Par Boubakeur Hamidechi [email protected] On ignore si la date du 20 août inspire encore Bouteflika au point de lui servir, une fois de plus, le prétexte à texte. Celui qu'il ne rédige jamais mais qu'il exige de ses scribes. A ces derniers de lui torcher donc un laïus qu'il lit rarement mais qui doit faire la preuve publique que le chef de l'Etat exerce le pouvoir dans toute la plénitude de ses forces. Une comédie du régime dont le ridicule n'a jamais eu de précédent. A l'inverse de cette inconnue du palais, il y a par contre suffisamment de certitudes pour lire dans les journaux de jeudi prochain d'excellentes contributions relatives à ce moment de l'histoire. Celles notamment qui s'attachent à mettre en perspective la longue marche de l'Etat algérien depuis 1962 par rapport aux fondamentaux de la plateforme de la Soummam. Explicitement, la démarche attendue des intellectuels et des historiens sérieux ne devrait pas se limiter à revisiter la geste héroïque de cet août à double volet (1955 et 1956) tant il est clair que l'Algérie de 2015 est bien loin des idéaux fondateurs. C'est qu'entre le pays imaginé par Abane Ramdane en 1956 et ce qu'il en est de nos jours, l'étendue du désastre est indescriptible. En moins de deux générations, le capital humain a été dilapidé au point de nous valoir les plus humiliants des qualificatifs. A la suite de l'inlassable lutte des clans, ne nous a-ton pas, désigné comme un «Etat avorté », tout juste capable de produire des fruits rabougris ? Il est vrai que la plupart, sinon la totalité des acteurs qui se sont affrontés pour la conquête du pouvoir avaient un dénominateur commun : celui d'avoir entretenu une hostilité implacable à la plateforme de la Soummam. C'est tout dire pour comprendre pourquoi la négation des libertés publiques fut érigée en dogme définissant ce qu'est un «Etat fort» ! C'est de la sorte que, sous la bannière du socialisme et le pseudo-contrôle des masses, un despotisme particulier fut fructifié. A ce jour, même les pouvoirs se prévalant des constitutions libérales (Zeroual, Bouteflika I, Bouteflika II et même Bouteflika IV) ont exercé les leurs avec les méthodes dictatoriales : scrutins tronqués, presse sous haute surveillance, police politique active en secret, etc. Ces fruits amers, que sont justement nos libertés conditionnelles, apparaissent, en définitive, comme la marque de fabrique du système en place depuis plus d'un demi-siècle, car en dehors des courtes parenthèses favorables à la promotion des libertés publiques, il en a été toujours ainsi depuis 1962 avec seulement des «relookages» lors d'une succession, évidemment fermée. Or, cette malédiction aussi vieille que l'acte de naissance de l'Etat algérien remodela fortement les réflexes des citoyens. Et se sera principalement les partis et la presse qui en souffrirent comme d'un stigmate. A son tour, la société connaîtra le même désenchantement depuis le viol de la Constitution en novembre 2008. Aujourd'hui, si la majeure partie de la presse et les réseaux sociaux insistent sur l'état moral de la société, c'est que le sentiment de rabaissement se reflétant dans le traitement ironique de l'image d'un pays insupporte plus que de mesure. Car la fierté nationale, irriguée depuis toujours par des références à des acteurs majeurs, a été sciemment démonétisée par tous les pouvoirs qui se sont succédé. Cette nation qui doit beaucoup à la vaillance militante du stratège Zighoud Youcef (août 1955) et au doctrinaire Abane (août 1956) n'a, par conséquent, pas été seulement confisquée par le complexe militaro-politique dont l'armée des frontières esquissa les contours dès l'été de son accouchement (juillet-août 1962). Elle avait été surtout dépossédée de ses référents doctrinaux puis clairement privatisée institutionnellement au profit d'un «actionnariat» politique, que plus tard, l'on désignera génériquement par le lobby du système. Or, la lente clochardisation de ce holding du pouvoir contrôlant sans partage le pays, n'a-t-il pas fini par être la proie des aventuriers ? Ceci est d'autant plus vérifiable actuellement que le palais est clairement qualifié de pétaudière où la confusion dans les missions est désormais totale. Signe des temps troubles qui s'annoncent, l'Etat est en train de se fissurer alors que nulle institution ne s'estime en devoir de réagir préférant observer une indifférence tout à fait assimilable à de la fuite en avant. Face à cette culture de la démission, quelle hypothèse doit-on avancer hormis celle de faire l'effort d'imaginer le fameux binôme d'Août en butte à une situation similaire ? Autrement dit, comment les Abane et Zighoud auraient pallié un péril quasi existentiel pour la nation si ce n'est par la lourde chirurgie de l'épuration. Aussi bien la stratégie de l'insurrection du 20 août 1955 que la codification des principes de la Soummam, l'année suivante, prônent, en effet, la rectitude et la rigueur dans un contexte semblable. Hélas, ceux qui aujourd'hui font «joujou » avec le destin du pays ne semblent guère disposés à s'impliquer dans le ménage historique dont a besoin l'Etat. Feignant d'ignorer que la «néo-colonisabilité » n'est que pure spéculation intellectuelle et que le statut infâmant de l'indigénat ne saurait faire son retour, ils persistent à jouer sur le registre d'une Algérie inaltérable. Une fantasmatique appréhension du devenir de la nation alors que tous les indicateurs (sociaux, humains et économiques) disent le contraire. La décadence de l'Algérie a commencé déjà, et pourtant nul ne souhaite croire en les donneurs d'alerte. Jusqu'aux jours où l'Algérie implosera et sera alors perçue comme un non-Etat. A ce moment-là, l'on dira de Zighoud Youcef et Abane qu'ils ne furent que des utopistes farfelus qui voulaient construire une Algérie sur le modèle français sans tenir compte de ses spécificités culturelles et de son déficit dans la plupart des domaines. Voilà comment une page exemplaire de l'Histoire est en passe de se muer en mythe peu crédible.