La politique s'invite au procès de l'affaire Sonatrach. C'est le constat qui s'est dégagé 48 minutes après le début des plaidoiries de la défense. Une défense dont le coup d'envoi a été donné par le doyen des avocats, Me Miloud Brahimi et confortée par l'intervention magistrale du président du barreau de Sidi-Bel-Abbès, l'avocat Mohamed Athmani. Abder Bettache - Alger (Le Soir) - Le procès de l'affaire Sonatrach a pris depuis mercredi dernier une dimension politique. Ce que la presse a jusque-là, évoqué depuis l'éclatement de l'affaire, les avocats de la défense l'ont ouvertement évoqué au premier jour du début des plaidoiries. Ainsi, si Miloud Brahimi l'a implicitement évoqué et Khaled Bourayou l'a annoncé publiquement en demandant «pourquoi n'a-t-on pas entendu l'ex-ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil», le jeune avocat Nabil Ouali n'a pas été par trente- six chemins pour mettre en exergue «les arrière-pensées de cette affaire». «Je suis avocat et je me vois dans l'obligation de le dire. On a demandé à Mohamed Meziane de citer des personnes et il sera écarté de cette affaire. Moi je vais vous dire c'est quoi le fond du problème. On a demandé à l'ex-P-dg de Sonatrach de citer le nom de l'exministre de l'Energie et des Mines M. Chakib Khelil et le président de la République. Il n'est un secret pour personne qu'il s'agissait bel et bien d'un problème, voire un différend qui opposait la présidence de la République à une autre institution. Voilà le problème de fond de cette affaire», dira Me Ouali Nabil. Assurant la défense de l'ex- P-dg de Sonatrach, l'avocat Ouali Nabil monte en puissance et déclare à l'adresse du président du tribunal criminel : «Depuis le départ de Mohamed Meziane, Sonatrach a consommé cinq Pdg. C'est pour vous expliquer M. le président du tribunal criminel, que la présence de mon client à la tête de la compagnie pétrolière Sonatrach était d'un apport considérable pour notre pays et pour la société en question. Si Meziane était réellement tenté par la corruption, il n'aurait pas attendu d'être nommé à la tête de la compagnie pour agir de la sorte. Il a passé plus de 34 ans à la tête de cette importante société comme il avait occupé d'importants postes de responsabilité et par conséquent ce n'est pas aujourd'hui qu'il va découvrir la corruption», a-t-il conclu en demandant aux membres du jury de répondre par «non à la majorité » à tous les chefs d'inculpation retenus contre son client. Absence d'expertise La plaidoirie de la défense entamée par le plus ancien (Brahimi) et le plus jeune (Ouali) avocats constitués dans cette affaire a placé le procès dans une autre dimension. L'un comme l'autre ont fait savoir que «cette affaire a porté un réel préjudice à notre compagnie et à notre pays». «Croyez-moi, je ne veux pas être à votre place. Votre responsabilité est à la fois grande et immense et laissez-moi vous dire que l'ouverture de ce dossier a une conséquence grave sur notre pays. Si réellement, on a mesuré l'ampleur des conséquences de son ouverture de cette manière, on ne l'aurait jamais fait. Il ne faut pas vous étonner si demain, on dira dans certaines capitales qu'on ne pourra pas acheter du pétrole et du gaz algériens, car ils sont entachés de corruption», a conclu Me Ouali. Transition toute faite à un autre ténor de la défense. Il s'agit de l'avocat Mohamed Athmani, qui est par ailleurs président du barreau de Sidi-Bel-Abbès. Faisant partie du collectif assurant la défense de l'ex-P-dg de Sonatrach, il s'est interrogé sur «l'absence de l'expertise». «Nous avons vu tant les avocats du Trésor public que ceux de la partie accuser mon client ou les autres personnes mises en cause dans cette affaire. Mais moi, je me pose la question suivante : où se trouve le préjudice? Pourquoi n'a-t-on pas procédé à une expertise ? Comment peut-on parler de préjudice alors qu'il n'y a aucun document attestant ce manque à gagner ? Nous sommes face à une véritable comédie», lance d'emblée l'avocat. Il monte en puissance et lâche : «Vous savez que c'est Meziane qui a tué le Président Boudiaf et vous savez que c'est même Meziane qui a fait baisser les cours actuels du brent». Rires dans la salle. Et de revenir à la charge pour la seconde fois : «Pourquoi il n'y a pas eu d'expertise ? Donnez-moi les preuves pénales de notre inculpation et après, nous serons prêts à nous faire couper la tête. Les PV qui ont été faits ont eu lieu sous la menace d'arme à feu. Le seul refuge dans ce pays est vous, monsieur le président. Rendez-nous justice et l'Histoire vous retiendra dans ses annales». «On a politisé cette affaire» Très attendue par l'assistance, la plaidoirie d'un autre poids lourd du barreau d'Alger a été très suivie. Lors de l'intervention de Me Bourayou Khaled, c'est un silence religieux qui s'est installé dans la salle. Lui non plus, n'a pas hésité un moment pour dire que «l'affaire Sonatrach qui doit être traitée juridiquement a été aussitôt politisée et utilisée pour régler des comptes ». Et d'ajouter : «Ce qui est étrange, c'est que celui qui était à l'origine de ce dossier a été écarté de cette affaire». Défendant Chawki Rahal et Abdelaziz Abdelwahab, l'avocat Bourayou a plaidé l'acquittement de ses clients, tout en rappelant aux membres du jury composant le tribunal criminel que «cette affaire a été politisée pour des raisons que nous connaissons et que vous connaissez». Les plaidoiries de la défense se sont poursuivies durant toute la journée de jeudi dernier. L'audience du procès qui reprendra demain verra l'entrée en lice d'autres avocats à l'instar de Me Aït Larbi qui va assurer la défense des Meghaoui père et fils. Sont attendues aussi les plaidoiries des avocats Berguel Khaled et Chiat Hocine.