Par Zineddine Sekfali Comme annoncé dans la première partie de la contribution parue dans Le Soir d'Algérie du 5 décembre 2015, j'aborderai ci-après les trois thèmes suivants. En premier lieu, je traiterai de l'obscurantisme qui, selon toutes les apparences, est très prégnant chez nous, et probablement de façon plus prononcée que dans la plupart des autres pays du Maghreb arabe. Ensuite, je tenterai de dégager quelques éléments objectifs tirés de l'histoire du monde musulman, qui sont de nature, me semble-t-il, à permettre de comprendre le phénomène Daech et d'en cerner les tenants et les aboutissants. Enfin, si la théorie du «choc des civilisations» est récente, le phénomène est historiquement ancien – puisqu'il remonte aux Croisades — étant observé par ailleurs qu'on parle à présent ouvertement de «guerre pour la civilisation», dans le but plausible de convaincre les masses populaires occidentales de l'inéluctabilité d'une troisième «guerre mondiale» qui devrait permettre à l'Occident «civilisé» d'en finir avec la barbarie. L'obscurantisme, un redoutable danger L'obscurantisme c'est, pour nous, un système de croyances et de représentation du monde, que certains cherchent, en manipulant la religion, d'instiller aux masses populaires, pour les empêcher de réfléchir, de raisonner, de s'instruire, de se cultiver et d'aspirer au progrès. C'est en plus bref l'idéologie de ceux qui n'ont pas autre chose à proposer à leurs semblables, que la régression et la stagnation. Les obscurantistes partent du principe que les peuples massifiés et aliénés au sens philosophique ou marxien du terme sont faciles à dominer et à manipuler. Or, l'obscurantisme est aujourd'hui chez nous de plus en plus visible et menaçant. Cette préoccupation quant à l'imminence et à la gravité du péril obscurantiste n'est cependant pas nouvelle. Elle a été exprimée avec force par quelques voix autorisées, dont celle du général de corps d'armée Mohamed Lamari, ancien chef de l'état-major général de l'ANP, qui avait dit avant de quitter ses fonctions : «L'ANP a vaincu le terrorisme. A présent, c'est aux civils de prendre les mesures nécessaires pour enrayer l'obscurantisme.» Cette phrase n'est pas qu'un mot lancé en l'air par un soldat agacé par la conjoncture politique et ses aléas. C'est au contraire la réflexion sereine d'un chef militaire qui s'est révélé être également un observateur politique perspicace. Sa déclaration était à vrai dire un appel au devoir de lucidité, lancé aux «décideurs» civils. N'en déplaise à tous ceux que la comparaison ne manquera pas de déplaire, les propos du général Lamari rappellent, d'une certaine manière, ceux du général d'armée français Raymond Duval, que le gouvernement français avait chargé de réprimer avec la plus grande fermeté les Algériens insurgés du 8 mai 1945, et qui après s'être acquitté de sa mission de «pacification» avait tenu à dire aux autorités coloniales ceci : «Je vous ai donné la paix pour 10 ans, si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable.» Le général avait vu juste, mais il n'a pas été entendu par les politiciens, car en France comme ailleurs, les professionnels de la politique n'aiment pas que les militaires piétinent leurs plates-bandes. Aujourd'hui, chez nous, des individus intellectuellement inconsistants et moralement douteux prononcent des prêches d'une violence inouïe et ressassent des harangues apocalyptiques dans les mosquées par définition lieux de prière, de recueillement et de sérénité. Ils se sont érigés en maîtres à penser et mentors de croyants sidérés et pour la plupart terrorisés. Ces individus tiennent du haut des chaires de certaines mosquées et à partir aussi de chaînes de télévision, agréées ou tolérées ou réputées être sous le contrôle des services de l'Etat, des discours qu'ailleurs on qualifierait d'appels publics à la haine et d'incitations au meurtre. Ils répandent leur fiel dans une impunité quasi totale. Au pays de Abdelhamid Ben Badis, il y a hélas de moins en moins d'hommes du culte éclairés, modérés, en mesure d'incarner, aux yeux de nos concitoyens et en particulier de