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Khaled Nezzar, les raisons de la colère 1re partie
Publié dans Le Soir d'Algérie le 14 - 02 - 2016


Par Mohamed Makhdari
Khaled Nezzar est de nouveau à la «une». Hélas ? Oui, assurément ! On aurait aimé voir cet homme, retiré des affaires de l'Etat depuis plus de deux décennies, vivre en paix le reste de son âge. Cela n'est pas le cas. Cela ne peut pas être le cas.
Le général à la retraite Khaled Nezzar, poursuivi en Suisse, depuis octobre 2011, pour «crimes de guerre» perpétrés, selon ses accusateurs, à l'occasion des évènements qui se sont déroulés en Algérie au cours de la décennie 1990, a connu une carrière militaire et politique riche en péripéties. Après avoir combattu dans les rangs de l'ALN, il assure, l'indépendance du pays conquise, de nombreux commandements dans l'ANP. En 1987, il est à la tête des forces terrestres. Le 16 novembre 1988, il est nommé chef d'état-major. Le 25 juin 1990, il devient ministre de la Défense. Il exerce ces hautes responsabilités au moment où l'Algérie est dans une zone de grandes turbulences.
Celui qui s'est trouvé un jour, sans qu'il l'ait cherché, au mauvais moment et au mauvais endroit, mais qui a su faire face pour empêcher la roue de l'Histoire de tourner à l'envers, focalise sur sa personne des haines tenaces.
Plus que tous les autres chefs militaires algériens, Khaled Nezzar demeure, aux yeux des intégristes, le principal responsable de l'arrêt du processus électoral de 1992 qui a mis fin à leur espoir de faire de l'Algérie une république théocratique et celui qui, le premier, a organisé la contre-offensive que l'armée a menée contre leurs phalanges armées.
Une fois leur parti dissous, leurs chefs dispersés par la prison ou l'exil, l'exaltation de leurs partisans retombée, le zèle de leurs sympathisants refroidis, d'anciens affidés du FIS, dont les compagnons salafo-djihadistes ont massacré par dizaines de milliers leurs coreligionnaires, dévasté le potentiel économique de leur pays et porté atteinte à son renom, continueront à le cibler par des campagnes de diffamation répandues par tous les moyens de la communication à leur portée ou par des plaintes à répétition portées devant des juridictions étrangères.
Beaucoup estiment que si l'ancien ministre de la Défense avait respecté la loi non écrite du système -la grisaille atone de la retraite - sa stature se serait estompée en silhouette et il n'aurait pas attiré autant d'inimitiés. Le «mauvais» exemple qu'il a donné en quittant le pouvoir de son plein gré, ses prises de position publiques souvent à contre-courant du discours officiel, ses sentences lapidaires concernant certains hommes politiques expliquent la tentative de dévoiement, par la rhétorique et le mensonge, de la démarche salvatrice qui fut la sienne.
L'accuser malgré l'évidence des faits et les démentis répétés de l'ancien président de la République d'avoir perpétré un coup d' Etat, oublier sciemment dans quel contexte politique et sécuritaire a eu lieu l'interruption du processus électoral, jeter la suspicion sur la sincérité de son engagement dans la guerre de Libération (les mémoires de Bendjedid ou plus récemment les déclarations d'un ancien chef de gouvernement), tenter d'étouffer sa voix par des injonctions comminatoires, «taisez-vous, général !», déconsidérer par des analyses spécieuses son combat pour défendre l'honneur de l'armée de son pays, a facilité les cabales médiatiques et judiciaires dont il est régulièrement l'objet.
La dernière en date des opérations de lynchage s'est développée à la suite de son intervention sur le plateau d'une télévision privée. Il a prêté le flanc et offert l'occasion, diront certains. Sans doute n'ont-ils pas tort. Filmé sous un angle défavorable, pris en «sandwich» par de piètres questionneurs, il verra s'ouvrir contre lui un procès à charge où interviendront des témoins rameutés par le média en question : «Le voilà Nezzar. Nous l'avons ligoté. Affûtez vos couteaux !»
Nezzar a-t-il voulu, en la date-anniversaire de l'interruption du processus électoral de janvier 1992, dire à ceux qui ne savent rien et qui prétendent juger, à ceux qui feignent d'avoir oublié et à ceux qui édictent que la décennie 1990 sera un trou noir qui ne devra laisser passer aucune lumière, que l'intégrisme est toujours là, qu'il n'a pas désarmé et qu'il avance ? A-t-il voulu démontrer que le silence ne sert ni la paix ni l'Histoire ? L'interdit l'aurait donc acculé à l'exercice difficile des explications et des éclairages dans le plus hostile des cadres ? Ou bien savait-il le retour imminent de certains anciens responsables, le carquois plein de flèches aux pointes trempées dans le fiel d'un long exil ? Les conséquences prévisibles de cette tentative de communication, du fait de la démarche orientée des interviewers du scandale et du scoop à tout prix, ont mis le général Nezzar dans un engrenage qui le conduit à des révélations en cascade qui suscitent — c'était prévisible — un véritable tir de barrage.
