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La politique expliquée à mon fils
Publié dans Le Soir d'Algérie le 25 - 07 - 2015


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«Quand le monde marche droit, le peuple ne discute pas.»
(Les Entretiens de Confucius)
Mon fils a décroché à l'école. Il s'y ennuie ferme et pourtant il a la folie des grandeurs. Il caresse le rêve de devenir écrivain après que celui de devenir président lui eut passé. Là où sa mère enrage, de mon côté, je m'efforce de lui trouver des circonstances atténuantes. C'est qu'il a mis du temps à se remettre d'un choc psychologique gravissime. Il a aperçu son instituteur en train de vendre des galettes au marché. Le petit ne connaît pas le sport national qui consiste à arrondir les fins de mois chacun comme il peut, quitte à heurter les consciences.
Etant un peu fainéant sur les bords, la prise de bec tourne invariablement sur la douche après la séance de sport. Il en zappe une de temps en temps. Et figurez-vous que c'est tout à fait par hasard que j'ai percé l'énigme. Je l'ai surpris un jour en train d'apprendre une leçon d'éducation civique. Il ânonnait ceci : «Et je me douche une fois par semaine.» Intrigué, je lui arrache littéralement le livre des mains pour vérifier. A ma grande surprise le texte y était noir sur blanc.
Mon fils, en cinquième année de l'école fondamentale, a donc bien appris la leçon. C'est dans le livre pardi ! Et le livre, c'est sacré, non ? La douche, c'est une fois même si à l'école il a deux séances de sport par semaine.
En fait, sa mère en insistant sur la douche, a inconsciemment enclenché un processus de désacralisation du livre scolaire et de l'école. Quel paradoxe ! Qui l'aurait cru ? C'est vraiment cher payé la douche. Le petit se retrouve devant un sacré dilemme. Il doit appliquer quels préceptes ? Ceux contenus dans le livre ou ceux que sa mère essaie de lui inculquer tant bien que mal ?
Pour ma part, j'ai couvé une crise de nerfs carabinée. Comment peut-on mettre une ânerie pareille dans un manuel scolaire ? De deux choses l'une ; soit que le pédagogue, auteur de cette insanité, a enduré longtemps les pénuries d'eau, soit qu'il est du genre :
- la douche, c'est une fois par semaine pour les garçons et pour les filles c'est une fois la fin des règles ! Comme le cycle menstruel, c'est un peu tabou chez nous, il n'a pas osé pousser le bouchon plus loin. Sacré bon sang de mauvais sang ! L'honneur est sauf.
Les parents d'élèves devraient se mobiliser pour recenser les perles qui pullulent dans les livres scolaires dans une démarche de salubrité publique. Je n'en veux absolument pas à mon fils de ne pas avoir accroché à l'école. A cet âge-là qu'est-ce qu'il en a à cirer de la révolution agraire et de la gestion socialiste des entreprises qui n'est même plus d'actualité. J'attends de l'école qu'elle lui inculque le socle des valeurs universelles pour que demain, une fois grand, il ne bute pas sur cet écueil : «Sans principes communs, ce n'est pas la peine de discuter.» Mine de rien, cette lacune a été à l'origine de dégâts incommensurables. Qui a fait de nous un peuple intolérant ? je me pose la question. L'école doit m'aider à faire de mon enfant un honnête homme car «l'honnête homme est droit, mais pas rigide».
Depuis cet incident, l'institution scolaire a pris un sacré coup à mes yeux. J'ai essayé d'être plus proche du petit, genre on fait ami ami, dans une tentative désespérée de sauver l'élève Arslan. Et miracle, au bout d'un moment, j'ai réussi à lui inculquer le goût de la lecture. C'est la bouée de sauvetage pour tout élève en perdition. Cette médication est donc fortement recommandée.
Il est devenu d'une curiosité insatiable. Je l'ai vérifié à mes dépens au gré d'un fait que je croyais anodin. Il m'a accompagné dans l'un de mes voyages à Hassi Messaoud. On quittant l'aérogare, il s'est arrêté devant la stèle commémorative de Krim Belkacem.
- Papa c'est marqué chahid, mort en 1970, je ne comprends pas ; à l'école notre maitresse nous a expliqué que les chouhada sont morts durant la guerre contre la France, comme mon grand-père quoi !