notre jeunesse, l'ouverture d'esprit et la tolérance, de leur servir de modèles à imiter et de référents culturels à suivre. En vérité, il n'échappe plus à personne, que des mosquées, des écoles et des instituts d'études islamiques sont devenus des lieux d'incubation de l'obscurantisme et des viviers du terrorisme. Quant à ceux qui prétendent faire partie de la classe politique, ils pratiquent quasiment tous ce qu'on appelle la navigation à vue : pas d'analyse prospective, pas de projection et pas de projet politique, économique, social et culturel articulé et argumenté, à la hauteur des exigences de la modernité. «Où va la barque, va Baptiste !» disait avec malice un Maltais, prénommé Baptiste, éleveur de chèvres installé au pied de l'Edough, près d'Annaba ; il voulait dire par là, que l'homme est bien obligé, quand le moteur de son bateau est en panne en pleine mer — c'est-à-dire quand rien ne va plus —, de s'en remettre au courant marin et à la direction du vent — c'est-à-dire à la grâce de Dieu ! Deux ancêtres de Daech : les Hachachine et les Qarmates Terrorisme et obscurantisme ont de tout temps eu partie liée. Ils s'autoalimentent mutuellement. L'un ne peut exister ou survivre sans l'autre. Nous en avons la preuve depuis les temps anciens, en tout cas depuis le XIe siècle, époque où un certain Cheikh al Jabal (le Vieux de la montagne) s'installa dans un «nid d'aigle», la forteresse d'El Alamout bâtie sur un pic montagneux de 2 100 m, dans le nord-ouest de l'Iran actuel où il créa une sorte de milice formée d'assassins professionnels (le terme assassin vient, nous dit l'écrivain libano-français Amin Malouf, pour les uns du mot arabe hachachine qui signifie ceux qui s'adonnent aux stupéfiants, et pour d'autres du mot assassiyoune c-à-d-i-e fondamentalistes !). Sheikh al Jabal a ce triste privilège d'avoir été le premier doctrinaire et organisateur du crime politico-religieux de masse en terre d'Islam. Dans sa forteresse, ses sbires et ses sicaires, généralement des jeunes gens, subissaient un endoctrinement intensif, aujourd'hui nous dirions une «radicalisation». Ils suivaient des entraînements physiques dignes des membres des commandos des forces spéciales. Formés au maniement des armes et entraînés au «close combat», ces jeunes nés pour tuer — «born to kill», pour utiliser des mots du vocabulaire militaire moderne — ne partaient en mission en réalité, que bourrés de drogue. Tel est l'Orient, avec ses tares et ses vices ancestraux ! Sur ordre du Cheikh, ils devaient commettre leurs assassinats dans des lieux fréquentés par le public, notamment dans les souks ou aux abords des mosquées. S'agissant des lieux du culte, il leur était demandé de passer à l'action, de préférence à la sortie de la prière collective du vendredi. Cheikh al Jabal avait déjà fort bien compris qu'il ne pouvait y avoir de terrorisme efficace, sans une certaine mise en scène des attentats et sans des actions spectaculaires et impressionnantes. En effet, il ne suffisait pas aux yeux de Cheikh al Jabal de faire assassiner tel ou tel individu, il fallait encore à l'occasion de chaque attentat semer la peur et terroriser le maximum de personnes. Les tueurs qui échappaient aux services de sécurité ou à la vindicte populaire trouvaient refuge dans la forteresse, et en récompense de leurs actions criminelles, y jouissaient de tous les plaisirs et délices de la vie. Ceux qui étaient tués sur les lieux de leurs crimes s'envolaient, comme promis par leurs mentors, directement au paradis céleste pour y jouir, en tant que martyrs, des délices réservés aux créatures angéliques. L'humanité ne fut débarrassée de cette engeance criminelle et de ses sinistres chefs, qu'en 1246, grâce aux Mongols, qui, déferlant sur la région jusqu'à Baghdad, ont exterminé les Hachachine et rasé la forteresse Al Alamout dont il ne subsiste aujourd'hui que quelques ruines. Sous réserve des différences qui évidemment existent entre les tueurs d'Al Alamout et ceux de Daech, il faut bien admettre que ces deux sociétés criminelles secrètes ont de frappants points de ressemblance. La seule différence à