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«Enlevée par Boko Haram» de Mina Kaci
Témoignage sur la sauvagerie terroriste
Publié dans Le Soir d'Algérie le 15 - 02 - 2016


Par Malika Boussouf
Enlevée par Boko Haram est le titre d'un témoignage poignant recueilli par notre consœur Mina Kaci, journaliste au quotidien français l'Humanité, et publié aux éditions Michel Lafon, il y a quelques semaines.
Le récit est rythmé, prenant, construit à la manière d'un long métrage que l'on ne lâche plus une fois la lecture entamée. C'est l'histoire émouvante d'une enfant de 14 ans, confrontée à la bestialité faite homme. Aissatou, la victime, témoigne de l'horreur et raconte comment son geôlier improvisé en mari puise la force de la violer dans l'odeur de chair brûlée d'un homme qu'il fait immoler à deux pas de là. La barbarie est à son comble. Et c'est dans la violence de ces souvenirs entremêlés qu'elle simule une soumission qui va l'aider à tenir et à puiser la force nécessaire à son évasion et à celle de ses trois amies qui subissent un sort identique au sien.
Dès l'introduction, l'auteure plante le décor en racontant l'escalade dans la violence et l'évolution de la pensée et de la pratique barbares. L'ouvrage prend, ainsi, la forme d'une très intéressante contribution à la compréhension de la sauvagerie en général et de celle version Boko Haram en particulier. Mina Kaci rappelle sur quel terreau s'est construite la cruauté de la secte africaine et comment, peu convaincus par les effets du prosélytisme pratiqué à coups de crosses de kalachnikov, gourous et adeptes ont basculé dans le terrorisme islamiste international en ralliant Daesh. Le témoignage de la jeune Aissatou nous replonge dans celui de jeunes filles algériennes qui ont réussi à survivre aux maquis des groupes islamiques armés. Il a le mérite de rappeler le sort fait à toutes les femmes, de parler au nom de toutes les victimes qui n'ont pas le moyen de le faire. L'autre intérêt de ce témoignage réside dans le fait qu'il rappelle toutes les étapes qui conduisent à l'horreur. Et lorsque la religion se met au service d'un pouvoir quel qu'il soit (ici elle vient renforcer celui des hommes), c'est toute une organisation sociale qui s'écroule et cède à l'endoctrinement par la terreur.
Damasak, cette ville du nord-ouest du Nigeria où les femmes sont décrites comme les gardiennes du temple, renvoie une image tellement réelle de ces pays où les us, coutumes et autres normes préétablies en vue d'assujettir les populations, supplantent l'éducation. Aissatou veut être médecin mais ne remet jamais en cause la tutelle du mari ou l'obéissance à ce dernier vécues comme incontournables. Dès sa naissance, la jeune fille a été conditionnée à l'inégalité et à la discrimination entre les sexes.
A Damasak, dont elle est originaire, d'où elle a été enlevée, où elle a été violée et d'où elle s'est enfuie, les femmes sont cette sous-catégorie d'êtres humains par lesquelles passent inévitablement toutes les expérimentations destinées à préserver et faire valoir la domination, le pouvoir et la suprématie détenus par des hommes bien décidés à ne pas s'en laisser dépouiller. Il est bien connu que dans les sociétés patriarcales toute volonté d'affirmer une puissance passe par une violence contre les femmes comme leur asservissement.
S'il est difficile de se débarrasser de certains acquis, il n'est pas inintéressant de suivre l'évolution de l'adolescente et sa progression vers une réelle émancipation. C'est l'un des grands mérites de l'ouvrage tout au long duquel Mina Kaci fait d'incessants allers-retours entre la tradition et la volonté de briser les carcans de cette dernière sans brutalité aucune. L'ambivalence des sentiments et l'incessant balancement entre le sort imposé et celui rêvé par la victime comme par son entourage tiennent en haleine le lecteur. Si l'auteure a réussi à faire parler la victime, elle a aussi, à sa manière, contribué à un début de reconstruction. En l'aidant à briser le tabou du silence et en lui restituant la parole, elle lui a peut-être permis de transcender la honte et la culpabilité et à regarder son avenir autrement. Il faut dire que le poids de la religion relayé par celui de la tradition veille à la culpabilisation des femmes et y réussit, hélas, parfaitement.
Au fur et à mesure que nous progressons dans la lecture, nous réalisons, avec émotion et à quelle vitesse la victime, qui pense avoir perdu toute raison d'être en même temps qu'elle a été dépossédée de sa sacro-sainte virginité, enjambe son statut d'enfant pour endosser celui d'adulte.
Enlevée par Boko Haram se termine presque comme un conte de fées. Avec ses trois amies d'infortune, Aissatou a traversé la rivière Komadougou et laissé derrière elle le Nigeria pour le Niger où elle a retrouvé sa famille qui a tout abandonné pour entamer une nouvelle vie. Bon vent à cet ouvrage qui mériterait une large distribution.


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