Hier, BDS Algérie a adressé une lettre ouverte au ministre de la Culture afin qu'il intervienne pour le retrait «des films de nationalité algérienne» du Festival international de Locarno. Un appel à la censure et à l'autoritarisme d'une telle véhémence qu'il nécessite quelques éclaircissements. Yanis Koussim, cinéaste participant à cette 68e édition, a bien voulu nous les fournir. Cette année, le Festival de Locarno consacre sa section «Open Doors» (Portes ouvertes) au cinéma maghrébin, comme ce fut le cas en 2005 : cette tradition consistant à inviter une région du monde se reproduit tous les dix ans. Mais il a également dédié une «Carte blanche» aux cinéastes israéliens, rebaptisée «First Look». Comme à l'accoutumée, les appels au boycott ont immédiatement fusé en Algérie, demandant aux réalisateurs nationaux de se retirer du festival et véhiculant, chemin faisant, des informations tronquées, voire manipulées. Au même moment, un groupe de cinéastes tunisiens décident de boycotter l'événement, sans doute victime d'une certaine désinformation. Ainsi, le ton était donné pour que la présence algérienne soit considérée comme «une traîtrise ». Pour appuyer ce point de vue, les partisans du boycott prétendent que cette édition 2015 a été financée par l'Etat d'Israël et que les cinéastes maghrébins allaient accepter une subvention israélienne pour leurs films en chantier. Faux ! Yanis Koussim, dont le scénario du dernier film «Rokia» est inscrit au programme «Open Doors», affirme que la manifestation est «à 100% financée par Locarno, le CNC français, le Fonds Suisse ‘'Vision Sud-Est'', Arte et la chaîne publique suisse». Quant à la «Carte blanche à Israël, elle est également financée par Locarno, hormis les frais des billets d'avion des cinéastes invités, lesquels ont été assurés par le fameux Israël Fund (Fond israélien pour le cinéma) et qui ont exactement coûté 3 500 euros». Autrement dit, l'Etat hébreu n'a mis que 3 500 euros, exclusivement destinés au voyage des réalisateurs. Yanis Koussim précise, en outre, qu'après avoir appris en avril dernier la sélection d'Israël pour la Carte blanche, il a d'abord décidé de boycotter mais il a très vite eu les explications de la direction du festival et acquis la certitude que ce dernier ne bénéficiait d'aucun fonds israélien. «Naturellement, si c'était le cas, je n'y serais pas allé. Je suis pour le boycott de cet Etat et c'est une conviction personnelle inamovible. Depuis des années, je n'achète ni les produits liés financièrement à Israël, ni j'accepte des invitations à des festivals se déroulant là-bas même s'ils sont organisés par des militants palestiniens ou pro-palestiniens.» Mais, ajoute- t-il, «si l'on doit se retirer de chaque événement pour la simple raison que des artistes israéliens y participent, nous devrions boycotter la totalité des manifestations internationales ! Dans le marché du film à Cannes, par exemple, le drapeau israélien flotte à quelques mètres de l'emblème algérien. Et comme tout le monde le sait, c'est bien l'Algérie officielle qui participe chaque année à Cannes !» Rappelons également qu'un cinéaste palestinien participe à cette 68e édition et Yanis Koussim nous apprend par ailleurs que la réalisatrice israélienne Naomi Levari, lauréate du Grand prix de «la Carte blanche», n'est autre que l'auteure de la célèbre vidéo en solidarité avec Ghaza lors des bombardements meurtriers de l'été 2014, pour laquelle elle a été inquiétée par son gouvernement. Au sujet du communiqué de BDS Algérie qui appelle clairement l'Etat algérien à user de son autorité contre les réalisateurs participant à Locarno cette année, Yanis Koussim assène : «Cet organisme n'existait pas il y a trois jours !» Et de suggérer : «Au lieu d'appeler aux sanctions contre les cinéastes, pourquoi ne pas faire pression sur l'Etat algérien pour arrêter les importations des produits israéliens ou soutenant Israël ? La chaîne de vêtements Celio qui affiche ses vitrines à Alger fabrique ses marchandises dans les territoires occupés ! Coca-Cola donne chaque année une partie de son chiffre d'affaires à l'Etat sioniste. Et la liste est longue.» Si le boycott économique et culturel d'Israël a prouvé son efficacité, certains tendent à le confondre, sciemment ou inconsciemment, avec l'obligation de bannir toute participation à un événement où participent des artistes issus de ce territoire. Autant dire que l'on cultive l'amalgame entre citoyen, artiste israélien et l'Etat sioniste. Inutile de rappeler que des centaines de créateurs de Tel-Aviv et d'ailleurs manifestent régulièrement leur désaccord total avec la politique fasciste de leur Etat. Inutile d'évoquer ces artistes palestiniens qui organisent conjointement avec leurs camarades israéliens des manifestations culturelles engagées. Inutile, enfin, de souligner le fanatisme, voire l'amalgame, cultivé par les partisans du boycott total. Cette tendance à radicaliser l'approche de cet acte militant mène souvent à des appels à la censure et à l'anathème. Le dernier exemple est ce communiqué de BDS Algérie qui réclame non seulement le retrait des films «de nationalité algérienne» même si la plupart n'a pas été financée par les instances officielles, mais aussi, implicitement, des sanctions contre les réalisateurs.