La corruption dans les pays africains n'est pas seulement la conséquence de facteurs internes. Elle est également générée par les relations économiques que ces pays entretiennent avec le reste du monde. On peut même présumer que, du fait de l'importance relative que revêtent dans des pays de faible dimension économique les flux de ressources induits par les programmes de coopération avec les bailleurs de fonds et les grands pays exportateurs, ce sont ces programmes qui créent massivement les occasions de rente de situation (prélèvement de ressources sans contrepartie en travail ou produits). Ils peuvent donc être considérés comme des causes majeures de l'extension des pratiques de corruption. La disproportion qui existe entre les niveaux de revenus locaux et la dimension des flux financiers en circulation est une circonstance aggravante qui rend souvent irrésistible la tentation des prélèvements illicites. Ces tentations sont souvent encouragées par les pratiques des grands exportateurs qui, pour enlever les marchés à la concurrence, recourent aux dessous-de-table. Les détournements peuvent alors atteindre des niveaux qui inquiètent les opérateurs internationaux et mettent en danger leurs créances et leurs investissements. La lutte contre la corruption rencontre des difficultés autrement plus fortes dans les rapports économiques internationaux que dans les rapports internes. D'ailleurs les méthodes utilisées pour promouvoir l'intégrité à l‘intérieur des Etats ne peuvent guère être étendues à la moralisation des relations internationales. En effet il s'agit alors de relations entre opérateurs qui ne sont pas soumis à la même loi, qui ne peuvent être arrêtés par la même police ni traduits devant les même tribunaux. Comme il n'existe pas de système juridique au niveau mondial, la lutte contre la corruption internationale repose sur la bonne volonté des Etats souverains. Tous les mécanismes de lutte mis en place reposent donc totalement sur l'adhésion des Etats et leur volonté de coopérer. Nous savons également que ces Etats sont de dimension et de puissance très inégales, qu'il n'y a pas d'altruisme dans les rapports internationaux, et qu'en l'absence d'une règle du jeu mondiale, qui protégerait les petits, ils sont nécessairement soumis à la loi du plus fort. Des citoyens engagés Il faut noter le nombre et la qualité des initiatives de lutte contre la corruption internationale. L'ensemble des organes et des personnes qui soutiennent le combat pour l'intégrité doivent résolument s'appuyer sur tous ces nouveaux moyens mis en place et exercer une pression constante pour le renforcement de leurs dispositions et l'extension de leur domaine d'application. L'ensemble de ces mécanismes internationaux doit être étudié de façon à en tirer le parti maximum contre les pratiques corrompues. Ils doivent être diffusés et faire l'objet d'une campagne de communication en direction des citoyens engagés contre la corruption et de l'opinion publique. Il ne peut en résulter que des avantages : au mieux cela permettra de faire reculer la corruption. Au pire cela aura relancé le débat et informé l'opinion publique sur les difficultés largement sous-estimées à réaliser les programmes de lutte contre la corruption présentés par les organisations internationales et les bailleurs de fonds. Ces derniers seront mis devant leurs responsabilités. Mais la communauté internationale n'aura pas été changée en profondeur pour autant. Tous ces programmes d'intégrité demeureront fragiles par ce qu'ils dépendront de la bonne volonté des Etats et en particulier des plus puissants d'entre eux. L'expérience de leurs pratiques dans le passé permet d'estimer qu'il n'y a aucune raison de penser que lorsque leurs intérêts centraux seront en jeu, ces puissances économiques accepteront de les sacrifier de leur plein gré pour faire progresser l'intégrité dans les relations économiques internationales. Il y a à ce constat cependant une exception de taille qui pourrait constituer une piste importante pour l'avenir : les cas dans lesquels la lutte anti-corruption correspond aux intérêts bien compris des grands acteurs. Bailleurs de fonds et crédits à l'exportation Par exemple, les bailleurs de fonds et en particulier la Banque mondiale pourraient s'engager de façon résolue et durable dans des programmes anti-corruption, lorsque les détournements et les pratiques frauduleuses sont de nature à compromettre la sécurité de leurs prêts et la réussite de leurs projets de développement. Il en est de même dans le cas des assurances crédit à l'exportation. Dans ce cas, les chances de succès des mesures anti-corruption sont réelles car elles correspondent aux intérêts croisés des partenaires. L'assureur peut échapper à son obligation d'indemniser l'exportateur s'il prouve que ce dernier a obtenu le marché par la corruption. Cette mesure est fortement dissuasive pour l'exportateur corrupteur qui risque de perdre et la valeur de ses exportations et ses cotisations d'assurance. En dehors de ces cas, qui restent malheureusement trop rares, la meilleure garantie pour un pays du Sud, c'est encore la mise en place, avec le soutien des citoyens organisés contre la corruption, d'un système national d'intégrité. Si ce pays ne peut être assuré de contrôler et de sanctionner l'opérateur étranger qui est le corrupteur, il lui reste la possibilité de dissuader le corrompu potentiel qui est sous sa juridiction. Cette importance du système national d'intégrité a d'ailleurs une portée générale. On ne peut guère concevoir de lutte crédible contre la corruption extérieure que fondée sur l'existence d'un système national d'intégrité dynamique résultant d'une coalition entre l'Etat, la société civile et le secteur privé, et disposant du soutien des citoyens. C'est cette présence forte des structures intérieures de lutte contre la corruption qui permet de saisir les opportunités de réforme des mécanismes internationaux d'intégrité et de les convertir en changements réels dans la société.