en leur donnant un habillage islamique. Quoi qu'il en soit, l'action menée par les partisans des banques islamiques a donné ses fruits. Un réseau de ces banques s'est développé à partir des années 1960 dans plusieurs pays musulmans et même dans certains pays occidentaux. Leur nombre s'accroît de plus en plus ainsi que leurs avoirs financiers qui atteignent maintenant des centaines de milliards de dollars. Elles s'emploient à diversifier leurs opérations aussi bien celles de financement que celles de collecte de fonds. Les soukouk (obligations) ont maintenant un marché relativement étendu. Des pays occidentaux ont commencé à y recourir. L'existence des banques et des institutions financières islamiques a le mérite de permettre aux musulmans de prendre en charge la gestion d'une partie de leurs ressources financières et de se faire une place dans le système bancaire et financier opérant à travers le monde. Toutefois, de nombreux défis restent à relever dans ce domaine. C'est ainsi qu'il n'existe pas de grandes banques islamiques de caractère international ni de grandes places financières islamiques. Beaucoup d'organismes, d'institutions et d'instruments nécessaires pour l'exercice et le développement des activités bancaires et financières de caractère islamique manquent encore. Des chercheurs sincères et engagés déploient des efforts pour combler les lacunes en vue de mettre ces activités au même niveau que les activités bancaires et financières traditionnelles. A côté d'eux, quelques chouyoukh ont fait de la conformité avec la charia un fonds de commerce qu'ils exploitent pour s'enrichir. Ils s'ingénient, pour se rendre indispensables, à introduire des complications de caractère formel dans la solution des problèmes qui se posent. Ces complications ne rendent pas les opérations ni plus sûres, ni plus équilibrées, ni plus justes. L'industrie bancaire et financière islamique a plutôt besoin de procédures simples et claires pour être plus facilement adaptée et se répandre davantage. La Banque islamique de développement, installée à Djeddah, a précisément mis en place, dès son démarrage en 1975, des formes de financement conformes à la charia mais souples. Assistée par un jurisconsulte éclairé, d'esprit ouvert, elle a pu diversifier et multiplier ses opérations de financement au profit des pays membres, tout en contribuant à étendre et à renforcer l'activité des banques et des institutions financières islamiques. Elle joue un rôle important dans ce secteur en s'attachant à y mettre de l'ordre et à le doter d'un cadre réglementaire de façon à éviter les défaillances. Comme dans le secteur bancaire conventionnel, des banques islamiques mal gérées à cause de l'incompétence, l'imprudence ou la malhonnêteté de leurs dirigeants ont été liquidées et provoqué des difficultés à leurs clients et leur ont fait subir des dommages. C'est dire que les appels pour plus de moralité dans les activités bancaires et financières s'adressent aussi bien à celles qui sont conventionnelles qu'à celles qui sont islamiques. Il est indispensable que les responsables de ces institutions ne soient pas mus uniquement par la réalisation de profit mais qu'ils exercent leurs fonctions dans le but de servir la société et l'économie dans le respect des principes de probité, de prudence, de transparence et de dévouement. Ils doivent considérer leurs activités comme un service public qui fonctionne en conformité avec les exigences de ce dernier. Pour revenir à la question du riba, il y a lieu d'indiquer qu'une banque, qu'elle soit conventionnelle ou islamique, a besoin pour continuer à exister et à fonctionner de collecter des fonds, qu'elle rémunère en partie, et d'utiliser ces fonds pour consentir des financements (des crédits) auxquels elle doit appliquer une rémunération pour avoir des revenus. Ces revenus lui sont nécessaires pour faire face à ses dépenses d'équipement et de fonctionnement. Ils lui sont nécessaires également pour réaliser des bénéfices et pouvoir ainsi distribuer des dividendes à ses actionnaires, se développer et payer des impôts. Aucune banque ne peut survivre, si elle accorde le crédit sans intérêt (kardih hassan). L'Etat attribue parfois, lorsqu'il dispose de beaucoup de ressources, ce genre de prêt (sans intérêt) mais cela ne fait pas partie de la bonne gestion des fonds publics. Dans la mesure où la rémunération reçue par la banque islamique ou la banque conventionnelle, en contrepartie des financements accordés, correspond au juste prix des services rendus sans qu'il y ait ni abus ni préjudice, pourquoi l'autoriser dans un cas en l'appelant profit et l'interdire dans l'autre parce qu'il porte le nom d'intérêt ? Refusant cette distinction, et tenant compte de l'utilité du crédit bancaire, les jurisconsultes d'El Azhar, en Egypte, estiment que l'intérêt bancaire est licite, ainsi que l'intérêt attaché aux bons et obligations du Trésor public. Ceux qui continuent à considérer l'intérêt bancaire comme étant riba se divisent en deux catégories. L'une a eu une réaction positive qui s'est traduite, comme indiqué, ci-dessus, par la constitution d'un réseau de banques islamiques qui fonctionne, selon elle, en conformité avec la charia et qui rend d'appréciables services. L'autre catégorie ne propose rien. Elle se contente de répéter les versets, les hadiths et les commentaires des exégètes des premiers siècles de l'islam qui condamnent le riba et d'agiter la menace du châtiment divin à l'intention de ceux qui y recourent. Bien que le Coran incite les êtres humains à utiliser la raison dont ils sont dotés, à réfléchir, ceux qui se réfèrent à l'interdiction du riba ne cherchent pas à savoir dans quelles circonstances sont intervenus les versets et les hadiths qui l'interdisent et quels sont les opérations et les comportements qu'ils visent. Alors que le Coran et les hadiths condamnent le riba qui était pratiqué davantage dans les échanges de marchandises, comme cela a été déjà indiqué, ils ne dénoncent que très rarement la spéculation, l'exagération de la hausse de prix pour réaliser plus de bénéfices, la vente d'articles de contrefaçon, l'écoulement de produits alimentaires périmés, etc. Ils restent complètement sourds aux arguments qui montrent que l'activité bancaire et l'intérêt qu'elle applique sont différents des pratiques considérées comme riba et ne peuvent, de ce fait, être déclarés illicites. Ils continuent ainsi à mener leur action nuisible sur tous les plans en se servant de la religion.