Par Ahmed Halli [email protected] En parcourant la presse arabe, à la recherche d'articles consacrés à la regrettée Fatima Mernissi, je suis tombé sur ce titre qui est à la fois d'actualité, et qui l'aurait interpellée : «L'Islam sur les pas du Christianisme.» Je m'empresse de vous livrer la quintessence de l'article, pour dissiper toute équivoque, il s'agit de l'Islam d'aujourd'hui, et du Christianisme d'hier. L'Islam d'aujourd'hui, vous le vivez et parfois en souffrez, le Christianisme d'hier, vous l'aurez certainement compris, c'est celui de l'Inquisition, de la question, des bûchers, et des autodafés. L'article, publié ce dimanche par la revue Elaph, et signé par Haïdar Djarallah, un journaliste irakien, évoque d'abord le règne de la sainte terreur, imposé par le clergé catholique. Il rappelle de quelle manière et avec quelle violence les autorités ecclésiastiques des siècles obscurs ont exercé leur pouvoir absolu et ont régenté la vie quotidienne des gens, s'ingérant jusque dans leur sphère privée. Comment les chrétiens se sont affranchis peu à peu du carcan des religieux et les ont assignés à leurs églises et à leurs temples, s'ouvrant ainsi les voies du progrès et de la modernité. Aujourd'hui, relève Haïdar Djarallah, le monde musulman souffre des mêmes maux que les peuples qui ont été réprimés jadis au nom de Dieu et de l'Eglise, et l'Islam a été entraîné dans tous les conflits. En son nom, les minorités religieuses sont opprimées et leurs droits violés, comme c'est le cas des chrétiens d'Egypte ou des femmes yazidides réduites en esclavage. Au nom de l'Islam, ces minorités qui ne sont pas du même rite que celui des Etats où elles vivent sont marginalisées, voire excommuniées et proclamées mécréantes, à l'instar des chiites. Bien plus encore, les choses ont évolué de telle manière que tous les peuples de la terre ont été assimilés à des mécréants qu'il est licite de tuer. Cette théologie n'est pas seulement circonscrite aux organisations et aux groupes extrémistes, mais elle a ses prolongements et son influence dans les milieux populaires. Ce sont des réalités qu'on ne peut plus nier, car même Al-Azhar qui se réclame du juste milieu et de la mesure s'accroche encore à des enseignements archaïques. Certains des manuels de la célèbre université contiennent toujours des anachronismes, comme l'Islam en a connu dans son histoire, et qui sont présentés comme vérités absolues. Que dire alors des autres chapelles de l'Islam qui sont encore plus hermétiques et plus tentées par les voies de l'extrémisme? De fait, la majorité des sociétés musulmanes de notre époque sont dans l'errance et la crise, s'accrochant au surnaturel, arcboutées sur le passé et déconnectées de la réalité. Ces sociétés n'ont aucun regard sur l'avenir, elles vénèrent leurs tyrans et sont fières des leurs kamikazes qui se font exploser au milieu des innocents. Elles en sont également arrivées à considérer que certaines notions, tels la liberté, les droits de l'Homme, et la démocratie, sont une forme d'invasion culturelle. C'est contre ces chapelles intégristes, opprimant les êtres humains, en général, et les femmes en particulier, que s'insurgeait la sociologue Fatima Mernissi. L'auteure du Harem politique et d'autres ouvrages dévoilant les mensonges et les omissions des théologiens, notamment les rapporteurs de hadiths, n'est cependant pas morte intestat. En témoignent les hommages qui lui ont été rendus dans les médias arabes, pourtant peu portés par tradition à faire l'apologie des briseurs et briseuses de tabous. Fatima Mernissi a, en effet, littéralement fracassé les portes de «l'ijtihad», fermées à double tour par les «obscurs devanciers», afin que nul ne les ouvre, pour remettre en route les moteurs de la raison. Très peu de femmes et encore très peu d'hommes pouvaient et peuvent écrire que «l'intention du Prophète était d'instaurer une communauté religieuse et démocratique (!!), où hommes et femmes discuteront des lois de la cité». Puis d'interroger : «A partir d'un tel projet, quels méandres ont mené jusqu'à cette figure prégnante de la femme voilée, mise à l'écart de la vie politique, confinée dans l'espace privé au nom de la foi religieuse ?» Dans ses recherches sur les textes islamiques, Fatima Mernissi a démontré que certains hadiths étaient des faux grossiers, remis en vogue pour les besoins de la cause et notamment celle de la claustration de la femme. Elle a aussi exhumé des textes enfouis, réduits à l'oubli, et qui démontraient qu'à Médine, il y avait des échanges, des débats, d'où les femmes n'étaient pas exclues. C'est elle la première, je crois, qui a rapporté cette anecdote du commentaire acerbe d'une des épouses du Prophète qui estimait que Dieu était bien accommodant avec lui, concernant les femmes. Au nombre des hommages qui ont été rendus à la sociologue dans le monde arabe, nous retiendrons celui de l'écrivain palestinien, installé à Berlin, Hassan Khadir, qui l'a connue. Il affirme que «le monde arabe souffre d'un trop-plein de mâles impatients et hâbleurs, mais des femmes de la trempe de Fatima Mernissi, il n'en a pas beaucoup». Il souligne que beaucoup de femmes arabes qui osent donner de la voix et réclamer des droits ont trouvé des raisons de persévérer dans l'œuvre de Fatima Mernissi. «Elle mérite aujourd'hui qu'elle a disparu que l'on dise que sa disparition est une perte pour les Arabes, mais qu'elle a "engendré" tant de femmes et libéré tant d'énergies et d'espoirs.» Dans ces pays où les femmes sont méprisées, brimées, insultées de la façon la plus odieuse par des soudards en costume-cravate, ou en gandoura, nous devons à Fatima Mernissi de reprendre le flambeau.