vrai dire significative entre les terroristes d'hier et ceux d'aujourd'hui, c'est que les seconds sont des suicidaires, ce qui n'est pas sans susciter beaucoup de doute sur leur islamité. En effet, les djihadistes de Daech font du suicide, au moyen de ceintures d'explosifs, un «rituel sacrificiel», qu'ils accomplissent par une sorte de mimétisme morbide et mortifère : ce qui est non seulement un comportement étranger à l'islam, mais aussi un acte expressément prohibé par l'islam ! Il paraîtrait cependant que ce sont les Qarmates, un autre courant chiite dissident du Xe siècle, qui ressemblent plus aux groupes terroristes de Daech. Les Qarmates, ainsi appelés du nom du fondateur du mouvement, avaient constitué une armée de fantassins et de cavaliers, et opéraient en formations structurées. Ils ont attaqué et ravagé des régions et des villes du Moyen-Orient arabe. Ils ont essaimé en Egypte. Ils ont effectué des raids jusqu'en Afrique du Nord où ils ont recruté quelques adeptes. En 930, ils ont mis à sac la ville sainte de la Mecque, massacré ses habitants, profané les lieux du culte, obstrué le puits Zemzem avec les cadavres de leurs victimes, outragé la Qaâba et volé la Pierre noire qui ne fut récupérée et remise à sa place que quarante à cinquante années après ! On se demande aujourd'hui encore en quoi les Qarmates sont des musulmans ! Leur Etat et sa redoutable armée ont disparu sous les coups conjugués des sunnites et des Fatimides en 1077. Il faut croire qu'en ces temps-là, les peuples musulmans ne sentaient pas la nécessité de former des coalitions anti-terroristes «internationales». Ils prenaient eux-mêmes en charge leur propre sécurité et assuraient par eux-mêmes et avec les moyens dont ils disposaient la défense de l'Islam contre les déviances criminelles ou hérétiques. C'est donc avec satisfaction qu'on vient d'apprendre par la presse que trente-quatre pays arabes et musulmans ont convenu, le 15 décembre 2015, de former une coalition militaire pour combattre Daech, sur le terrain et partout où ses bandes se manifestent. Le grand désarroi des musulman d'aujourd'hui Il devient évident qu'il n'existe pratiquement pas dans le Moyen-Orient et dans le Maghreb arabe de pays qui ne connaisse pas de troubles de nature religieuse. Au nom de l'islam, des musulmans mitraillent, bombardent, font exploser d'autres musulmans. La violence alimentant la violence, tous les pays musulmans sont pris au piège et bloqués dans l'infernale spirale de la violence pour la violence. Pour leur grand malheur, certains d'entre eux sont devenus des terrains de manœuvres militaires et champs de tirs pour des aviations et des marines étrangères : américaines, françaises, britanniques, turques, allemandes et, last but not least, russes... A peine sortis de l'horreur absolue qu'était le terrorisme, les Algériens éprouvent, en ce qui les concerne, un profond désarroi religieux et se posent, quoi qu'on en dise, des questions. Ils n'ont pour la plupart d'entre eux que récemment découvert, non sans stupeur, les graves divisions religieuses qui déchirent le monde musulman et ont appris, avec étonnement, que l'Islam n'est pas aussi «un et indivisible» qu'on leur a enseigné dans les écoles, les anciennes médersas, les mosquées, les halaqates, les colloques et séminaires.... Ils constatent que l'Islam a connu très tôt – à vrai dire dès la seconde moitié du premier siècle de l'Hégire — un violent schisme qui l'a divisé en deux principaux courants distincts et hostiles, le sunnisme et le chiisme. Pire, ils voient à travers les terribles informations qui leur parviennent du Moyen-Orient en particulier, que cette faille qui lézarde l'islam, loin de se résorber, ne fait au contraire que s'élargir. Ils sont nombreux à avoir pris conscience que la cause première de ce schisme tout comme les raisons originelles des divisions des musulmans ne sont à rechercher ni à Washington, ni à Londres, ni à Paris, ni à Tel-Aviv, mais au cœur même du monde arabo-islamique, dans leurs capitales et dans les régimes despotiques et injustes qui dominent dans ces pays. Il n'est pas sans intérêt