Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Pour une fois, enfin, Louisa Hanoune a mis de côté les habituels dénigrements de l'attelage ministériel pour aller chercher ailleurs les raisons à l'origine de l'affaissement de l'Etat. En décidant de s'intéresser au Président et à la manière dont sont conduites les affaires du pouvoir, il lui est arrivé d'asséner effectivement quelques remarques caustiques concernant le laxisme dont fait preuve Bouteflika. Voire même de conclure sentencieusement sur son incapacité à maîtriser la situation du pays. La voilà donc la nouvelle opposante qui ne hausse pas le ton de ses critiques mais observe un peu plus haut le théâtre où se joue le destin de la République. Un exercice inhabituel qui lui aurait décillé le regard au point de faire siennes certaines vérités exprimées bien avant elle mais qu'elle avait toujours réfuté par prudence tactique afin d'épargner le chef de l'Etat. C'est par conséquent à elle que l'on doit l'appel à «ne plus s'en remettre à lui» (sic) qui peut être interprété comme un jugement définitif le disqualifiant de toute responsabilité d'Etat. Et c'est donc elle qui a décidé de sonner le «minuit» de son extinction politique alors qu'elle s'est échinée souvent d'en différer l'échéance en soutenant, malgré la maladie, sa réélection et surtout en tenant le rôle pitoyable de faire-valoir. A tous points de vue, le cas de Louisa Hanoune est décidément intéressant. Il l'est d'abord à travers son parcours personnel tout autant que le positionnement subtil du parti qui s'est continuellement inscrit comme un courant tampon. Une sorte d'incarnation d'une «zone neutre» faisant office de frontière politique. Cela ne lui a-t-il pas valu notamment une notoriété hors norme (par rapport à la surface politique qui était la sienne en 1990) lorsqu'il décida, malgré son obédience républicaine et gauchiste, de soutenir la légalité du FIS et d'adhérer dans la foulée au contrat de San'Egidio ? Plus tard, d'ailleurs, Louisa Hanoune en bonne leader conséquent se trouva aux côtés de Bouteflika au cours de l'élaboration des projets de la concorde et de la réconciliation. De ces grands moments historiques ponctués par d'autres déchirements que l'on n'a pas hésité à qualifier de «capitulation de l'Etat», le PT en gardera le souvenir d'un amer ostracisme dans ses relations transpartisanes. A tort ou à raison Louisa Hanoune fut soupçonnée de toutes parts de ne fonctionner que comme la tête chercheuse au service du système. Une suspicion qu'elle ne s'efforça jamais de lever dès l'instant où elle trouva une contrepartie la dotant d'un statut de courant d'opinion «représentatif». C'est d'ailleurs ainsi que ce porte-parole de la voix des travailleurs se verra propulsé au Parlement et adoubé à toutes les fausses compétitions présidentielles. En effet, elle détient à ce jour le record de participation à la magistrature suprême avec quatre rendez-vous ! Or même si elle eut à faire la courte échelle à Zeroual en 1996, il était notoire que le régime de celui-ci ne la tenait pas en haute estime après sa compromission aux côtés de Haddam dans les dépendances du Vatican. Il lui faudra alors attendre la venue de Bouteflika pour qu'elle connaisse sa meilleure visibilité médiatique. Depuis, aussi bien la presse officielle que la télévision d'Etat n'ont pas été, à ce jour, avares en articles élogieux ou en temps de retransmission de ces activités tribunitiennes. La sympathie calculée dont elle a longtemps bénéficié a, semble-t-il, commencé lorsque la candidate du PT s'était faite remarquer en 2004 par les substantiels contre-feux qu'elle alluma autour du Président candidat. C'est-à-dire une implicite offre de service pour l'avenir en s'inscrivant contre la mentalité de la meute dont elle avait fait l'argument de sa campagne à l'époque. Parvenue à passer de la périphérie politique à la satellisation autour du pouvoir, ne devrait-elle pas préserver coûte que coûte cet envieux statut ? En commençant par modérer son agressivité à l'encontre des actes du gouvernement, elle avait effectivement fini par être sollicitée sur plusieurs fronts dont ceux qui ont pour sujets l'islamisme politique d'une part et l'hypercentralité de l'Etat. Ainsi, du dogmatisme jacobin à la défense d'une certaine concorde et d'une incertaine réconciliation, leurs analyses se sont en permanence croisées et bonifiées jusqu'à aboutir à un étonnant deal qui ne s'est démenti que depuis la récente charge de Hanoune. En effet, dès 2004, l'ensemble de la classe politique admit que le PT est devenu un électron libre du palais. C'est-à-dire son baromètre dès lors qu'il développe un discours d'opposant à la ligne éradicatrice sans pour autant soumettre la praxis de Bouteflika aux mêmes critiques concernant sa sensibilité aux impératifs de la vérité et de la justice. Pratiquant la même démarche durant 10 années, Madame Hanoune a structuré habilement un compagnonnage politique original. Celui sur lequel l'on a longtemps glosé et qu'elle a fini par avouer à demi-mot tout récemment. Oui elle consultait en permanence à la fois et Bouteflika et le versant acquis au Président qui se trouve au sommet de la hiérarchie militaire. Autant de raisons sans doute qui l'auraient dissuadé de jouer au procureur politique lorsque les scandales de corruption avaient éclaboussé les apparatchiks. De crainte de déraper, n'est-elle pas parvenue à élaborer une démarche faite d'omissions pointant l'index en direction des ministres mais n'impliquant guère la responsabilité présidentielle sauf pour déplorer qu'elle a été «abusée». Mais voilà que tout cela commence à ressembler à de vieilles antiennes. Louisa Hanoune change de registre pour évoquer le malheur de ce pays. Elle en impute une partie à Bouteflika devenu dérisoire chef de l'Etat. Une étonnante répudiation à l'envers qui marque le début du dépeuplement des réseaux du régime.