Projeté en avant-première jeudi dernier à la salle Ibn Zeydoun, Opération Maillot de Okacha Touita revient sur le parcours singulier et cahoteux du Parti communiste algérien au sein de la lutte pour l'indépendance. Au lendemain de l'indépendance, l'Etat ne voyait le cinéma qu'à travers le canon du fusil d'un moudjahid et cela se comprend aisément puisque 132 ans de colonisation et sept ans et demi de guerre avaient leur droit à l'immortalité sur le grand écran. Plus de cinquante ans plus tard, ce même Etat renoue avec les anciennes habitudes et désire, cette fois-ci, créer un néo-cinéma révolutionnaire essentiellement destiné à donner un coup de jeune à une Histoire ayant perdu son superpouvoir de légitimation. Or, la conviction et le talent avec lesquels les jeunes réalisateurs de la postindépendance ont pu immortaliser cette belle lutte, se sont effilochés avec le temps et il n'en reste aujourd'hui qu'une vague sensation de déjà-vu, de lassitude et d'ennui... Depuis 2009, les autorités essaient de recréer l'effervescence des années 1960-1970 tout en détournant le regard des salles de cinéma délabrées, fermées ou boudées par le public. Une dizaine de productions dédiées à la guerre de Libération ont vu le jour mais rares sont celles qui ont réussi à distiller un réel renouveau sémantique à travers la célébration enfiévrée du combat anticolonialiste. Opération Maillot fait donc partie de ces films. Membre du Parti communiste algérien, l'aspirant Henri Maillot (campé par Martin Potard) est décidé à déserter l'armée française pour rejoindre le maquis. Nous sommes en 1956, ses camarades du PCA viennent de créer le groupe des Combattants de la Libération (CDL) et tentent d'établir des contacts avec le FLN. Maillot, quant à lui, signera sa désertion en détournant un chargement d'armes. A Blida et dans la vallée de Chlef, les membres du PCA sensibilisent la population à la lutte anticoloniale tandis que ses dirigeants attendent désespérément l'accord du FLN pour mener des actions communes. Or, l'on comprend à travers certains dialogues que ce dernier se méfie des communistes et ne veut surtout pas coexister avec une autre force de frappe. Planqué dans différents refuges à Alger, Henri Maillot envoie une lettre au journal Libération où il explique les raisons de son ralliement aux Algériens, avant de rejoindre le maquis et d'y rencontrer, entre autres, Mustapha Saâdane (Menad Embarek) et le trépidant Maurice Laban (Mathieu Brion), vétéran de la guerre d'Espagne et membre actif du PCA. Grave et austère, Martin Potard porte son personnage avec conviction et sobriété malgré son écriture rudimentaire et sa présence inexplicablement faible à l'écran. C'est qu'il apparaît aisément que le scénario coécrit par Okacha Touita et Nadia Char fait la part belle à un récit historique linéaire avec sa chronologie bien ordonnée et sa pesante masse informative et qu'il relègue au second plan la construction d'une dramaturgie solide où peuvent se mouvoir en toute fluidité les personnages et les éléments du récit. Pendant deux heures, les séquences sont rattachées bout à bout, certaines ne durant que quelques secondes et se faisant hâtivement couper, d'autres s'étirant à l'infini, créant ainsi un charivari narratif où l'on n'a jamais le temps de s'attacher à un personnage, de se forger une opinion ni de ressentir une émotion car il s'agit dans Opération Maillot de subir le récit et d'essayer tant bien que mal de «fuir» le schéma étroit auquel nous astreint le scénario. On parvient néanmoins à suivre avec intérêt l'interprétation de Martin Potard qui propose une palette de jeu riche en nuances et qui réussit admirablement à faire exister Maillot par-delà les tirades et les traits figés du héros ; on se laisse également séduire par la prestation de Mathieu Brion dans le rôle de Maurice Laban, tant il aura insufflé une énergie plus que bienvenue à un film qui en manque cruellement. Sous-armé, snobé par le FLN et traqué par l'armée française, l'éphémère maquis communiste n'a pourtant jamais été une expérience politiquement adolescente et militairement incompétente. Or, l'impression globale que le film en dégage est précisément celle-là : une bande d'idéalistes immatures ; des Rouges qui finissent comme des bleus ! Entre la désertion de Henri Maillot et sa mort au combat aux côtés de ses camarades, dans une embuscade de l'armée française, on aura assisté à un film quasiment documentaire tant il a tenacement dédaigné le langage de la fiction. A ce titre, Opération Maillot fait partie de ces productions algériennes qui ressemblent aux statues inaugurées récemment par les pouvoirs publics : sous un vernis hideusement doré, un tas de pierre mime maladroitement la morphologie des héros puis, une fois installé dans la perspective d'un grand espace, il fait perdre aux personnages leur stature, leur charisme et leur envergure ! Comme ces édifications, certains films cultivent inconsciemment une vision nanisée de l'Histoire !