de rappeler ici, qu'à l'origine de ce schisme, il y avait une raison politique et pas de dissidence religieuse. Les musulmans se sont en effet divisés au sujet de la transmission du Califat, pas au sujet du dogme religieux. Pour les uns, cette haute fonction devait revenir de plein droit à Ali qui était, comme chacun sait, neveu et gendre du Prophète (SAWS) ; pour d'autres, elle devait échoir à Moawwiya, un notable koraïchite de La Mecque. Sur cette question les parties en conflit en vinrent aux armes et lorsqu'elles décidèrent de recourir à l'arbitrage pour régler leur différend, l'irréparable se produisit : Ali fut assassiné. Son assassinat fut suivi de ceux de ses deux fils. Leurs partisans conduits par Fatima-Zahra, la propre fille du Prophète, épouse du khalife Ali et mère de Hassan et Hocine, fondèrent le califat fatimide, avec l'appui inconditionnel des tribus Kotama du Nord-Constantinois. Il n'est pas rare en effet que dès qu'un grand évènement se produit en Orient, il ait des répercussions au Maghreb et y trouve un écho ! La fitna entre les sunnites et les chiites a marqué, il ne faut pas l'oublier, une bonne partie du Nord-Constantinois durant au moins cent ans. En Orient, les sunnites et les chiites sont séparés par un fleuve de sang. Localement, les populations se sont divisées en sectes (Kharédjite, Alawites, Nosayrites, Druzes...) puis en multiples courants (mutazilites, fondamentalistes, intégristes, salafistes, obscurantistes, etc.), entretenus et alimentés par les moutakallimoun, les fouqaha et une myriade de dignitaires religieux. A ces divisions déjà graves par elles-mêmes, s'ajoutent le penchant immodéré des penseurs religieux de l'islam pour l'ésotérisme ainsi que le développement d'une culture religieuse fortement imprégnée de taqiyya (qui signifie : dissimulation), aussi bien chez les chiites que chez les sunnites. En conséquence de quoi, il n'y a rien de surprenant que l'égarement des uns et le désarroi religieux des autres aient atteint, dans les masses populaires, un tel degré de gravité. Car il faut bien admettre que l'on ne peut être que désemparé dans ses convictions religieuses et quelque part atteint de désarroi, quand on voit des individus, se disant musulmans, tirer froidement à la mitraillette sur des gens sans armes, dans la rue, sur une plage, à la terrasse d'un restaurant, d'un café ou dans une mosquée. Le trouble et la confusion s'introduisent partout, dans tous les milieux sociaux. Dans notre pays, on en est arrivé au point où, d'une mosquée à l'autre d'une même ville, ou d'une wilaya à l'autre, les prêches divergent, les fetwas se contredisent. On a vu les croyants observer, s'agissant du premier jour du Ramadhan et du premier jour de l'Aïd el Fitr, des calendriers différents ! Je me souviens qu'en passant avec d'autres touristes il y a quelques années la frontière algéro-tunisienne, j'ai été confronté à cette étrange situation. Ce jour-là, en effet, c'était l'Aïd el Fitr du côté tunisien, tandis que du côté algérien, on observait encore le jeûne. Vérité en deçà, erreur au-delà ! Mais où était donc la vérité, ce jour-là et qui était dans l'erreur ? En 1992, lors de l'Exposition universelle de Séville, la quinzaine de pays musulmans qui y avaient participé ont célébré une fête religieuse dans «le désordre», c'est-à-dire à deux jours différents : chaque pavillon national suivait le calendrier arrêté par son pays ! On a par le passé fréquemment vécu chez nous des situations identiques, qui nous désespéraient tant elles étaient aberrantes. Quand une même communauté religieuse ne parvient pas à se mettre d'accord sur son calendrier religieux, c'est peu dire qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette communauté-là ! L'obscurantisme à l'assaut du secteur de la santé En attendant, l'obscurantisme progresse – étrange oxymore ! – et attaque sur d'autres fronts. Le charlatanisme prospère puisque de plus en plus de charlatans activent ouvertement comme thérapeutes. On peut lire sur la porte d'un ancien cabinet médical d'un grand boulevard des hauteurs d'Alger une plaque portant l'inscription