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Conférence de Genève sur le Yémen (28 Mai)
Mettre en échec l'option militaire
Publié dans Le Soir d'Algérie le 26 - 05 - 2015


Par Houria Aït Kaci
La Conférence de Riyadh, tenue sous le slogan : «Sauver le Yémen et édifier l'Etat fédéral», au terme d'une trêve de cinq jours (12-16 mai), décrétée par la Coalition arabe conduite par l'Arabie Saoudite, démontre l'échec de l'option militaire au Yémen, remettant au-devant de la scène le nécessaire dialogue politique interyéménite. Celui-ci devrait reprendre avec une conférence onusienne prévue à Genève le 28 mai.
1 - Détruire le Yémen pour le sauver ?
La conférence de sortie de crise au Yémen, convoquée par le Conseil de coopération du Golfe et du Président en exil à Riyadh, Abd Rabbo Mansour Hadi, sous le thème : «Sauver le Yémen et édifier l'Etat fédéral», qui a regroupé à Riyadh «des représentants des partis politiques, des organisations de la société yéménite et de la jeunesse, des chefs tribaux et des dignitaires», a pris fin le 18 mai par la «Déclaration de Riyadh».
Cette déclaration confirme, selon l'agence saoudienne de presse SPA, «le choix national de soutien à la légitimité et au principe de partenariat national entre les habitants du nord et du sud du Yémen», appelle à «rétablir l'Etat et l'autorité légitime du Président Hadi» et décide «d'organiser et de renforcer la résistance gouvernementale et populaire contre les Houthis et leurs alliés, qui contrôlent la capitale Sanaâ». Aussi, les participants «entendent trouver rapidement une zone sûre au Yémen pour que les institutions de l'Etat reprennent leurs activités à l'intérieur du pays».
Concernant le dialogue avec les Houthis, (qui n'étaient pas présents à cette conférence et qui revendiquent un dialogue au Yémen ou en pays neutre et non sur le sol de l'ennemi saoudien), les participants l'ont «subordonné à la mise en œuvre de la résolution 2216 du Conseil de sécurité de l'ONU» qui «marque un seuil à ne pas dépasser dans toutes futures négociations qui pourraient se tenir sous les auspices des Nations-Unies».
La Conférence de Riyadh «ne sera pas un cadre de dialogue mais un forum de prise de décisions» pour rétablir les structures de l'Etat, conquises par les Houthis, et «tous les moyens militaires et politiques seront utilisés» pour rétablir l'autorité du Président Hadi, avait déclaré, la veille de sa tenue, Yassine Makkaoui, un responsable de la commission préparatoire.
La Conférence de Riyadh démontre l'incapacité pour la coalition d'imposer une solution militaire au conflit au Yémen après environ deux mois d'attaques aériennes et un blocus total qui ont fait des milliers de victimes et beaucoup de destructions, même durant la trêve, qui a été violée 269 fois par l'Arabie Saoudite et les éléments d'Al-Qaïda, selon une source militaire citée par l'agence yéménite de presse Saba.
«Ces violations comprenaient des bombardements aériens et des tirs d'artillerie sur des zones résidentielles notamment les gouvernorats de Saâda, Hajja, Aden, Shabwa, Lahj, Al-Dhale'a, Marib, Taïz et Al-Jawf», faisant endosser la responsabilité de la rupture de la trêve à la coalition, alors que cette dernière a justifié ces bombardements et justifié le refus de prolonger la trêve humanitaire demandée par l'ONU, par le non-respect de la trêve par les Houthis.
Les raids menés par la coalition depuis le 26 mars contre le Yémen ne sont pas venus à bout de la résistance opposée par son peuple qui a été soumis à un blocus total, aérien, maritime, et alimentaire, avec un bombardement systématique et un usage des armes interdites, causant la mort de milliers de civils et la destruction de ses infrastructures civiles et militaires et de ses monuments historiques.
