L'ancien chef de gouvernement Ali Benflis n'a pas manqué d'exprimer ses craintes que l'Armée nationale populaire ne fasse l'objet de «tentatives de manipulations politiciennes». Il commentait, bien sûr, l'événement majeur de cette année, le départ, dimanche dernier, du général de corps d'armée, Mohamed Mediène dit Toufik, de la tête du Département du renseignement et de la sécurité, le DRS. C'était au cours de sa conférence de presse d'hier, au siège de son parti nouvellement agréé, Talaie El Hourriyat, à Alger. Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - Inévitablement, le remplacement du général Toufik à la tête des services éclipsera tout, y compris l'objet même initial de la conférence de presse. «Je sais que c'est la question qui vous intéresse tous», dira Benflis, dès l'entame de la conférence, invitant ses interlocuteurs de la presse à poser toutes les questions se rapportant au même sujet avant d'y réponde : «Je ne suis pas dans le secret des dieux mais je vais vous donner ma propre analyse. Elle consiste en quelques évidences d'abord. La première est que, dans toutes les armées du monde, il y a régulièrement des changements. C'est dans l'ordre naturel des choses. La deuxième des évidences est que, cependant, lesdits changements obéissent à des règles bien définies. Et, enfin, comme troisième évidence, ces changements s'opèrent dans la transparence. Ils ne sont pas considérés comme secret d'Etat. Or, qu'en est-il chez nous ?» s'interrogera Benflis en guise d'entrée dans le vif du sujet. Il assène : «Comme vous le savez tous, nous avons affaire à un régime illégitime et ces changements ont lieu dans des circonstances exceptionnelles. Je veux parler de la vacance du pouvoir. N'est-ce pas que, depuis le 8 mai 2012, le Président ne s'est plus adressé au peuple ? C'est depuis cette date-là qu'il ne nous a plus jamais dit, ni bonjour, ni saha aïdkoum, ni par téléphone, ni de vive voix, ni nous l'avons vu faire sa campagne électorale !» Comme à son habitude, l'ancien chef de gouvernement va au cœur même du problème, la maladie de Abdelaziz Bouteflika. «Dans ces circonstances, qui détient le pouvoir en Algérie ? Nul ne le sait !» Entre autres, celui de procéder au remplacement du général Toufik. Ce dernier, de par son désormais ancien poste, sa longévité, sa personnalité et sa discrétion légendaire, du moins vis-à-vis du grand public, a toujours suscité la curiosité, sur ses manières d'agir, son immense pouvoir, comment agissait-il «en interne», notamment avec les autres responsables ? etc. Ancien chef de gouvernement, Benflis est bien placé pour en parler. «S'ingérait-il dans votre travail ? Exerçait-il des pressions sur vous lorsque vous étiez chef du gouvernement ?» Fusait une question à partir de la salle. «J'ai exercé mes responsabilités en tant que chef du gouvernement avec abnégation et en mon âme et conscience.» Pour Ali Benflis, prétendre que ce changement à la tête des services est à lire comme une volonté de Bouteflika d'instaurer un «Etat civil», est pur mensonge. «De quel Etat civil parle-t-on lorsqu'un dictateur, de surcroît illégitime, fait ce qu'il veut ? L'Etat algérien n'était-il pas civil ? Il l'est mais le problème est ailleurs. Moi je fais partie de ceux qui estiment que l'ANP est un rempart contre toute forme de déstabilisation du pays. Elle a déjà fort à faire avec tous les fléaux comme le terrorisme, la situation aux frontières, etc. Il ne faudrait donc pas, et je crains que certains tentent de pousser dans ce sens, que l'ANP soit victime de manipulations à des fins politiciennes.» L'allusion, ici, est très claire : elle vise Bouteflika et son proche entourage. Même constat, s'agissant de la révision de la Constitution : «Cela fait presque cinq ans qu'on en parle ! Et voilà qu'on nous dit que la Constitution est retardée car le Président est malade», dira à ce propos l'ancien chef de gouvernement, en allusion aux propos d'Ahmed Ouyahia, qui affirmait récemment que «n'était la maladie du Président, la Constitution aurait été révisée en 2013». Mais, quoi qu'il en soit, c'est le principe même que Benflis dénonce. «Mais de quel droit se prévaut-il (Bouteflika, ndlr) pour réviser la Constitution alors même qu'il est lui-même illégitime ?» Cela vaut également, s'agissant de la crise économique. Chiffre à l'appui, l'homme qui a eu à gérer ce genre de dossiers quand il était aux affaires, montrera que la crise est plus sévère qu'on ne le dit. «Oui, il faut appeler le citoyen à faire montre d'esprit de sacrifice, aller vers l'austérité. Mais cela, l'actuel régime n'est pas fondé pour le faire. Il est mal placé pour le faire lui qui a dépensé 800 milliards de dollars ces dernières années, pour aucun résultat au bout. Pire, le budget de fonctionnement qui, auparavant, était entièrement financé par la fiscalité ordinaire, est, de nos jours, lui aussi financé par la fiscalité pétrolière, au même titre que le budget de fonctionnement.» Benflis reproche enfin au gouvernement, sur ce plan également, de naviguer à vue. «Quant à la rénovation économique de notre pays, elle imposera nécessairement une sortie de l'ère de l'ambivalence, de l'opacité et des non-choix. Sortir d'une telle ère signifie l'abandon de la posture du «ni-ni» qui a causé tant de ravages au tissu économique national. Ni économie étatique, ni économie libérale, comme si une telle posture irrésolue suffisait et qu'elle rendait superflue l'édification d'un système économique cohérent et performant.» Un constat ravageur et sans appel.