Le conflit qui oppose un membre de l'exécutif et un patron d'un grand groupe privé ne serait-il pas lié au contexte économique actuel du pays, marqué par une contraction des revenus et la problématique du financement des opérations de commerce extérieur ? Cherif Bennaceur - Alger (Le Soir) - Surfacturation, introduction de matériel vétuste, infractions à la réglementation, volonté manifeste de leurrer l'opinion publique, voire les intérêts du peuple algérien... Ce sont, en résumé, les accusations que le ministre de l'Industrie et des Mines, Abdesselam Bouchouareb, a portées à l'encontre du P-dg du groupe Cevital, Issad Rebrab. Des accusations que le patron du grand groupe a réfutées de manière ferme, invitant le ministre de l'Industrie à les étayer de preuves fondées, tangibles, à s'expliquer sur les blocages que subissent les divers projets d'investissements lancés par Cevital dont l'acquisition de l'usine Brandt et son implantation en Algérie. Au-delà de leur bien-fondé ou non, des suites notamment judiciaires le cas échéant et de leur impact sur cette opinion publique, ces accusations, cette controverse suscitent néanmoins questionnement. Certes, le P-dg de Cevital, engagé dans une dynamique de développement, d'expansion tant en Algérie qu'à l'étranger, n'a eu de cesse de déplorer l'existence de multiples contraintes à ses projets. Des difficultés d'ordre divers (absence de foncier, lenteurs bureaucratiques, réticences bancaires...) qu'Issad Rebrab, à l'instar d'autres opérateurs, a portées à l'attention des exécutifs successifs. Des contraintes dont les prédécesseurs de l'actuel ministre de l'Industrie ont été au courant. Cela étant, Abdesselam Bouchouareb avait déjà répondu en juin 2014 et de manière acerbe aux plaintes de l'opérateur privé, considérant que «ce procédé de victimisation, basta», en notant que les réactions du ministre de l'Industrie n'interviennent qu'en présence de responsables étrangers. Or, cet échange d'amabilités entre un représentant de l'exécutif et un manager d'envergure se déroule dans un contexte national spécifique. En raison de l'importante baisse des cours du pétrole depuis plus d'une année, les recettes d'exportation d'hydrocarbures du pays ont fortement diminué. Ce qui a généré une forte contraction des disponibilités financières du pays, la réduction des disponibilités du Fonds de régulation des recettes (FFR) en raison de la diminution de la fiscalité pétrolière non budgétisée et de leur utilisation dans la résorption du déficit du Trésor et le financement des dépenses croissantes et, dans un contexte de progression notable des importations, un déficit commercial important. Mais aussi l'amenuisement sensible des réserves de change, plus d'une vingtaine de milliards de dollars en moins d'une année, quoique leur niveau reste encore adéquat pour couvrir deux à trois ans d'importation. Or, une situation financière assez contrainte à laquelle l'exécutif a tenté de réagir, au-delà d'adopter un discours voulu rassurant, en enclenchant un processus de rationalisation des dépenses budgétaires et de maîtrise des opérations de commerce extérieur. Ce faisant, un amenuisement des revenus du pays qui risque de rendre le financement des opérations d'importation mais aussi d'exportation assez compliqué, voire incertain. Dans la mesure où les réserves de change diminuent et que les liquidités bancaires sont sur la corde raide, la capacité de financer ces opérations pourrait s'avérer limitée à moyen terme. Ce qui suppose une gestion réfléchie, rationnelle des ressources financières disponibles nécessaires pour financer les importations. Ce qui implique également une sélection des opérateurs pouvant bénéficier de ce financement, sur la base de critères objectifs, rationnels. Et donc une course, une compétition des différents opérateurs légaux en vue de bénéficier de ces financements, sur une base supposée légale, transparente. En d'autres termes, il s'agit de savoir qui pourra importer et qui ne pourra pas importer, de connaître quels biens, équipements et services peuvent être importés et d'identifier les opérateurs éligibles, selon la réglementation et les interprétations que l'on fait ici et là des intérêts du pays, du peuple. Des interprétations qui peuvent être sujettes à caution, nonobstant les motivations diverses que les pouvoirs publics mettent en avant. Or, cette controverse, cette polémique stérile qui oppose un membre de l'exécutif et le patron d'un fleuron de l'industrie et acteur dynamique en matière d'import-substitution et internationalisation, n'aurait-elle pas un lien avec la conjoncture financière actuelle ? Certes, le patron de Cevital a déploré le blocage de ses projets bien avant l'éclatement de la polémique, rappelons-le. En outre, ce groupe a participé de manière positive au développement des exportations hors hydrocarbures et à la réduction des importations. Mais sa mise en pâture ne risquerait-elle pas d'être interprétée comme un déni de l'entrepreneuriat actif, producteur de richesses et acteur majeur de l'internationalisation, comme un encouragement à la prégnance de l'informel ? En laissant supposer une infraction à la réglementation, à charge de la prouver, l'exécutif n'encourage-t-il pas de facto une discrimination entre les opérateurs, en favorisant certains par rapport à d'autres ? Et ce, nonobstant les considérant d'ordre politique, d'aucuns pouvant y voir dans l'éclatement de cette controverse une résultante de l'absence d'implication directe du manager privé en faveur de l'actuelle gouvernance. Et ce, au-delà de l'impact sur l'attractivité du pays aux investissements directs étrangers, sur le positionnement de l'Algérie sur les marchés internationaux.