[email protected] L'actualité économique de la semaine apporte une bonne et une mauvaise nouvelles. La (relativement) bonne nouvelle : le nombre de personnes dans le monde vivant sous le seuil d'extrême pauvreté (1,25 dollar par jour et par personne) s'est réduit pratiquement de moitié, passant de 1,9 à 1 milliard entre 1981 et 2011, alors que, dans le même temps, la population mondiale est passée de 4,5 à 7 milliards d'individus. Conséquence : le taux d'extrême pauvreté a été divisé par trois. Néanmoins, si l'extrême pauvreté a reculé dans toutes les régions du monde au cours des trente dernières années (ce recul est spectaculaire en Asie de l'Est et Pacifique, notamment sous l'impulsion de la Chine), le constat pour l'Afrique subsaharienne est moins positif. La part de la population concernée par l'extrême pauvreté n'a reculé que de six points en 30 ans (46,8 % en 2011 contre 52,8 % en 1981). C'est le seul continent où le nombre de personnes extrêmement pauvres a augmenté. Ce chiffre a même doublé : de 210 millions en 1981 à 415 millions en 2011. La mauvaise nouvelle est donnée par l'étude de l'organisation non gouvernementale (ONG) Oxfam, intitulée «Insatiable richesse», réalisée à partir des statistiques publiées chaque année par le Crédit Suisse et par le magazine Forbes, et rendue publique mardi dernier (*). L'étude indique que si les tendances récentes se poursuivent, «l'an prochain, le patrimoine cumulé des 1% les plus riches du monde dépassera celui des autres 99 % de la population. Cela donne la proportion suivante : les 80 personnes les plus riches du monde détiendront autant de patrimoine que 3,5 milliards d'autres personnes réunies qui représentent «les 50% les moins bien loties de la population mondiale». Du jamais vu dans l'histoire des inégalités et des injustices socioéconomiques. La «petite élite de fortunés» ou de «richissimes individus» ne cesse de rétrécir : ils étaient 85 l'an dernier, 388 en 2010. Parmi les dix milliardaires les plus riches, figurent cinq Américains (Warren Buffet avec 58,2 milliards de dollars, Michael Blomberg 33, Carl Icahn 24,5-, George Soros, Abigail Johnson 17,3-), deux Russes (Mikhail Prokhorov, Alexey Mordashov), un Brésilien (Joseph Safra) un Colombien (Luis Carlos Sarmiento) et un Saoudien – il en fallait bien un ! – le prince Alwaleed Bin Talal Alsaud, quatrième fortune mondiale avec 20,4 milliards de dollars provenant de différents investissements. L'étude montre que les inégalités sont vertigineuses et elles s'accroîssent à grande vitesse. Ainsi, la part du patrimoine mondial détenue par les 1 % les plus riches est passée de 44 % en 2009 à 48 % en 2014, et dépassera les 50 % en 2016. En 2010, la fortune nette des 80 personnes les plus riches au monde s'élevait à 1.300 milliards de dollars. En 2014, le montant atteignait 1.900 milliards, soit une augmentation de 50 % en l'espace de 4 ans. Ces fortunes ont été bâties et ont prospéré principalement dans les secteurs des assurances et de la finance, d'une part, de l'industrie pharmaceutique et des soins de santé d'autre part. «L'ampleur des inégalités mondiales est tout simplement vertigineuse et, malgré les questions brûlantes qui font l'actualité, le fossé entre les grandes fortunes et le reste de la population se creuse rapidement », souligne Winnie Byanyima, directrice générale d'Oxfam. «Au cours des douze derniers mois, les dirigeants du monde ont, à l'instar du président Barack Obama et de Christine Lagarde (NDLR : directrice générale du FMI), de plus en plus évoqué le besoin de réduire les inégalités extrêmes. Mais pour beaucoup, nous attendons encore qu'ils joignent le geste à la parole. Il est temps que nos dirigeants s'attaquent aux intérêts particuliers des poids lourds qui font obstacle à un monde plus juste et plus prospère». Oxfam appelle donc les Etats à adopter un plan en sept points pour lutter contre ces inégalités. En particulier, il faut mettre un frein à l'évasion fiscale des entreprises et des grandes fortunes, notamment en organisant cette année un sommet mondial sur la fiscalité. L'étude dénonce par ailleurs que les activités de lobbying les plus prolifiques se concentrent sur les questions fiscales et budgétaires. «C'est le secteur de la finance qui a apporté la plus grande contribution aux partis et aux candidats fédéraux» américains, alors que les secteurs pharmaceutiques et des soins de santé ont dépensé plus de 487 millions de dollars dans des activités de lobbying dans ce même pays. De Bruxelles, la Confédération syndicale internationale dénonce «un système économique mondial qui ne fonctionne plus pour six milliards de personnes». «Il faut un nouveau modèle économique pour les travailleurs et leurs familles afin que cesse la désintégration des démocraties et des économies. Le monde a besoin d'investissements et d'emplois», a expliqué Sharan Burrow, la secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale (CSI). «Le chômage de masse, la défiance envers les institutions, la hausse des inégalités et des extrémismes sont des risques auxquels sont confrontés les travailleurs, les employeurs et les dirigeants du monde entier», écrit la CSI. La CSI a effectué un sondage d'opinion dans 14 pays ; il établit que seul un individu sur deux pense que la génération à venir trouvera un emploi décent ; 78 % des habitants estiment que le système économique favorise les riches plutôt que d'être équitable pour la plupart des personnes ; et 2 % de la population mondiale désire que le pouvoir des entreprises soit maîtrisé. «Un aspect essentiel d'une "croissance universelle" doit être la réduction des inégalités de revenus et l'inversion de la diminution de la part des salaires dans la production et les revenus», a déclaré John Evans, le secrétaire général de la Commission syndicale consultative auprès de l'OCDE, qui est également le chef économiste de la CSI. Son propos est étayé par le fait que depuis les années 1980, les salaires réels n'ont pas augmenté au même rythme que la productivité, expliquant la diminution drastique de la part des revenus. Ainsi, au niveau mondial, la part des salaires a chuté de 62 à 54 %. Les dirigeants syndicaux ont conçu un plan qu'ils jugent « favorable aux investissements et aux emplois, aux salaires et à la protection sociale» et qui prévoit, entre autres mesures phares, «un changement de politique, impliquant des investissements dans la création d'emplois de qualité» et «un salaire minimum vital, la négociation collective, l'imposition progressive et la protection sociale». A. B. (*) Rapport thématique d'Oxfam, «Insatiable richesse : toujours plus pour ceux qui ont déjà tout», janvier 2015. www.oxfam.org