Nezzar a-t-il voulu suggérer en désignant de l'index certaines parties, qu'on a voulu «essuyer le couteau » sur sa vareuse et, qu'ayant été laissé seul face à la meute, il est en droit de se défendre et de nommer chacun par ses œuvres ?
Nul ne peut denier au général Nezzar le droit de s'exprimer et de dire ses vérités, disent ceux qui ne lui veulent que du bien. Un de ses proches résume ainsi le sentiment général de ceux qui ont été surpris par sa prestation chez le média des Frères musulmans : «Nezzar doit se souvenir des grands services qu'il a rendus à son pays et qui lui font obligation, sur certaines questions sensibles, de retenue et de réserve».
D'autres ajoutent : «L'officier qui, sans aura historique, sans socle partisan, au moment des périls, alors que les clercs trahissaient et que les notables politiques vendaient leur âme à la criée, a su garder à l'esprit une idée simple : «la mission du soldat est la défense de son peuple» et a agi courageusement selon cette conviction, cet homme risque de devenir banalement commun et d'altérer la belle image de marque qu'il a conquise de haute lutte et à laquelle beaucoup d'Algériens souscrivent : l'autorité morale. Le pays qui lui doit tant est toujours dans l'œil du cyclone. Il exige de tous ceux qui ont contribué à sa sauvegarde de rester à la hauteur de ce qu'ils ont fait».
Pour l'Histoire et pour la vérité, le général Nezzar n'a pas été laissé seul dans l'épreuve que lui a imposée un ministère public suisse à mille lieues des réalités algériennes. Des Algériens se sont mobilisés. De grands noms de la société civile fidèles à leurs idéaux et à leurs principes ont signé des pétitions. Pas uniquement pour Nezzar, mais parce que indignés que des juges étrangers, qui ne savent rien de la tragédie que nous avons vécue, s'arrogent le droit d'interpeller de hautes personnalités et de les interroger sur des questions de politique intérieure qui n'ont rien à voir avec les actes qu'ils prétendent leur reprocher (voir l'interrogatoire du général Nezzar paru dans la presse en octobre 2011). En colère de découvrir que leur pays ne pèse plus grand-chose sur la scène internationale et qu'il n'a plus la densité qui faisait naguère sa force et imposait le respect à ses partenaires, des compagnons de la guerre de Libération ou de l'ANP lui ont fait barrage de leur corps. Des fidèles de toujours sont restés à ses côtés sans céder à la lassitude ou au doute.
Les plus hautes autorités du pays, conscientes des arrière-plans de la cabale, ont agi avec rapidité, détermination et vigueur dès le début de l'affaire. La poursuite de la procédure ne fait pas perdre leur sang-froid à ces hautes autorités qui estiment que le rôle traditionnel de la Suisse - le rapprochement des extrêmes et le concours à la paix dans le monde - finira par prévaloir et s'illustrer, en ce qui concerne l'Algérie, par la reconnaissance de ses efforts pour ramener la paix chez elle grâce à la politique de réconciliation nationale initiée par le président de la République et approuvée par référendum par le peuple algérien.
Les Suisses finiront, tôt ou tard, par se déterminer aux côtés de l'immense majorité du peuple algérien qui a voté pour la paix et non pas aux côtés de ceux qui, mus par le ressentiment, ou par d'autres raisons, la rejettent en engageant des procédures ou en recourant aux attentats terroristes.
La Suisse peut-elle envisager de devenir le théâtre d'affrontement entre islamistes et leurs adversaires, encourageant ainsi les extrémistes à aller plus loin encore ?
Les autorités algériennes optent pour la patience et les explications dans un climat serein, et pour l'approfondissement de la coopération dans tous les domaines avec la Suisse, confiantes que les réalités algériennes (et du monde) finiront par s'imposer aux amis suisses. Elles ordonnent la mise en sourdine du tintamarre qui a suivi l'interpellation du général Nezzar en attendant que l'excitation retombe.
Tout le monde s'y attellera. A commencer par le général Nezzar qui mettra tout son poids dans la balance pour convaincre les membres de la «Fondation pour la Mémoire de la Terre» de renoncer à leur projet d'exhumer des cartons, où il attendait une sortie au grand jour, le noir et lourd dossier de la «Compagnie Genevoise» qui a appliqué dans les concessions octroyées par Napoléon III (20 000 hectares) le 26 août 1853 dans le canton de Sétif, avec une rigueur et une précision suisses, l'infâme code de l'indigénat qui a réduit à l'esclavage et à la famine des dizaines de milliers d'Algériens.