suivante : «Médecine prophétique. Hijama... Horaire des visites». La hijama consiste, pour les gens de ma génération, à apposer sur la nuque de patients généralement âgés des ventouses, puis à scarifier à l'aide d'une lame de rasoir l'hématome bleuâtre produit par les ventouses. Ce traitement était censé guérir les maladies cardiovasculaires. Jadis, cette «thérapie» se pratiquait en plein air, le jour du souk hebdomadaire, sur la place publique, sous les yeux des badauds et le regard complaisant des gendarmes et des gardes champêtres. Le hejjam cumulait généralement d'autres «arts», notamment celui d'arracheur de dents, de herraz (rédaction de talisman) et de reqay (exorciste)... On en rit encore en nous remémorant ce traitement miracle prescrit en latin par le docteur Sganarelle de Molière à tous ses patients indistinctement : «primo saignare, deinde purgare, postea dar clysterium» ! Mais on savait que c'était pour éduquer les gens que Molière se moquait de certains us et coutumes rétrogrades. Castigat ridendo mores, telle était en effet la devise des comédies classiques qu'on nous enseignait au collège et au lycée. Il est scandaleux qu'aujourd'hui, on laisse ouvrir des cabinets et des cliniques dites de «médecine prophétique» où des individus, notoirement incompétents et non qualifiés, administrent à leurs concitoyens des thérapies douteuses et sujettes à caution. En fait l'adjectif «prophétique» utilisé par ces thérapeutes d'un genre particulier ne vise qu'à attirer les chalands crédules, affaiblis par la maladie et donc faciles à gruger ! Cet adjectif est emprunté au livre intitulé Médecine prophétique, écrit par un certain Ibn Al Qayyim (1292-1350), qui était, paraît-il, un grand imam mais sans doute pas un médecin. Médecine «prophétique» est en fait une expression ambiguë et son ambiguïté est soigneusement entretenue par certains à des fins lucratives. Dans son livre, Ibn Al Qayyim recommandait, sans jamais procéder à quelque exploratoire que ce fut et sans établir de diagnostic, d'avaler des décoctions, infusions et autres tisanes, de se faire des massages sur tout ou partie du corps avec certaines huiles, de subir des purges, des saignements, des scarifications et faire beaucoup de dévotions et des prières. Dans son recueil, qui avec le temps a fini par ressembler, me semble-t-il, davantage à un grimoire de «marabout africain» qu'à un traité de médecine, il prescrivait contre l'infertilité de la femme le traitement suivant : une tisane de graines de nigelle (habba sawda), de graines d'anis avec un peu de miel, à boire cinq fois par jour. Si cette thérapie «de bonne femme» était efficace contre l'infertilité, on le saurait depuis longtemps, dans le monde entier ! Le vénérable Sheikh Ibn Al Qayyim qui a du succès chez nous, presque cinq siècles après sa disparition, est, en matière de sciences médicales, le contre-exemple des savants suivants mondialement connus : Ibn Rochd ou Averroès, Ibn Sina ou Avicenne, Ibn Tofayl qui pratiquait la médecine et la chirurgie des yeux, Abd Al Ghazi ou Rhazès considéré comme le père de la médecine expérimentale, Abou Al Kassem ou Aboulcassis, le père de la chirurgie médicale, et Ibn Nafis qui a le premier mis en évidence la circulation sanguine dans le corps humain. Tous ces savants étaient, comme chacun sait, d'éminents médecins, des thérapeutes et des chercheurs de l'âge d'or (VIII-XIIIes siècles) de la civilisation arabo-islamique. Ils ont impulsé à la science, en général, et à la médecine, en particulier, un formidable élan. Leurs travaux et leurs découvertes ont longtemps été à la base des études médicales dans les plus prestigieuses universités d'Europe de la Renaissance (XIV-XVIes siècles) et des Temps Modernes (XVI-XVIII siècle). Que se passe-t-il donc dans notre pays pour que, subitement, ignorant notre riche héritage scientifique, culturel et civilisationnel, nous soyons revenus aux pratiques les plus rétrogrades, au paranormal et à l'irrationnel ! Un philosophe du XVIIIe siècle, posant la question de savoir pourquoi les pays despotiques sont pauvres en intellectuels, a formulé cette