[email protected] C'est pitié de voir «l'opposition» syrienne, aux pourparlers de Genève, quémander des couloirs humanitaires et des vivres alors qu'elle n'a plus qu'une présence symbolique sur le terrain. Tout le monde sait désormais que la fringante ASL (Armée syrienne libre) a été phagocytée par Daesh, et son sous-traitant d'obédience saoudienne commune, le front Nosra. Loin de Genève et des passes d'armes diplomatiques, deux camps s'affrontent : ceux qui veulent détruire Daesh, à savoir Damas, Moscou et Téhéran, et ceux qui veulent faire tomber Bachar, c'est-à-dire Riyad, Moscou, et Ankara. Les premiers ne font aucune différence entre les milices armées qui se battent contre les forces gouvernementales syriennes, et savent d'où elles viennent. Les seconds ménagent leur monture, Daesh, veillant à ne pas trop l'affaiblir, et surtout à maintenir sa présence en Syrie, pour ne pas enterrer le vieux rêve de se débarrasser de Bachar. Depuis quelques jours, la volonté affichée de la Russie de poursuivre son intervention et les succès militaires de Bachar éloignent le danger qui planait sur la dynastie alaouite. Alors, il faut empêcher la déroute de la coalition islamiste, y compris par des renforts de troupes terrestres, et l'Arabie Saoudite semble vouloir engager ses alliés au Yémen dans une nouvelle aventure syrienne. Obama, qui sait que son temps est fini, et qui agit en conséquence, a soutenu le projet d'intervention terrestre saoudien avant même qu'il ait été entièrement formulé, après lui le déluge ! Le choix est plus délicat pour l'Egypte de Sissi, engagée, sans en faire trop, dans la campagne saoudienne au Yémen, mais apparemment sous pression pour accepter d'aller guerroyer en Syrie. Ce serait le prix, très lourd, à payer en échange du soutien au régime de Sissi contre la guérilla des Frères musulmans et d'aides financières conséquentes du royaume et des monarchies du Golfe. Ce qui met l'Egypte en porte-à-faux, et place ses dirigeants dans la délicate et intenable posture de dire une chose, de promettre d'autres, et de faire le contraire. Sur le plan idéologique, tel que le reflète son discours, Sissi n'a rien à voir, en apparence, avec le fondamentalisme religieux, puisque c'est pour empêcher l'instauration d'une théocratie qu'il a écarté l'intégriste Mohamed Morsi. Le Président égyptien et son entourage ne cessent de faire la promotion de «l'Etat civil», pour ne pas dire laïque, qu'ils projettent d'édifier. Pour se prémunir contre le retour des Frères musulmans et le triomphe de leurs idées obscurantistes, le Président égyptien prône, pour ne pas dire prêche, une réforme des enseignements religieux. Seulement, il n'oublie pas ce qu'il doit à l'Arabie Saoudite, et il confie ce vaste chantier à une institution religieuse Al-Azhar, qui n'a pas vocation à réformer et encore moins à moderniser. En matière d'orthodoxie et de fondamentalisme, les enseignements de l'institution millénaire n'ont rien à envier au wahhabisme, s'ils n'ont pas été sa source d'inspiration. C'est d'ailleurs à l'ombre d'Al-Azhar et avec son approbation tacite ou déclarée, que des intellectuels ont été déférés devant les tribunaux, jetés en prison, et parfois assassinés. Depuis l'attentat contre Naguib Mahfoudh, les islamistes égyptiens ne tuent plus qu'à petit feu si nécessaire, et ils utilisent de préférence les tribunaux pour interdire toute critique, même fondée, du fait religieux. Islam Buhaïri, le célèbre animateur d'une émission de télévision consacrée aux faux hadiths et autres sornettes pour naïfs superstitieux, est en prison pour atteinte à la religion. Il a été condamné en vertu d'un code pénal destiné théoriquement à sanctionner les propos «méprisants et attentatoires aux religions», («Izdira' Al-Adiane»). Dans les faits, il n'a été appliqué, jusqu'ici, que contre des intellectuels (1) qui ont émis des critiques contre la perception et la lecture obscurantistes de l'Islam. Le même article a été invoqué dans le cas de la poétesse et animatrice de télévision, Fatima Naout, condamnée elle aussi pour avoir critiqué le spectacle affligeant du sacrifice des moutons de l'Aïd. Elle a également choqué les tenants de «l'islamiquement correct» et soulevé la fureur intégriste en affirmant qu'elle ne serait pas hostile à un éventuel mariage de sa fille avec un chrétien. L'un des dirigeants du courant salafiste que les nouveaux orientalistes qualifient de «piétiste», parce qu'ils préfèrent inciter que commettre, a lancé une fatwa contre elle. Dans une plainte adressée hier au procureur général, Fatima Naout écrit : «Ce daéshiste incite à nous tuer. Ses déclarations infantiles et immatures sont le geste qui précède juste l'appui sur la détente, comme dans le cas de notre maître, Farag Fawda. Je demande à l'Etat qui se tait devant ma condamnation et celle d'Islam Buhaïri, à la prison, alors que nous n'avons pas incité au meurtre, de juger ce terroriste qui appelle publiquement à nous assassiner». Précisons, pour compléter le tableau, que cet inquisiteur qui a pignon sur rue et jouit de l'impunité comme tous ses semblables, s'appelle Sameh Abdelhamid Hammouda, mais il pourrait tout aussi bien postuler la délivrance d'un 12S. (2) L'historien Sayed Qimni, marginalisé et calomnié à cause de ses prises de position, est sorti de son long silence à l'occasion de ces atteintes à la liberté d'expression, commises par des «gardiens de cimetières». Il n'a pas été tendre avec le ministre de la Culture, Hilmi Nemnem, qui devrait, selon lui, démissionner s'il veut se réhabiliter aux yeux des intellectuels. Qimni n'a pas épargné non plus le temple cairote de l'orthodoxie sunnite, érigée abusivement en université. Il a ainsi affirmé que Daesh n'était autre qu'un «projet d'action réussi qui doit son succès aux enseignements d'Al-Azhar». C'est pourquoi il est vain, me semble-t-il, de confier le soin de réformer la religion à des théologiens, autant demander à un paralytique de danser la gigue, sans recourir aux envoûtements. A. H. 1) J'apprends par email et avec plaisir, que l'Institut du monde arabe (IMA) organise le mercredi 17 février 2016 un hommage à l'écrivain égyptien Gamal Ghitani. C'est avec beaucoup moins de plaisir que je découvre le nom de l'animatrice choisie pour cet hommage, Catherine Simon. Si ma mémoire est bonne, cette consœur du quotidien Le Monde avait justifié jadis l'assassinat de Tahar Djaout, dans un article nauséabond et sans appel. Nous ne sommes pas spécialement rancuniers dans ce pays, mais il y a parfois des rappels nécessaires, même pour les vaccinés contre l'oubli. 2) L'allusion à notre fameux S12 est juste là pour dire que tout ce qui est ici vient de là-bas, et que tout ce qui est d'ici pourrait aller là-bas, comme diraient mes amis épidémiologistes.