De notre bureau de Bruxelles, Aziouz Mokhtari Une photo sort d'une petite plage en Turquie et Aylan bouge les lignes en Europe. Les strings républicanistes, humanitaires et les faux dévots du droit d'asile s'obligent à quitter le bois. Les débats font rage en Europe autour de la question migratoire. En définitive, il ne s'agit ni plus, ni moins que de l'application de la Convention de Genève que l'Union européenne veut contourner, avec laquelle elle triche, louvoie, prétexte mille et une raisons pour fuir ses responsabilités. Elles sont immenses, grandes, impossibles de s'en décharger aussi facilement. L'Irak ? Une grande partie de l'Europe moins l'Allemagne de Schroeder, la France de Chirac et la Belgique était de la guerre hors-la-loi, hors ONU, barbare de Bush junior contre un Etat laïque, debout, assurant l'essentiel et plus à sa population. Qui peut, aujourd'hui, se lever, tenir longtemps un crachoir pour prétendre que le démantèlement de l'Etat Saddam Hussein a apporté la démocratie, les droits de l'Homme, la paix et la sécurité dans la Mésopotamie ? La Syrie ? Sans la résistance de Bachar Al Assad, celle des républicains, des chrétiens, des araméens, des musulmans normaux, nombreux dans le pays, rien à voir avec les intégristes-terroristes sanguinaires qui passent en boucle dans Al-Jazeera, BMTV, iTélé et les autres médias lourds occidentaux, sans la farouche détermination de l'armée et des services de renseignement damascènes, la tragédie dite migratoire serait encore plus insupportable, aujourd'hui. Les rescapés des guerres de Syrie fomentées par la CIA, le Mossad, les services français et la fortune des Al-Saoud, racontent toutes et tous la même histoire. Ils quittent le pays à cause des exactions de Daesh, Nosra et des autres bandes criminelles de la nébuleuse djihadiste. Des arrivants en Europe via les Balkans rencontrés à Bruxelles affirment même «fuir la Syrie de peur que Bachar ne tombe». «Nous sommes terrorisés parce que Daesh avance et nous ne savons pas si l'armée syrienne tiendra, encore, davantage.» Aymen Bourhani, architecte, a travaillé sur la restauration de la mosquée des Alaouines, véritable joyau du savoir-faire et du savoir-penser Omeyyades, eux-mêmes se sourçant dans l'histoire profonde, lointaine, très lointaine de la nation. Il prend des notes avec précision (il tient, d'ailleurs, un journal quotidien qu'il n'a pas abandonné même pendant sa traversée qui l'a mené de Damas à Beyrouth, puis de Amman en territoire balkan via la Serbie jusqu'à la gare de Budapest d'où son cousin, nucléariste installé en Suède, l'accueille et lui conseille Bruxelles pour s'y installer. Avec 2 000 euros «prêtés» par le cousin, il tient, se débrouille, sait ce que le mot «démarches» veut signifier en tracasseries, veuleries bureaucratiques et incompréhension. Sincère, il relève tout de même que l'office des étrangers (police fédérale chargée d'enregistrer et d'écouter les demandeurs d'asile) ne lui a pas mis les bâtons dans les roues. Il obtient rapidement l'annexe 26 (document qui ouvre à des droits élémentaires en attendant le traitement dans le fond de la doléance). A Bruxelles, Aymen ne s'ennuie, certes, pas mais les nouvelles du pays ne sont pas bonnes. Pas de contacts avec Zeineb, la belle fiancée (il me montre sa photo, elle est vraiment belle), restée à Damas en attendant des jours meilleurs ou que le couple se décide, enfin, pour le mariage et pour le choix du pays où rester. La Belgique ou la Syrie. Au courant, avec force détails, de la situation en Algérie des années FIS, GIA, AIS, Aymen se confie : «Une seule issue pour nous les Syriens, que Bachar Al Assad ne perde pas la guerre et puis après, vraiment après, l'on peut discuter de transition, d'élections et de démocratie.» Puis, plus loin : «Les terroristes doivent être vaincus chez nous comme ils l'ont été chez vous.» Le petit Aylan a été enterré, hier, à Kobané, sa mort a soulevé des montagnes. Le Conseil des ministres européens de l'Intérieur qui devait se tenir le 14 de ce mois a été avancé à hier. Les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE planchent, déjà, sur le sommet extraordinaire qu'ils ont décidé pour prendre des mesures sur la question des réfugiés arrivant en masse. Irak, Syrie, Libye : trois guerres de l'Occident-Otan que le corps sans vie de Aylan poussé sur la plage par les vagues de la Méditerranée indigne. En s'habillant d'un string humanitaire, les chefs d'Etat et de gouvernement qui seront en conclave à Bruxelles, feront-ils retomber l'immense émotion que le martyre de Aylan a soulevée ? Pas sûr.