réponse : «On ne pense pas dans les pays où il est interdit de penser !» La hijjama et l'exorcisme : les premiers dégâts connus Chez nous, il y a environ un an, la presse a fait état de la mort, dans une ville de l'Ouest algérien, d'une jeune femme à la suite de son «traitement» par un exorciste. Ce thérapeute, qui n'a probablement jamais mis les pieds à la faculté de médecine, a un cabinet et, dit-on, une clinique, où il exerce son «art». La police l'avait interpellé à la suite du décès de la jeune fille et l'a déféré au parquet qui a ouvert une information. Mais l'exorciste a rapidement été relâché. Sa libération a été accueillie dans la liesse par la foule rassemblée devant le tribunal ! On dit qu'il a été ramené chez lui comme un héros, dans un cortège imposant de voitures klaxonnant à qui mieux mieux. La presse a noté que l'exorciste avait été condamné, deux ans auparavant, pour exercice illégal de la médecine. Mais l'homme serait influent : on dit qu'il a fait partie de la délégation qui s'est rendue, aux frais de la République, en Afrique du Sud en 2010, avec notre équipe nationale de football. On en reste bouche bée ! En Algérie, il faut justifier d'un diplôme d'Etat pour exercer le métier d'infirmier. Par contre, on peut, tout en étant notoirement illettré et inculte, pratiquer l'exorcisme et des actes médicaux... On peut même, et cela est tout à fait nouveau, se proclamer thérapeute sans justifier d'aucun diplôme médical universitaire. Il suffit pour échapper aux rigueurs de la loi qui punit l'exercice illégal de la médecine d'inscrire sur ses cartes de visite ou sur la plaque du cabinet où l'on reçoit ses «patients» la mention suivante : «Médecine prophétique». Quand l'intelligence régresse, l'irrationnel et le paranormal progressent ! On ne croit aux miracles que là où il y a beaucoup d'ignorants, a dit un philosophe et mathématicien du XVIIIe siècle. Le laxisme de l'Etat algérien : négligence ou complaisance ? Curieux pays en effet que le nôtre ! Pour avoir griffonné une caricature qui n'a même pas été publiée, un caricaturiste amateur a été placé sous mandat de dépôt. Par contre l'individu qui a déclaré apostat (mourted) un de ses concitoyens et l'a menacé de mort – cette menace équivalant dans la bouche de celui qui l'a proférée à un appel à l'assassinat — n'a même pas été convoqué par un adjoint du procureur, pour une admonestation ou pour une mise en garde ! Pis encore, quelqu'un a menacé, sur les ondes d'une chaîne de télévision populaire, la plus haute autorité de l'Etat et l'a gravement offensée. Le délinquant n'a même pas été convoqué pour audition par l'un des trois services de sécurité ! Quant à la justice, elle n'a rien vu ni rien entendu ! Peut-être a-t-on pris l'habitude – une très mauvaise habitude ! — dans les parquets d'attendre un coup de téléphone, pour «mettre en mouvement» l'action publique ? Paradoxalement, dans ce cas précis, l'autorité administrative a agi et fermé la chaîne TV qui a diffusé la menace. Du coup l'administration a mis au chômage, en même temps que l'encadrement de ce média, tous les autres employés, qui à l'évidence ne sont en rien responsables des propos tenus et diffusés. On est là en présence d'un cas d'école type, d'excès de pouvoir et d'illégalité, commis par la haute administration. La Justice finira-t-elle par se saisir de cette affaire, ne serait-ce que pour rappeler que le jugement des crimes et délits relève des juridictions ? En principe, dans un Etat de droit, personne, fût-il ministre, n'est habilité à se substituer aux tribunaux. Mais voici d'autres exemples patents de laxisme étatique. Pendant qu'on offrait à des criminels à la fois l'impunité et l'immunité, on a interdit à certaines associations de la société civile de s'exprimer et de dénoncer les illégalités et les injustices portées à leur connaissance par des citoyens ! Il est au demeurant remarquable que l'Algérie n'ait érigé aucun mémorial national rappelant les faits tragiques qui ont eu lieu durant la décennie noire. Réagissant comme Tartufe, l'Etat a jeté un voile sur les drames qu'il n'ose même pas voir ! Les