[email protected] «Gouverner n'est-il, en définitive, que l'art du possible ?» Grâce à la forme interrogative que lui prêtent les politiciens, la formule n'a-t-elle pas fini par leur servir d'excuse ? Une parade parfaite leur permettant de nuancer subtilement leurs parts de responsabilité lorsque les échecs se multiplient. C'est ainsi qu'ils ne comptent pas donner acte à ceux qui contestent leur légitimité. Mieux encore, ils plaident afin de demeurer maîtres de la décision arguant de leur capacité à corriger eux-mêmes les trajectoires défectueuses de leur gouvernance. C'est ainsi que doit s'expliquer, en partie, la nouvelle posture d'un Premier ministre feignant de reconnaître l'impasse mais dans le même temps demeure arc-bouté à l'idée que le régime, dont il est l'actuel homme de main, est toujours en mesure de conduire les réformes foncières et de résoudre la crise morale qui ronge et l'Etat et la société. Alors que l'Algérie n'en finit plus de se décomposer depuis l'an 2013, c'est tout de même à cette personnalité que l'on doit les meilleures assurances sur l'avenir. Avant-hier et hier encore, c'est-à-dire en 2014, Sellal affirmait à qui voulait le croire que l'économie nationale gagnait en compétitivité grâce aux mérites d'un patronat de managers toujours sur la brèche. De même qu'il ne manquait pas de rassurer, à travers ses tartarinades de tribun, sur la solidité des finances publiques qu'il prétendait prémunies quelles que soient les spéculations exogènes. Bref, cette Algérie-là serait une oasis que la mauvaise foi de l'opposition a tort de ne pas reconnaître en elle l'œuvre d'un visionnaire de la dimension du Président, claironnait-il comme tous les courtisans de premier rang qui l'avaient précédé. Mais voilà que, subitement, tout change dans le discours officiel. C'est que les récentes conjonctures à l'origine de la plongée du prix du pétrole viennent d'avoir raison de la longue séquence du maquillage de la réalité. Ce vieux recours au mensonge politique lequel est traditionnellement précédé par une statistique tronquée et des décryptages officiels sciemment erronés. Le Cnes, notre fameux observatoire de l'état de la nation, n'a-t-il pas une part de responsabilité dans cette culture de la falsification qui, longtemps, a accompagné les options actées par la loi ? Sans la moindre hésitation sur son cas, tous les experts sérieux récusaient les conclusions de ce «conseil» qui, pour eux, n'a servi en permanence que comme un organe de validation. C'est-à-dire une sorte de prescripteur agréé. Son absence de crédit ès compétences dont seuls les spécialistes connaissaient les raisons est aujourd'hui soulignée par le fait que le pouvoir a clairement écarté ses diagnostics. En se tournant vers des panels d'économistes et de financiers, dont les notoriétés universitaires et leur autorité en termes d'indépendance politique constituant des gages, le pouvoir fait semblant de jouer à la transparence qu'il se plaît à afficher devant l'opinion. Or tout est là dans cette théâtralité de «l'écoute» de ces bons médecins de la crise nationale. Sauf qu'il manque l'essentiel à cette mise en scène pour que cela finisse par lui retrouver la confiance populaire. C'est qu'il s'agit auparavant de lever l'hypothèque de l'impopularité et de mettre l'accent sur la plaie de l'illégitimité démocratique que traînent comme des casseroles ceux qui gouvernent si mal le pays. Or, loin d'être une préoccupation hors du contexte de la crise économique comme semblent le penser certains cercles, elle apparaît plutôt comme le préalable indépassable à la résolution de cette montagne d'échecs. D'ailleurs, on la retrouve souvent dans les déclarations de la classe politique. «A chaque fois, le gouvernement met l'accent sur une partie de l'équation alors que la solution ne peut être que globale», remarquait un dirigeant de parti avant d'ajouter : «De plus, pour entreprendre les réformes nécessaires pour sortir de notre crise, il convient de reposer sur la légitimité démocratique. Or le gouvernement actuel n'en possède aucune.»(1) Il est vrai qu'à partir du moment où la grande majorité de la classe politique s'interroge sur la source «première» du pouvoir et, par voie de conséquence, qui en sont les véritables délégués, c'est que l'identification du premier cercle de l'Etat demeure une inconnue ! D'où l'idée terrible d'une présidence apocryphe aux sens pluriels attachés à ce vocable comme ceux de : «secrets», «non authentique», «douteux» et «suspect» ! Sauf que dans l'architecture quasi-surréelle du pouvoir, il ne subsiste d'apparent et d'agissant qu'un clerc siégeant au palais du gouvernement et dont une bonne partie de l'intendance de l'Etat échappe à son contrôle, le contraignant ainsi à se consoler de son déficit d'autorité personnelle en intriguant comme un Florentin pour maintenir à flots un pouvoir où se disputent les clans. C'est, par conséquent, de l'impéritie totale d'un exécutif que souffre le pays dès lors que cette incapacité chronique encourage toutes sortes de brigandages, à l'image de ces fameuses convergences des pouvoirs de l'argent et de la politique qui organisent le pillage du bien public. C'est qu'en ces temps incertains où la confusion règne en maîtresse, l'inaptitude ministérielle constitue en soi la pire malédiction pour les affaires de l'Etat. Sans illusion, les Algériens ne s'abusent guère sur les compétences de certains d'entre les ministres. A dire les choses avec mesure, ils sont parfois moins sévères avec Sellal tant ils devinent le rôle ingrat qui lui incombe dans une configuration du pouvoir inédite. Là où se déploie le règne des castes et des lobbies vis-à-vis desquels l'arbitrage qu'il dispense est loin du service de l'Etat et plutôt proche du «tâcheronnage» quasi-mafieux. Comme quoi, un Premier ministre en Algérie est condamné à mentir pour la «bonne cause» du parrain ou, au contraire, rendre ce faux tablier de dauphin. B. H. (1) In le quotidien L'expression du 22 septembre : lire l'article paru en page 3 intitulé «Tout passe par la légitimité démocratique».