Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Ce qu'il y a d'émouvant et d'illusoire à la fois dans l'atmosphère électrique que vient de connaître le Parlement n'est pas dans le fait que des députés réhabilitent l'interpellation critique, donnant ainsi du mordant aux débats, mais plutôt qu'ils le fassent en toute connaissance de cause. Celle qui est toujours en vigueur et qui leur rappelle qu'ils ne pourront guère censurer le gouvernement. Comme quoi ils ne sont plus dans la confrontation politique avec ses probabilités d'échec mais aussi de succès mais bel et bien dans une sorte de manifestation gratuite des vieilles colères cachées qui les ont accompagnés durant leurs 3 années de mandature. Artistiquement, il apparaît clairement que nos parlementaires ne manquent guère de talent lorsqu'ils se veulent frondeurs pour peu que les postures de la désobéissance qu'ils assument dans l'immunité de l'hémicycle ne leur soient pas préjudiciables pour la suite de leur carrière. Cette prudence remarquable habituellement chez les «élus» de la majorité n'est cependant pas partagée par ceux qui se reconnaissent dans l'opposition. Ceux-là appréhendent leurs mandats d'opposants comme des actes de témoignages dès l'instant où ils sont minoritaires, d'où le punch dont ils viennent de faire preuve en riposte au contexte trouble que connaît le régime. Toutefois, en marge de la vigueur de leurs critiques, il s'en est trouvé singulièrement quelques grognards qui ont osé défier la discipline de leur «grand parti» et son orthodoxie en se rangeant du côté des frondeurs. Et c'est cette rarissime espèce, dont la voix s'est jusque-là dissoute dans l'unanimisme du parti, qui indique que les mécontentements en petits comités pourraient faire tache d'huile dans les maisons partisanes afin d'en finir avec ce parlementarisme de pacotille. Sauf que dans l'immédiat, ces quelques infidélités solitaires compteront si peu au moment où les mains se lèveront pour adopter les désidératas du gouvernement. C'est que l'on est loin de la possibilité démocratique de modifier un projet ou, plus radicalement, le retoquer. C'est-à-dire rejeter purement et simplement la copie de l'exécutif. A l'origine de notre régression, il y eut avant tout la perception antidémocratique du président de la République qui, il y a 10 années de cela, s'était autorisé, à travers une de ses multiples foucades, de brocarder le pluralisme partisan. «Pour nous, l'instauration de la démocratie pluraliste et représentative n'est pas une fin en soi», décrétera-t-il sur le ton de l'ironie et du mépris. Il ne fait donc pas de doute que nous demeurons toujours coincés par cette volonté de verrouillage que maquille le formalisme des urnes. Sur cet aspect, le fonctionnement du pouvoir législatif atteste de sa neutralisation. En effet, le Parlement continue à assumer tous les (mauvais ? !) rôles sauf celui de contrôler l'action des pouvoirs publics. Et c'est cet empêchement de taille qui vaut aux deux chambres les plus détestables réputations. Dès lors qu'il est notoirement avéré que le «repeuplement» cyclique de ces deux instances doit peu à l'électorat et que la recomposition des majorités en leur sein a toujours été l'œuvre exclusive de Bouteflika, il ne pouvait y aller que de la crédibilité de l'Etat dès l'instant où la notion même de «représentation nationale» a perdu son sens premier. Après trois législatures et autant de mandats présidentiels, la décomposition des institutions a fini par déboucher sur une forme inattendue relative au militantisme. Celle qui a inspiré la dérision populaire en qualifiant celui-ci de «trabendo politique» par allusion au tremplin de l'argent ayant permis à des hommes d'affaires véreux de siéger dans l'hémicycle et pour le moins nantis de devenir maires de quelques juteuses cités. Mais comment expliquer une pareille dérive sans l'imputer, d'abord à la permissivité du pouvoir dont l'objectif permanent a été d'aliéner tous les vecteurs qui le menacent et de s'attarder ensuite sur les rôles des partis les plus en vue qui ont confondu libéralisme économique et libéralités politiques en ouvrant leur porte aux puissances de l'argent devenues pourvoyeuses de notables politiques. Définitivement confinés dans des liens de soumissions, ces appareils qui fournissent l'essentiel de cette fausse majorité au Parlement sont eux-mêmes coupables de l'actuel état de pourrissement. Autant dire que la rupture avec le monolithisme du parti-Etat n'a pas permis l'émergence de la culture de la diversité espérée. En définitive, ce qui à son époque était présenté comme l'axe de la rupture n'avait été qu'une insidieuse opération de reclassement de la vieille élite politique issue d'une même matrice idéologique et que l'on retrouve à l'œuvre dans deux ou trois pôles. D'où la fâcheuse inclination de cette nébuleuse de ne jamais s'autoriser à faire la leçon au pouvoir. D'ailleurs le modèle de cette servitude droite dans ses bottes n'est-il pas incarné par Ouyahia qui disait et n'a cessé de le répéter de nos jours qu'il « ne savait pas ce que le mot opposition voulait dire». Passée donc de l'ancien statut de chambre d'enregistrement muette à celui de forum de toutes les approbations, l'APN a fait étonnamment reculer la morale politique bien plus que ne le fit l'article 120 de triste mémoire, garde-fou du parti unique. Et pour cause, ils y ont ajouté la tromperie des enseignes politiques à la traditionnelle cooptation. Cela dit, l'on comprend pourquoi il n'y a pas lieu de faire grand cas de tous les chahuts auxquels s'adonnent de temps à autre nos députés, lesquels n'ont jamais déstabilisé le moindre «ministricule» et encore moins contraindre un gouvernement à retirer un projet de loi. D'une session à une autre, le spectacle est rejoué sur le même scénario avec l'assurance qu'il ne se conclura jamais par de fâcheuses conséquences.