Comment cette conférence peut prétendre à «sauver le Yémen» si tout est détruit ? s'interroge un analyste yéménite, sur la chaîne TV El Mayadeen. «Après l'échec patent de l'option militaire, l'Arabie Saoudite, à travers cette conférence, cherche néanmoins à garder entre ses mains la carte de l'option politique, pour peser sur la conférence de dialogue onusien à Genève. Il s'agit pour l'Arabie Saoudite de transmettre le message que le Yémen est sa carte, dans cette zone géographique où elle tient à affirmer sa puissance», a estimé, pour sa part, un analyste koweïtien sur la même chaîne de TV.
2 - Un dialogue sans les Houthis ne peut aboutir
La Conférence de Riyadh ne va pas modifier le rapport de force politique au Yémen, après l'échec de sa modification militairement par la coalition arabe, étant donné que «les partis présents à Riyad ne sont pas représentatifs du peuple yéménite et n'ont pas de poids dans la société», selon des observateurs arabes et des réactions de citoyens yéménites interrogés par la chaîne de TV Russia Today.
Avec l'absence à cette conférence des mouvements de résistance qui luttent aux côtés de l'armée yéménite contre le terrorisme d'Al-Qaïda et contre les plans de domination étrangère du Yémen, à savoir Ansarallah (Houthis) et leur allié, les militants du parti du Congrès de l'ancien Président Ali Abdellah Saleh (dont la maison a été bombardée en pleine trêve), les résultats de cette rencontre se trouvent ainsi hypothéqués, si l'objectif recherché est de trouver une solution politique au conflit qui secoue ce pays arabe plongé dans le chaos depuis 2011.
Après avoir échoué dans son offensive aérienne, et échoué à réunir les troupes nécessaires pour une intervention terrestre (qui aurait été pour elle un nouveau Viêtnam (voir article publié à ce sujet dans Le Soir d'Algérie le 6 mai), l'Arabie Saoudite et les pétromonarchies du Golfe qui la soutiennent, veulent maintenant un retour au dialogue politique, celui-là même qui était en cours, sous l'égide de l'ONU et qui était sur le point d'aboutir, juste avant l'opération «Tempête de la fermeté» du 26 mars ! Mais ce retour à la case départ intervient, malheureusement, après de lourdes pertes en vies humaines et de pénibles souffrances infligées au peuple yéménite tout entier, toutes tendances religieuses confondues (chiites, zeidites ou sunnites) alors que le prétexte qui a servi pour déclencher cette guerre est de stopper l'avancée des Houtis-chiites soutenus par le rival iranien. Selon des analystes du Moyen-Orient, les décisions de la Conférence de Riyadh ne changent rien sur le plan politique, mais vont se traduire sur le terrain militaire par des actions terrestres, dans le sud du Yémen, par la coalition réunie à Riyadh, pour tenter d'installer le gouvernement Hadi et consacrer ainsi de fait la partition du Yémen en deux. Mais ce projet fédéral a, déjà, rencontré par le passé une opposition du mouvement houthi et d'autres franges de la société attachées à l'unité du Yémen et à l'indépendance. Sur le terrain militaire, Ansarallah a également renforcé sa présence dans le sud du pays où il contrôle certaines positions stratégiques comme le port de Hodeida.
Mais les conditions émises par la Conférence de Riyadh pour la reprise du dialogue onusien vont compliquer les choses puisqu'elle pose comme préalable la Résolution du Conseil de sécurité de l'ONU du 15 avril qui demandait aux Houthis de se retirer des zones conquises depuis leur offensive de l'été 2014 et leur impose un embargo sur les armes, alors que l'ONU veut un dialogue interyéménite «sans conditions préalables».
Tout comme le complique l'équation Hadi, qui est soutenu par les Saoudiens et qui est rejeté par une grande partie de Yéménites comme l'ont montré les manifestations imposantes qui demandaient son départ. Le Comité révolutionnaire suprême (CRS) a déclaré que «Abd Rabou Mansour Hadi a perdu sa légitimité et qu il n'est plus un président de la République» «mettant en garde tous ceux qui traitent avec lui», selon l'agence yéménite Saba.
3 - Le sud du Yémen riche en hydrocarbures et porte ouverte sur l'océan et si convoité
Il faut rappeler que l'agression de l'Arabie Saoudite contre le voisin a débuté lorsque Ansarallah a réussi à percer dans le sud du pays où elle enregistrait des succès dans le combat avec l'armée yéménite contre Al-Qaïda qui a profité de l'intervention de la coalition et du chaos installé dans le pays et où s'était réfugié le Président Hadi.