autorités publiques sont à propos de cette période sanglante de notre histoire, prisonnières d'un discours lénifiant. Elles ressassent au sujet de la réconciliation nationale des éléments de langage élimés et usés jusqu'à la trame. On trouve beaucoup d'autosatisfaction et de triomphalisme dans les discours de certaines autorités. Mais la triste réalité est là, et sa violence crève les yeux. L'obscurantisme continue à produire parmi nos jeunes des égarés, des «aliénés» au sens marxien du terme, c'est-à-dire des individus soumis et asservis, prêts à passer à l'acte et à tuer, au nom de l'islam qu'ils outragent gravement ! C'est parmi les néophytes fanatisés et radicalisés dans les prisons, et les bandes de paumés, que Daech recrute sa chair à canon et ses mercenaires ! L'obscurantisme est bien l'incubateur et le vivier du terrorisme. Ceci n'est pas qu'une simple clause de style, une formule passe-partout. C'est une réalité vérifiable sur le terrain. Premiers éléments d'une politique algérienne de «containment» de Daech Pour en revenir au terrorisme, en général, et à Daech, en particulier, notre gouvernement a récemment proposé une loi criminalisant l'engagement dans les rangs de Daech, le financement des cette organisation, le recrutement de mercenaires, la diffusion à travers ou par le biais des TIC de sa propagande. Le projet de loi soumis à l'examen de l'Assemblée populaire nationale va permettre de punir de la réclusion criminelle de 5 à 10 ans tout Algérien ou résident étranger en Algérie qui se rend à l'étranger pour commettre des actes terroristes, s'entraîner ou entraîner autrui à cette fin. On ne peut que se féliciter de cette initiative gouvernementale, même si elle est tardive, car bien des Algériens sont partis servir comme mercenaires en Afghanistan, en Bosnie, en Irak, en Syrie, au Mali, au Sahel et ailleurs. Certains sont revenus au pays pour y semer la mort. Peut-être y a-t-il parmi les rescapés quelques repentis de la réconciliation nationale ! Le texte proposé mériterait de ce point de vue-là d'être revu et complété. On gagnerait par ailleurs à faire de la déchéance de la nationalité algérienne une sanction automatique contre tous ceux qui seraient condamnés pour de tels faits. Sur un autre plan et pour pouvoir contenir (containment) la progression territoriale de Daech, il faut qu'on s'arrête de nous dire que notre Constitution nous interdit de poursuivre militairement, en territoire étranger mais voisin, lui aussi meurtri par le terrorisme, les bandes qui pénètrent en Algérie frappent, puis détalent, en laissant derrière elles des soldats ou des gendarmes, morts ou blessés. En exerçant son droit de suite à l'encontre de bandes de terroristes qui l'agressent puis se réfugient à l'étranger, l'Algérie ne fait la guerre à aucun pays ni aucun peuple ; elle ne commet aucune agression ; ne fait que se défendre. Le droit de suite est un droit légitime et légalement reconnu. Au demeurant, si des soldats tunisiens ou libyens, ou maliens poursuivant des terroristes de Daech ou de toute autre bande d'assassins pénètrent dans le feu de l'action en territoire algérien, l'Algérie convoquerait-elle l'ambassadeur du pays concerné pour lui notifier ses protestations ou pis encore, adresserait-elle une plainte au Conseil de sécurité de l'ONU, pour violation de son intégrité territoriale ? C'est tout simplement inimaginable ! De quoi Daech est-il le nom ? Pour tout musulman, Daech c'est la profanation permanente de l'islam. Pour tout criminologue, Daech n'est qu'une forme grave de la criminalité transfrontière. Pour tout juriste, Daech n'est que le logo ou l'acronyme d'une association de malfaiteurs et d'auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Pour toute personne douée de raison, Daech est l'incarnation du mal, de la barbarie et de la sauvagerie qui se complètent et se nourrissent mutuellement. En dépit de la lettre «D» de son acronyme, Daech n'est pas un Etat ; au contraire, Daech est la négation même de la notion d'Etat. Son but premier n'est-il pas en effet de détruire l'Irak et la Syrie ? Ne vise-t-il pas à provoquer