Par Sarah Haidar Il y eut un moment dans l'histoire de l'Algérie indépendante où le gouvernement délivrait des autorisations de sortie à quiconque voulait voyager. Une mesure soviétique dont le but demeure à ce jour ambigu : s'agit-il de ficher les citoyens se déplaçant à l'extérieur au cas où ils seraient retournés par le démon impérialiste et deviendraient ainsi des espions au service du mal ? Ou bien, tout simplement, de verrouiller au maximum les frontières du rêve et de la connaissance pour que les Algériens n'eussent pas vent d'un autre mode de vie ? Cette époque est révolue depuis longtemps, les visas se sont inversés et ce sont aujourd'hui les gouvernements étrangers qui distribuent, comme une aumône, l'autorisation de venir dans leurs pays. Mais avec le nouveau ministre de la Culture, M. Azeddine Mihoubi, cette mesure refait surface sauf qu'il s'agit, cette fois-ci, de cinéma. Ce dernier a toujours posé problème à l'Etat et c'est pour cela qu'après la pseudoouverture post-films révolutionnaires, il ne cesse d'aiguiser les instruments de contrôle et de censure dont le très efficace chantage financier. Avec la complicité des cinéastes, la production nationale est devenue, dans sa grande majorité, une espèce de faire-valoir politique et un outil de propagande par excellence. Essayant d'imiter le Président cinéphile yougoslave Tito, le régime algérien n'a réussi qu'à fabriquer un cinéma de circonstance et de complaisance.Or, la corruption intellectuelle n'a heureusement pas enrôlé la totalité des forces créatrices et il est même arrivé que l'Etat joue le jeu de la liberté relative pour s'offrir quelque prestige. C'était le cas avec le film L'Oranais de Lyès Salem, œuvre politiquement incorrecte qui a suscité une polémique et demie. La première enclenchée par les hirsutes constitutionnalisés et la seconde provoquée par sa participation à un festival israélien dans les territoires occupés. Le réalisateur retirera son film de cet événement et l'on a cru que l'hystérie de la surenchère «palestiniste» allait donc se calmer. Mais cette controverse se révèle moins insignifiante qu'elle n'y paraissait puisque le ministre de la Culture vient d'annoncer que les films financés totalement ou partiellement par l'Etat algérien devront désormais demander une autorisation au ministère de la Culture avant chaque participation à un festival étranger. La tutelle travaille en ce moment sur l'élaboration d'une clause lui permettant de «suivre le parcours d'un film» et avoir un droit de regard sur ses déplacements. Lyès Salem ne l'a certainement pas fait exprès mais il vient d'offrir un formidable prétexte aux autorités culturelles pour perfectionner leur hégémonie sur le cinéma algérien. Et qu'on ne s'y méprenne pas : l'Etat ne va nullement faire preuve de retenue dans l'utilisation de cette clause ; il en abusera et la brandira certainement pour chaque festival international où une participation algérienne risquerait de «porter préjudice aux intérêts du pays et qui s'avérerait incompatible avec ses valeurs, ses positions et sa politique extérieure». Autrement dit, après décodage de la langue de bois : une participation qui risque de déplaire aux maîtres du pays ! Est-ce si révoltant que ça ? En fait, ça ne l'est pas du tout et c'est même de bonne guerre : la communauté artistique a accepté avec un sourire ce contrat malsain avec le régime qui consiste en un troc de la liberté contre une somme d'argent. S'en sont suivies la généralisation de l'autocensure, la mièvrerie et la médiocrité et s'en suivra sans doute l'obéissance plate à cette néo-autorisation de sortie ! Sauf qu'on peut aussi envisager un sursaut d'insoumission chez nos artistes : boycotter les financements du ministère et lui signifier clairement que l'asservissement de la culture n'a que trop duré... C'est un rêve ? Oui, il faut en faire au maximum tant que ce n'est pas assujetti à une autorisation... pour l'instant !