Que représente le pain pour les Algériens ? Quelle relation entretiennent-ils avec lui ? quelle place occupe-t-il lors des repas ? Témoignages. Rafika, 33 ans, cadre dans une entreprise publique : «Un plat sans pain est impossible !» Dans un éclat de rire franc et sincère, Rafika déclame presque son amour pour le pain. «C'est vraiment important pour moi de manger du pain durant les différents repas de la journée. Que ce soit pour le petit-déjeuner, le déjeuner ou le dîner. Le pain est important pour moi. Vous savez, si je n'en mange pas, je me dirai que j'ai encore faim. Et cela se voit dans ma taille. Je suis assez grosse.» Qu'il soit traditionnel ou industriel, elle l'aime tel quel. «C'est vrai qu'à certaines périodes de l'année il y a une préférence pour le pain traditionnel. C'est le cas notamment pour le mois de Ramadhan. Vous savez, j'échoue constamment dans mes régimes parce qu'il faut se priver de pain. Personnellement, je ne pourrai jamais m'en passer.» Yasmine, 22 ans, célibataire : «le pain, c'est sacré !» «Je vais répondre à vos questions par un geste que nous avons appris à faire depuis que nous sommes petits. Et même maintenant, adulte, je me surprends à le faire. Vous vous rappelez lorsqu'un bout de pain tombe par terre, on nous apprend à l'embrasser et à le mettre contre notre front. Ce geste, je pense, résume à lui seul l'importance et le caractère sacré du pain dans notre culture», a, de prime abord, expliqué Yasmine, jeune célibataire rencontrée dans un hypermarché. Et de poursuivre : «Mais maintenant, c'est vraiment étrange, il y a du pain jeté parterre. Des sachets entiers remplis de pain à même le sol. Beaucoup de parents ont répété à leurs enfants de ne pas manger le pain de la veille. Maintenant, ils vous disent : on ne mange pas «essabah». Et pire encore, ils enlèvent la mie de pain et la jettent. Vous savez, j'avais des voisins qui achetaient tous les jours du pain. Et chaque matin, leur père mettait de grands sachets sur le palier en attendant qu'une personne les ramasse. Heureusement qu'il y avait pas loin de chez nous un vieux qui élevait des moutons. Il faisait sa ronde pour tout collecter. Ce rythme a duré pendant plusieurs années jusqu'à ce qu'un jour leur mère décide de congeler le pain et de n'en sortir que la ration dont ils ont besoin. Et en plus avec le micro-onde, ils peuvent le décongeler beaucoup plus facilement.» Pour Yasmine, la relation qu'ont les Algériens avec le pain est sacrée. «Il faut que nous puissions garder cela dans nos esprits et le transmettre aux générations futures. Ce n'est pas la somme d'argent que nous avons qui est sacrée mais plutôt le pain que nous gagnons et que nous mangeons.» Nadia, mère de trois enfants : «Je le donne aux ramasseurs de pain rassis» «J'ai pris l'habitude de ne plus m'inquiéter quand il me reste du pain. J'ai bonne conscience, je me dis que je contribue au gagne-pain de ceux qui le ramassent», se contente de dire Nadia, mère au foyer. Et d'ajouter : «Je ne savais pas qu'il y avait des ramasseurs de pain ici. Je les ai découverts après mon premier accouchement. Après la naissance de ma première fille, j'ai dû abandonner mon poste de travail et j'ai constaté qu'il y avait ce genre de personnes qui passaient pratiquement chaque matin sous les balcons et criaient «pain sec, pain sec». Avant, je devais prendre ce sachet avec moi dans l'échoppe d'un Mozabite. Je le faisais, comme me l'a appris ma mère, discrètement, pour ne pas être vue par les voisins et être considérée comme gaspilleuse. Nous allions le soir dans son magasin et donnions notre sachet avant de filer très rapidement.» Mais pour elle, cette discrétion n'a plus cours. «J'ai la conscience tranquille maintenant. Je ne me sens plus coupable. Avant, j'essayais de récupérer le plus possible de pain rassis en réalisant des recettes ou en le grillant tout simplement. Mais depuis que j'ai des enfants, je n'ai plus le temps de m'en occuper.» De la récupération reste, en tout état de cause, son mot d'ordre. El-Hadi, père de trois enfants, profession libérale : «Le pain prend toute sa valeur durant le mois de Ramadhan» «Le pain est important, oui. Mais il l'est encore plus durant le mois de Ramadhan. Vous savez, je me suis habitué à ne manger que le pain traditionnel, el matloue, durant le mois sacré. Ma mère, chaque jour que Dieu faisait durant ce mois, en fabriquait. C'était tout un rituel pour elle. Cela lui prenait des heures. A la rupture du jeûne, le bon matloue tout chaud était un véritable délice. Depuis que je suis marié, mon épouse a pris le relais. Et je pense qu'elle n'a pas vraiment le choix», explique El-Hadi en riant. Il relève que la modernité a cependant fait son entrée dans la fabrication de ce pain. «Ma mère avant passait des heures à pétrir le pain. Maintenant, il y a le pétrin, il réduit de moitié le travail. Mais c'est toujours aussi bon. Au-delà du pain traditionnel, il y a différents pains qui deviennent très prisés durant cette période. Tous les Algériens deviennent des spécialistes. Il y a même des bagarres autour du pain. Moi, je dirais attention, touche pas à mon matloue !»