C'est sur l'intervention de Ali Haroun, ami de longue date de Nezzar, que les attaques dans la presse contre la Suisse cesseront. Lorsqu'un journal algérien écrira: «l'Algérie sera moins solidaire quand un citoyen suisse en mal de dépaysement s'égarera dans le désert», le chef du gouvernement, appliquant le principe de précaution, instruit les services de sécurité de redoubler de vigilance pour protéger les citoyens suisses présents ou de passage en Algérie. Les incroyables outrances de Kadafi, lorsque son fils a été interpelé à Genève, pour des faits de brutalités, ne feront pas école en Algérie. Nezzar, s'il devait participer à l'instruction, le ferait dans un climat serein et apaisé.
Dans l'affaire suisse, l'analyse hâtive de commentateurs friands de raccourcis : «les déboires suisses de Nezzar proviennent d'Alger» ne résiste pas à l'examen. Nezzar, malgré son franc-parler, souvent dérangeant, reste un symbole. Ne pas le défendre, c'est raviver les espoirs d'un FIS dissous officiellement mais dont l'idéologie reste présente sur le terrain, c'est rompre dangereusement les grands équilibres de la société algérienne dont Abdelaziz Bouteflika s'est proclamé garant.
Ponce Pilate est-il suisse ?
Les autorités politiques fédérales suisses, bien que désolées, se disent dans l'impossibilité d'intervenir pour arrêter la machine judiciaire.
Surprenante réponse. On veut bien tenir un pays en amitié, commercer avec lui, y domicilier une ambassade et ignorer que cette présence, cette amitié et cette coopération auraient été difficiles si la charte pour la paix et la réconciliation nationale n'avait pas changé les choses en Algérie.
La plupart des intervenants algériens dans le dossier reconnaissent cependant que les politiques suisses n'ont plus la partie belle. Ils ont en face d'eux le puissant lobby des droits de l'Homme, l'opinion publique, la législation de leur pays et la règle incontournable de la séparation des pouvoirs.
La procédure ouverte contre Nezzar arrive au moment où Amnesty International, Human Rights Watch : MERS, la Déclaration de Berne, le Conseil suisse pour la paix, Trial (Association suisse contre l'impunité) et l'ONG féministe pour la paix, entre autres, réunis au moment de l'éclosion des «printemps arabes», demandent un soutien actif et crédible au changement dans les pays arabes et exigent que «la Suisse doit également proposer son soutien pour la mise en place d'institutions démocratiques et respectueuses de l'Etat de droit, pour la réforme de l'appareil répressif ainsi que pour l'investigation et la sanction des droits humains... Enfin la Suisse doit également contribuer plus activement à sanctionner, sur la base du droit international, les crimes contre l'humanité...» Tout est dit.
Ces acteurs puissants et déterminés ont su atteler à leur charrette militante des juges volontaristes forts de la séparation des pouvoirs, qui auront là l'occasion de tenir la dragée haute aux diplomates.
L'arrêt du 25 juillet 2012 de la Cour des Plaintes de la Confédération qui autorise les poursuites contre l'ancien ministre de la Défense amène ce dernier à participer à l'instruction.
Les conséquences pénales et le discrédit moral qui auraient découlé d'une dérobade auraient été immaîtrisables.
Nezzar, qui ne supporte pas d'être traité de «criminel de guerre», est convaincu que le MPC helvétique va s'en tenir strictement aux faits allégués et qu'il demandera aux plaignants d'en apporter les preuves. Il n'a, à ce moment, aucune raison de douter de l'impartialité de la juge qui l'a interrogé.
Ayant condamné la torture quand il était en charge de responsabilités et donné des instructions pour en poursuivre les auteurs avérés, il a estimé que le MPC suisse ne tarderait pas à comprendre ce que cachent les dénonciations qui lui ont valu son interpellation : un podium médiatique et la caution de la justice d'un pays démocratique aux thèses du FIS. Il est convaincu, et les autorités algériennes également, que dès que la raison politique – l'arrêt du processus électoral - va percer sous les allégations de ses prétendus crimes de guerre, les choses n'iront pas plus loin.
Pour lui, ce qu'il n'a pas pu faire entendre à Paris en 2002, lorsqu'il est allé confondre un des diffamateurs de l'ANP parce que la presse algérienne a fait une lecture étriquée de l'action qu'il a intentée et que l'écho médiatique international a été étouffé par les sponsors de ses vis-à-vis, peut-être, au fond, que cette procédure en Suisse n'est pas une mauvaise chose si elle devait produire, par un effort pédagogique patient, l'effet inverse de celui espéré par l'enseigne «Trial et frères».
La fameuse phrase de Monsieur Philip Grant, le président de Trial : «Le vent des printemps arabes a soufflé à Genève», au lendemain de son interpellation, a sonné fort à Alger.
A en croire monsieur Grant, un procès contre Nezzar aurait un effet déclencheur, serait un percuteur, une sorte d'étincelle allumant le cordon bickford vers le baril de poudre algérien. La théorie des dominos...
A suivre


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