Youcef Merahi [email protected] Anouar Benmalek, auteur d'O Maria, Fayard, 2006, fresque véritable sur l'histoire des morisques, leurs déboires après la Reconquista et leur évacuation manu militari vers l'Afrique du Nord, ouvrage très documenté qui a valu à son auteur certaines invectives, auteur également d'un récit douloureux écrit, je suppose, à chaud après le décès de sa mère, récit poétique, nostalgique, mais aussi hymne à la maman disparue, sous le titre Tu ne mourras plus demain, Fayard, 2011, nous revient avec un roman au souffle puissant, Fils du Shéol, Calmann-Lévy, 2015. Anouar Benmalek ne laisse rien au hasard, lui qui est toujours en retard d'un livre, à telle enseigne que pour cet ouvrage également, il a dû se documenter pour restituer la puissance évocatrice du Mal en puissance, à savoir la folie destructrice d'Hitler. Et de son invention de l'industrie de la mort, hélas si efficiente, notamment avec les chambres à gaz et les fours crématoires. Dans ce roman de plus de quatre cents pages, Anouar Benmalek retrace, avec minutie, l'ambiance de l'époque, l'histoire d'une famille juive allemande, dont l'épouse Elisa est une juive d'Algérie, victime des purges nazies, leur tentative de quitter l'Allemagne hitlérienne, leur arrestation par la gestapo, le gazage de leur fils unique Karl, et l'épouse sous les yeux du mari, mais aussi l'utilisation de juif dans les camps de la mort pour accélérer la cadence de mort contre les «fils du shéol». En lisant ce roman, je n'ai pu rester insensible sur l'indescriptible horreur qui y est décrite, surtout que l'auteur utilise le système des flash-back pour restituer le fil et obliger le lecteur à vérifier de lui-même l'horreur de Treblinka et autres camps de la mort nazis, mais aussi de ressentir l'incroyable souffrance des juifs de l'époque. Anouar Benmalek ne cessera pas de me surprendre par son insatiable curiosité sur les événements qu'il veut surprendre, en sa qualité d'écrivain qui se veut universel, pour nous prendre par la main et nous faire toucher du doigt à l'évidence même du mal. Pour cela, je dis à Anouar : «Bon retour !» Les best-sellers de Yasmina Khadra ne se comptent plus désormais. Brillantissime, conteur hors pair, architecte d'intrigues déroutantes, cet auteur nous propose, cette fois-ci, La dernière nuit du Raïs, roman à travers lequel il va surprendre pratiquement les dernières heures de Mouammar Kadhafi, en fuite devant une force populaire qui a renversé son régime personnel et dictatorial, mais qui, malheureusement, a engendré le chaos dans une Libye qui implose de partout. La technique d'écriture utilisée, ici, rappelle le genre grand polar (je me rappelle des grands titres, par exemple, de Frédéric Dard, dont Les salauds vont en enfer) pour happer, comme il se doit, l'ambiance, la personnalité des protagonistes, la psychologie du personnage principal – ici, Mouammar Kadhafi –, mais aussi le suspense dévolu à ce genre d'ouvrage. Très bien écrit, comme à l'accoutumée dans les ouvrages de Yasmina Khadra, La dernière nuit du Raïs justifie, si besoin est, de la maîtrise de cet écrivain de l'écriture filmique ; ceci pour dire que ce roman peut faire l'objet d'un film-documentaire sans problème. Je n'ai pas l'impression d'avoir lu un livre, mais j'ai plus l'impression d'avoir vu un film sur l'agonie (le mot est-il à sa juste mesure ?) du Raïs Kadhafi. Ce qui est intéressant à noter, également, ce sont les digressions politiques de Yasmina Khadra sur, notamment, les gouvernants arabes et leur infantilisme de gouvernance. Comme tous les poètes algériens, Mohamed Sehaba (salut poète de la démesure !) se fait éditer par Lazhari Labter, il faut oser malheureusement pour tenter l'aventure car décriée la pauvre poésie comme une honte portée dans les entrailles, un recueil au titre curieux, mais qui préfigure un grand malaise, Le poème que cherchait ma mère au milieu de 46 autres de la lumière du désir et de l'agonie, éd. LL, 2015. J'ai connu Mohamed Sehaba comme étant poète au long cours, ciselant des poèmes où foisonne un vocabulaire chatoyant et où le souffle doit être de mise pour suivre les circonvolutions du symbole, je le retrouve, cette fois-ci, il y a combien d'années déjà ?, dans un style de concision et d'urgence, comme si mon ami le poète fignole un hymne à la mort : «Assis/Plus que jamais assis/Cloué/Dans ce moment/Où j'avais tant prévu/Etre enfin/ Triomphalement levé/ Maudissant le chant qui m'a élevé/Respiré par la mort/Qui s'est glissé vers moi/De derrière le miroir» (page 24). Incontestablement et incontestable poète, Mohamed Sehaba nous dit, avec sa sensibilité déconcertante, la hauteur d'un poème (re)ssenti et le dévouement de celui qui le porte jusqu'à sa conclusion : «O poète, ô beau passeur ! Comme tu es profond !/Comme tu grimpes si bien et durent tes sommets/Quand tu portes le chant aux absents !» Qui sont-ils ces absents, ô Mohamed Sehaba ? Tes muses multiples ? Les poètes qui nous ont quittés ? Ton recueil n'y répond pas, à moins que je ne sois moi-même atteint d'autisme poétique. Je voudrais méditer, si tu me le permets, ce poème (page73) L'entrée dans l'ombre. Je voudrais également citer ce passage, viatique pour mes pas incertains : «Je donne à manger à la mort/Je ne dis rien, ne célèbre plus/Et cependant que l'univers des vivants me serait éteint/Un étrange soleil levant me parle. Me rassure : Il lange de sa lumière les notes tombées des chants que j'entends s'éloigner», page 73. Après la main, éd. LL, 2015, unique recueil de poésie de Hamid Nacer-Khodja, m'a accompagné des années durant, depuis pratiquement les années soixante-dix, j'en ai fait un livre de chevet, un confident, un gué des jours heureux et une source intarissable où j'ai bu l'eau de l'inspiration. Là, j'exagère, à peine. Sérieux, j'ai parcouru «la profonde terre du verbe Aimer» de cet être de Lumière qu'est Hamid Nacer-Khodja, adoubé dès son adolescence poétique par l'immense poète solaire, Jean Sénac. A telle enseigne que l'un continue le message de l'autre, au-delà de la mort. Car l'un est testamentaire littéraire de l'autre. Ascèse, inspiration profonde, architecture audacieuse, imploration douloureuse, poème répétitif dans la douleur cosmique jusqu'à l'écartèlement : voilà comment j'ai ressenti, et que je ressens toujours, la somme poétique, ainsi que son journal intime – Le jumeau –, de celui qui s'efface derrière le mot pour atteindre l'Autre. En guise de conclusion, je voudrais (r) assurer Mohamed Sehaba et Hamid Nacer-Khodja que je ne cesserai pas de parcourir le corps du poème jusqu'à l'ultime vertige.