[email protected] Nassima panique. A quelques jours de l'Aïd El Fitr, elle n'a toujours pas acheté les vêtements pour Merzak, son petit bout de chou de sept ans, et la petite Naïla qui va sur sa cinquième. Cette maman est réputée pour son coup de barre légendaire après le f'tor. Elle est carrément à ramasser à la petite cuillère. Le seul moyen est de faire ses emplettes la journée. Prévoyante, elle se lève tôt, prépare son dîner, fait son ménage, prend sa douche, puis confie ses enfants à sa voisine. Jusque-là rien d'extraordinaire, sauf qu'à l'extérieur, il fait 38 degrés à l'ombre. Nassima n'en a cure. Ce n'est pas la chaleur qui va la dissuader. Il faut que ses deux gamins aient, comme tous les autres, leurs nouveaux habits. Il est dix heures et le soleil tape à faire cuire un œuf. Un vent chaud, tel un chalumeau lui brûle le visage. Nassima attend un taxi. Le visage ruisselant, elle s'évente en espérant ne pas s'éterniser à la station. Elle finit par sauter dans le taxi après une bonne demi-heure d'attente. Arrivée au centre-ville, elle arpente haletante les rues commerçantes. La gorge sèche, la langue pâteuse, elle presse le pas et entre dans le premier magasin en quête de fraîcheur, et s'y réfugie, le temps de reprendre son souffle. Elle n'a pourtant rien à faire dans cette boutique de vêtements pour hommes. Elle s'éponge le visage devenu rouge sang, fait mine de choisir quelques articles, puis quitte les lieux. Dehors, le contraste de température la choque. Elle commence à ressentir de fortes douleurs à la tête. Mais elle continue le lèche-vitrine. Elle fait deux, puis trois magasins, arrive enfin au quatrième elle ne sent plus ses jambes. Elle reprend vie. Le froid de la climatisation lui donne un coup de fouet. Elle trouve enfin son bonheur. Ça y est Naïla et Merzek ont leurs tenues. Elle passe à la caisse puis s'empresse de sortir. Elle hèle un taxi, mais il ne s'arrête pas. Elle se dirige alors vers la station de bus, mais avant elle a une petite trotte à faire. Elle est en nage, sa bouche est asséchée elle ne peut plus avaler sa salive, elle suffoque, ses jambes ne la supportent plus. Elle résiste et poursuit son chemin, quand tout à coup elle titube et tombe. Une foule l'entoure. «Vite de l'eau !» On l'évente, l'asperge d'eau. Une femme s'écrie : - Mais donnez-lui à boire ! Un homme la fixe : - C'est rien, l'eau la rafraîchira, elle ne va pas gâcher son carême. D'autres ne sont pas d'accord, les «fatawate» vont bon train pendant que la malheureuse est toujours inconsciente. Du groupe en plein négoce qui décide du sort de Nassima, un homme d'un certain âge surgit une bouteille à la main : -Arrêtez vos balivernes et appelez plutôt une ambulance ! Il lui donne quelques gorgées d'eau qui la désaltèrent, elle ouvre les yeux, regarde tous ces gens autour d'elle. Elle ne comprend rien. Elle se relève honteuse, ajuste son foulard et murmure : - Mais qu'est-ce qui s'est passé ? Où suis-je ? Son sauveur lui répond : -Ce n'est rien vous avez eu un malaise, une ambulance va vous conduire à l'hôpital. -Non, ce n'est pas la peine, je me sens mieux, je vous remercie. Je vais prendre un taxi, mes enfants m'attendent. Elle prend ses jambes à son coup puis disparaît. «Mon Dieu, quelle honte ! Si mon mari l'apprenait...»