Les propos tenus ce lundi, par le ministre de la Justice et garde des Sceaux, lors de son intervention devant les présidents de cours et procureurs généraux des 44 wilayas du pays à l'adresse de certains «hommes de loi», qui ne «croient pas aux réformes engagées» par son département n'ont pas laissé indifférents certains avocats. Pour un grand nombre d'entre eux, «apporter un avis contraire sur un texte ou une loi n'est pas synonyme de critique». Abder Bettache - Alger (Le Soir) - Avocat très connu sur la place d'Alger, et ce, pour avoir occupé le devant de la scène médiatique à plusieurs reprises, dont la dernière en date était celle relative à sa plaidoirie dans le procès de l'affaire de l'autoroute Est-Ouest, Me Tayeb Belarif a déclaré que la «réaction du ministre de la Justice est tout à fait logique». Selon lui, «il s'agit d'une réaction logique d'un système qui n'admet pas l'avis contraire». «C'est une réaction inadmissible de la part du ministre de la Justice», a-t-il souligné. «Les propos tenus par le ministre de la Justice sont une illustration parfaite d'un système politique qui n'admet pas les critiques». Et au sujet de la réforme du secteur de la justice, Me Belarif dira que «le bilan est catastrophique». «La loi et le droit sont évacués dans le fonctionnement de la justice algérienne», ajoute-t-il en citant en exemple un cas de disposition pénale lié à un arrêt de cassation de la Cour suprême. Il s'explique : «Les décisions de la Cour suprême ne sont pas publiables. La Cour suprême a rendu un arrêt contre un autre arrêt rendu par cette même institution, alors qu'il n'y a pas de recours possible contre les arrêts de la Cour suprême. C'est la porte ouverte à l'arbitraire», s'est-il insurgé. Chérif Chorfi, pénaliste également très connu des Cours et membre du barreau d'Alger et en avocat très averti, a nuancé ses propos. «Toute réforme est critiquable» A ce propos, il dira que «je ne dis pas a priori que le ministre de la Justice n'a pas engagé des réformes ces deux dernières années, comme il est rapporté, sauf que, ces réformes ont-elles réellement porté les fruits escomptés ?». «Toute réforme est critiquable dans le seul but de l'améliorer et non pas de la critiquer pour la critiquer. Certaines de ces réformes n'ont pas donné les résultats tant souhaités, alors que d'autres méritent d'être immédiatement entreprises. Nous autres avocats, avons soulevé à maintes reprises des réserves sur ces réformes mais on n'a pas été entendu», a-t-il regretté. Connu pour avoir mené un long combat contre le délit de presse et d'avoir défendu des journalistes dans plusieurs procès, l'avocat Khaled Bourayou place «l'indépendance de la justice en première ligne des revendications pour un réel Etat de droit». Exprimant son avis sur les propos tenus par le ministre de la Justice et garde des Sceaux, Khaled Bourayou estime qu'aucun «texte au monde ne peut requérir l'unanimité de tout le monde et aucun texte n'est parfait et c'est la critique qui fait améliorer un texte quelle que soit son origine». Pour cet avocat, «si on n'admet pas les critiques, c'est qu'on ne veut pas améliorer le texte, et ce dernier est porteur de critiques plus qu'il est perfectible. Cela étant, nous avons dit que dans l'ensemble, les réformes entreprises sont positives, mais il y a certains aspects qui méritent d'être améliorés». «Graves propos du ministre» «Le texte en question apporte des améliorations sur le plan des procédures, mais est-ce qu'il participe réellement à l'indépendance des magistrats et à l'autonomie du procureur ?», s'est-il interrogé, citant lui aussi un exemple de procédure relevant de la Cour suprême. Notre interlocuteur conclut son intervention en indiquant que «le ministère de la Justice se doit d'ouvrir un canal où peuvent s'exprimer toutes les critiques sur le texte. Et lorsqu'on critique, cela ne veut pas dire qu'on est contre le texte ou contre le ministère». Ayant défrayé la chronique lors du procès de l'affaire de l'autoroute Est-Ouest, le tonitruant avocat Amine Sidhoum a qualifié de «gravissime» les propos tenus par Tayeb Louh avant-hier devant les procureurs généraux et présidents de cours. «C'est très grave qu'un ministre de la République, de surcroît celui de la Justice traite les avocats de menteurs, lorsque ces derniers exercent leurs droits de critique». Selon lui, ces «réformes ne sont pas quelque chose de sacré. Tout est ouvert au débat dans un but bien précis : celui d'apporter la construction, l'amélioration et l'enrichissement du débat. Les avis des avocats sur les questions de droit sont très importants pour faire avancer les choses et améliorer notre système judiciaire. D'ailleurs, ces réformes de procédures pénales sont venues suite aux recommandations du comité des droits et du comité onusien des droits de l'Homme des Nations Unies». «L'avocat a le droit d'apporter son point de vue. Même si le code de procédure pénale a apporté quelque chose de bien, il n'en demeure qu'il reste beaucoup de choses à faire. Un avocat exerce une profession indépendante et dans le cadre de la loi, il se réserve le droit d'exprimer son point de vue et apporter la contradiction sur les questions étroitement liées à l'exercice de son métier», a-t-il conclu.