C'est dans cette région riche en hydrocarbures et constituant une porte sur l'océan indien que la cité portuaire de Moukalla, dans la province de Hadramaout, est tombée entre les mains d'Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA), à la mi-avril.
A ce sujet, le quotidien français Le Monde du 21 avril écrit que «l'organisation djihadiste et son auxiliaire, Ansar Al-Charia, aidés par les tribus sunnites locales, se sont emparés sans résistance du chef-lieu de la province du Hadramaout, ainsi que de son terminal pétrolier, son aéroport et sa base militaire. Le chaos, né des combats engendrés par la progression des rebelles houthistes vers le sud et de l'intervention de la coalition arabe sous bannière saoudienne, favorise l'expansion djihadiste».
Selon ce même article, «Moukalla est passée de facto sous l'autorité d'un conseil local de 51 membres, dont AQPA a négocié la formation avec la confédération tribale du Hadramaout», ajoutant que «ce conseil a négocié la reddition des commandants de la base de Moukalla, restés fidèles au Président Abd Rabo Mansour Hadi, réfugié à Riyad depuis le 26 mars».
«L'ancrage territorial d'Al-Qaïda» au Yémen est également souligné dans un article paru au magazine Orient XXIe en date du 26 août 2014, selon qui l'assassinat de quatorze soldats de l'armée yéménite en permission, voyageant dans un autobus civil à Hadramaout, par des hommes armés se revendiquant d'Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA), était le signe de «l'apparente impuissance de l'Etat central à réguler cette violence, comme la volonté de l'organisation de créer une base territoriale à l'instar de ce qui se passe en Irak et en Syrie, jettent une lumière crue sur la dynamique djihadiste au Proche-Orient».
Ce magazine ajoute : «L'offensive d'AQPA dans la province yéménite orientale de l'Hadramaout, riche de ses hydrocarbures et de ses rapports privilégiés avec l'Arabie Saoudite, succède à divers gains territoriaux dans les régions de Shabwa, Abyan et Al-Baydha» et que les djihadistes tentent de «banaliser une organisation qui se projette comme respectable et professionnelle et qui entend, ce faisant, apparaître comme une alternative à un Etat yéménite en crise profonde.»
Les enjeux au Yémen, tout comme dans la région du Moyen-Orient, dépassent ainsi le cadre de conflits et de rivalités artificiellement créés entre chiites et sunnites et font intervenir des intérêts économiques énormes et un jeu de puissances étrangères à la zone.
Faisant le parallèle entre ce qui se passe dans les autres pays du Moyen-Orient et au Yémen à propos du rôle joué par Al-Qaïda, le chef du mouvement Ansarallah, Abdelmalek Al-Houthi, analysant la Conférence de Riyadh, a affirmé que les participants «veulent créer une nouvelle armée yéménite à l'instar de ce qu'ils ont fait en Syrie à travers leur soi-disant armée syrienne libre». Il a souligné que dans son agression, «l'ennemi soutient Daesh et les éléments d'Al-Qaïda» et que «les assaillants utilisent des armements prohibés».
Doutant de la volonté du régime saoudien de rechercher une solution politique pour le Yémen, le chef des Houthis ne ferme pas pour autant la porte à une issue politique. «Le dialogue est l'unique issue politique à la crise yéménite», souligne-t-il. Mais avant d'aller à Genève le 28 mai pour de nouveaux pourparlers sous l'égide de l'ONU, il faut d'abord un cessez-le feu, exige Ansarallah. «Avant toute négociation, les agressions de l'Arabie contre le Yémen doivent prendre fin», selon Mohammed Abdeslam, le porte-parole de ce mouvement.
Dans un tel contexte, le dialogue yéméno-yéménite réussira-t-il à s'imposer à Genève et à trouver un compromis entre les différentes parties pour épargner de nouvelles victimes et de nouvelles destructions au pays le plus pauvre de la péninsule Arabique ?


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