Honnêtement, je ne me rappelle pas ce que j'ai pu bafouiller comme réponse et j'ai vite fait de passer à autre chose. L'histoire m'a rattrapé le lendemain au petit déjeuner. Il arrive, l'air malicieux, avec sa tablette qu'il range assidument au coin de la table. C'était sa pièce à conviction. Et il me lance une phrase assassine.
- Papa, hier tu m'as raconté des salades, en fait Krim Belkacem a été assassiné dans une chambre d'hôtel à Frankfurt. Pourquoi donc, c'était un homme bien pourtant ?
- Estomaqué, j'ai improvisé cette réponse : mon fils quand je le saurai, je te le dirai volontiers !
Google a encore fait des siennes. Pour moins que ça, en d'autres temps, on disparaît du circuit, cagoulé, pour être soumis à la question. Ce fut un temps. Aujourd'hui, ce que nous appelions communément la main de l'étranger, jadis, porte un nom : la toile. Elle n'est pas tissée par la main du diable mais par les réseaux sociaux.
Pauvre de moi ! Mon pays, c'est quand que tu vas assumer ton histoire, les pages les plus glorieuses et les plus sombres d'entre elles ? Pourquoi t'obstines-tu à ne pas grandir ? Aie au moins le courage de te regarder dans une «glace» les yeux dans les yeux. On aura froid dans le dos un bref moment. Ce ne sera même pas un mauvais moment. Quand vous prenez une douche froide, passé les premiers instants, c'est agréable et bon pour la santé. Ce sont les pages glorieuses qui importent ; ce sont elles qui donnent du sens à l'Histoire.
Excusez ce moment d'égarement et revenons aux moutons de mon fils et à son ambition présidentielle. Figurez-vous qu'il est allé jusqu'à concocter un programme avec deux idées : on arrête d'exporter notre pétrole ; on le garde pour nous et mise en place, illico presto, d'un plan national de gestion des ordures ménagères. Sur cette question, il a poussé le dossier jusqu'au détail : verbaliser sur-le-champ les personnes qui se feraient prendre en flagrant délit de jet d'immondices dans la rue.
J'ai joué le jeu en prenant le temps de débattre de son programme présidentiel. Il a vite fait de mettre son projet au placard.
- Mon fils, le pétrole on va arrêter de l'exporter pour de vrai car, bientôt, il n'y en aura pas assez pour nous et pour les ordures, c'est de la responsabilité de ta maman et de toutes les mamans d'Algérie pas du Président.
Pour être surpris, il l'était, mais il n'a pas désarmé sur-le-champ. Chaque soir, pendant une longue période, il remettait la discussion sur la table, «du dîner», au grand désarroi de sa mère.
- Arslan arrête, tu ne vois pas que ton père est fatigué !
Je me suis fait un point d'honneur de répondre à toutes ses questions. Têtu que je suis, j'ai pris la recommandation des psychologues à la lettre : ne jamais laisser la question d'un enfant sans réponse. Je vais vous faire partager une bribe de ce drôle de dialogue sur la politique expliquée à mon fils.
- Papa, pourquoi tu n'as jamais fait partie du gouvernement, pourtant tu es fortiche en politique ?
- «Pratiquer la piété filiale avant toute chose, ainsi que l'amour fraternel, et le gouvernement en bénéficiera. Cela aussi, c'est une façon de faire de la politique ; il n'est pas nécessaire pour autant de prendre part au gouvernement.»
- Ces derniers temps, des fois je regarde dans tes journaux, je suis vraiment étonné, on ne parle que de voleurs. Rassure-moi, les gens ne sont pas tous comme ça.
- Mon fils retient ceci : «Même avec un vrai roi, il faut une génération avant que ne s'impose la vertu suprême.»
- Et si «je tuais les méchants pour aider les bons (...)» papa, c'est une bonne politique ?
- «Pour gouverner, avez-vous besoin de tuer ? Chercher le bien, et le peuple sera bon. La vertu du gentilhomme est vent, la vertu du vulgaire est herbe : quand le vent lui passe dessus, l'herbe doit se coucher.»
Manifestement, mon fils n'a rien compris à cette parabole de l'herbe qui se couche. Je reviens à la charge avec un discours qui lui est plus accessible :
- «Quand le gouvernement repose sur des règlements et que l'ordre est assuré à force de châtiments, le peuple se tient à carreau mais demeure sans vergogne. Quand le gouvernement repose sur la vertu et que l'ordre est assuré par les rites, le peuple acquiert le sens de l'honneur et se soumet volontiers.»