l'effondrement d'autres Etats en Orient, dans le Maghreb, dans le Sahel et dans l'Afrique sub-saharienne, avec la complicité des hordes sauvages de Boko Haram, dont les faits d'armes se limitent aux rapts de femmes à des fins inavouables ? Daech n'a pas de nationalité : c'est un groupement interlope et cosmopolite. Interlope il l'est puisqu'il réunit des repris de justice, des drogués, des aventuriers, des voyous, des petites frappes ! Cosmopolite, il l'est aussi, puisqu'il recrute là où il peut. Il suffit pour être enrôlé dans ses groupes de tueurs, de baragouiner quelques mots d'arabe et de réciter quelques versets coraniques, appris «phonétiquement», après transcription en caractères latins. Daech passe et repasse sur internet des vidéos et messages de propagande. Est-ce vraiment Daech qui les conçoit et les diffuse ? On n'est, à ce sujet, sûr de rien. L'existence de l'épouvantail Daech arrange bien des gens et notamment les despotes agrippés au pouvoir ! Mais à supposer que Daech dispose d'un service de propagande aussi performant, qu'est-ce qui empêche les Etats qui ont certainement plus de moyens que Daech de contrer par les mêmes voies sa propagande néfaste ? Du choc des civilisations à la guerre pour la civilisation L'expression «choc des civilisations» est apparue pour la première fois dans un article écrit en 1993, par Samuel Huntington (1928-2008), professeur de sciences politiques à l'université de Harvard (Boston. Etats-unis). Il en a fait ensuite le titre d'un livre publié en 1997 et devenu depuis un best-seller mondial. L'expression choc des civilisations (The Clash of Civilisations) est donc récente. Mais les chocs des civilisations sont anciens et nombreux. Il s'en est produit de très graves, notamment : - lors des huit croisades qui ont eu lieu à l'appel des papes, de 1095 à 1270. Les slogans des croisés les plus significatifs étaient «Dieu le veut !» et «Vive le Christ !» ; - en 1830, lors de l'invasion de l'Algérie. Deux extraits d'articles de presse parus dans l'Echo Provençal méritent d'être rappelés ici. Le premier est du 17-4-1830, soit trois mois avant le débarquement de Sidi Fredj ; on lit notamment ceci, «là où domine aujourd'hui la barbarie et l'ignorance... bientôt sans doute l'étendard du faux prophète se courbera devant le drapeau de la France et le signe vénéré des chrétiens». Le second article est du 21-7-1830 on y lit cette harangue : «A nos guerriers, Alger vient de se rendre. La croix s'élève où brillait le croissant !» ; - en 1948, la «communauté internationale» décide d'implanter au cœur du monde arabe un Etat intrus, en l'occurrence Israël. On connaît les suites : au moins trois guerres ont déjà eu lieu en Palestine, des populations ont été spoliées et déplacées, et aujourd'hui encore des Palestiniens sont «neutralisés» ; - de 1954 jusqu'en 1962, lors de la guerre d'Algérie ; - en 1956, quand les troupes françaises et britanniques ont débarqué à Suez, parce que l'Egypte, Etat indépendant et souverain, avait nationalisé le canal de Suez ; - enfin, il y a eu les deux guerres d'Irak, la guerre d'Afghanistan... Tous les exemples d'agressions que l'on vient d'inventorier ci-dessus ont ou avaient toutes un «substrat religieux». Des milliers de documents, et pas seulement des articles de presse, le démontrent amplement. Les agresseurs appartiennent à la civilisation judéo-chrétienne, les agressés à la civilisation arabo-islamique. Qu'on cesse donc de faire passer les responsables des agressions pour des victimes et les victimes des agressions pour les agresseurs ! La civilisation islamique ne fait pas et n'a jamais fait la guerre à la civilisation judéo-chrétienne ; elle n'a jamais menacé de la détruire ou de l'annihiler. Au nom de la «défense de l'Occident» – ce slogan pue le fascisme ! — et de la civilisation judéo-chrétienne – ce qui rappelle les slogans «Dieu le veut» et «Vive le Christ» et évoque le sabre et le goupillon —, on se dirige insensiblement vers une nouvelle guerre de religions contre les «Mahométans». Attention, il y a de l'autre côté de la Méditerranée des nostalgiques des colonies !