- Si tu le dis papa ! Donc à t'entendre «pour gouverner un Etat d'une certaine importance, il faut traiter les affaires avec dignité et bonne foi, cultiver la frugalité et la compassion, n'imposer de corvées au peuple que durant les périodes prescrites».
- Mais tout à fait mon fils, «gouverner est synonyme de droiture. Si vous menez droit qui osera ne pas marcher droit ?»
- Et «que faut-il faire pour se concilier le soutien du peuple ?»
- C'est très simple Arslan : «Promouvez les hommes intègres et placez-les au-dessus des hommes retors, le peuple vous soutiendra. Mais si vous placez les gens retors au-dessus des hommes intègres, le peuple cessera de vous soutenir.»
- Maman, c'est bientôt fini, je te
promets ; papa une dernière question : «comment le souverain doit-il traiter ses ministres ? Comment les ministres doivent-ils servir leur souverain ?»
- «Le souverain doit traiter ses ministres avec courtoisie, les ministres doivent servir leur souverain avec loyauté», et par-dessus tout, le souverain, «ne lui cachez rien quitte à le heurter».
- Papa, décidément tu as réponse à tout. A t'entendre, la politique c'est un jeu d'enfant. Mais, de grâce, éclaire-moi. Quand je suis en voiture avec maman, elle n'arrête pas de pestiférer sur les gens. Ils crachent par-dessus les vitres, ils ne respectent pas la signalisation et, plus grave encore, ils ne sont pas courtois avec les femmes. Dans ces conditions «que faut-il faire pour rendre le peuple respectueux, loyal et zélé ?»
- «Traitez-le avec dignité, montrez-vous bon fils et bon père, et il sera loyal. Promouvez des hommes de talent, éduquez les incompétents, et vous stimulerez son zèle.»
Cette discussion entre mon fils et moi a fini par agacer sérieusement ma femme. Sa tambouille a refroidi. Elle s'est donné beaucoup de peine à la mijoter. J'ai décidé d'y mettre fin d'une manière très subtile pour ne pas heurter la sensibilité du petit.
- Ecoute mon fils, je vais mettre entre tes mains le livre d'un homme très sage, tu y trouveras ce qu'il faut savoir sur l'art de gouverner. Je vais, d'ailleurs, te lire un passage tellement édifiant que même ta maman va apprécier. Elle te dira : - Oh ! ton père que de fois il a fait la tête de mule, après quoi elle se trouvera contente et elle boudera moins.
Je cite : le duc Ding demanda : «Existe-t-il une maxime qui, à elle seule, pourrait assurer la prospérité d'un Etat ?» Confucius répondit : «Aucune maxime ne saurait vraiment produire un tel effet. Pourtant, il y a bien ce dicton : il est difficile d'être un souverain et il n'est pas facile d'être un sujet. Si cette maxime permettait au souverain de comprendre toute la difficulté de son rôle, on pourrait presque dire qu'à elle seule, elle suffirait à assurer la prospérité de l'Etat.» L'autre dit : «Existe-t-il une maxime qui pourrait à elle seule détruire l'Etat ?» Confucius répondit : «Aucune maxime ne saurait vraiment produire un tel effet. Toutefois, il y a bien ce dicton : tout le plaisir d'être roi, c'est de n'être jamais contredit. N'être pas contredit quand on est dans le bon, c'est tant mieux : mais si on se trompe, et qu'il n'y a pas de contradicteurs, c'est alors qu'on pourrait presque dire qu'une seule maxime suffirait à détruire l'Etat.» Mon fils, j'ai cinquante-six ballets, je fatigue sec et j'aspire à partir en retraite. Mais quand je te regarde, ton innocence me désarme et je me pose la question de ce que sera pour toi demain. Je désespère de notre classe politique. Elle est d'une indigence grave. Pourtant, je ne suis pas exigent, tu le sais bien. Cette classe politique, j'espère seulement qu'elle me fasse rêver pour me donner le courage de m'attaquer à la montagne dans une tentative désespérée de la déplacer à mains nues.
O. M.
N. B. : vous l'aurez deviné de vous-mêmes, chers lecteurs, toutes les phrases en italique et entre guillemets sont de Confucius.


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