Par Hassane Zerrouky Fin juin 2015, quand les hordes de Daesh assiégeaient la ville de Kobané dans le Kurdistan syrien, les médias occidentaux s'étaient pris de sympathie pour les Kurdes, qui faisaient face, seuls, à des envahisseurs d'un autre temps. Sous la pression de l'opinion internationale, émue par le sort qu'allait réserver Daesh aux Kurdes et révoltée par l'impassibilité de l'armée turque qui observait sans intervenir – Kobané est à quelques kilomètres de la frontière turque -, les Etats-Unis décidaient de soutenir les combattants kurdes des YPG (unité de protection du peuple) contre l'avis d'Ankara. Aujourd'hui, en 2016, les YPG ne bénéficient plus de la même sympathie. Ils sont perçus comme d'affreux alliés de la Russie et du régime de Bachar Al-Assad. Aux yeux de leurs détracteurs occidentaux et turcs, les YPG (branche militaire du Parti de l'union démocratique kurde syrien, le PYG) ont formé une alliance militaire kurdo-arabe anti-djihadiste avec Djaïch Al-Thouwar, Burkan Al-Furat, la Coalition arabe syrienne et un groupe assyrien (chrétien), alliance connue sous le nom de Forces démocratiques de Syrie (FDS). Les FDS sont membres du Conseil démocratique syrien (CDS), présidé par Haytam Manaâ (opposant historique au régime de Damas), qui a pour projet une Syrie unie dans sa diversité ethnique et confessionnelle, progressiste et laïque. Le CDS, précisons-le, qui n'a pas été invité à Genève en raison du refus des Saoudiens et des Turcs, ne fait pas du départ de Bachar Al-Assad un préalable à une solution politique : il se bat pour un compromis acceptable par tous les protagonistes du conflit syrien. Au grand dam donc d'Ankara et de Riyad, les FDS se sont emparées il y a quelques jours de l'aéroport militaire de Minnigh dans la région d'Alep, et ont conquis lundi la ville de Tall Rifaat toujours près d'Alep, localité contrôlée auparavant par le groupe salafiste Ahrar Cham, et ce, malgré la poursuite des frappes turques pour le cinquième jour consécutif visant à arrêter leur avancée et que les FDS s'emparent de la ville d'Azaz : le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu a prévenu que les bombardements allaient se poursuivre et que le franchissement de l'Euphrate par les FDS est une ligne rouge. En outre, l'armée syrienne a chassé avant-hier les groupes de Daesh qui occupaient depuis 2014 la centrale électrique d'Alep, à l'est de la ville. En fait, dans ce conflit syrien qui n'en finit pas, la Turquie de Tayyip Erdogan s'est doublement piégée. En poussant à la militarisation et la confessionnalisation de la révolte syrienne, elle a cru que le régime de Damas allait s'écrouler comme un château de cartes. Elle a en outre négligé le poids des Kurdes dans ce conflit. Et l'intervention russe en septembre 2015 l'a empêchée de mettre en place en octobre dernier une zone d'exclusion aérienne dans le nord de la Syrie. Et il n'est pas impossible que le conflit syrien ne déborde sur le territoire turc dont la partie frontalière avec la Syrie est devenue une base-arrière des islamistes syriens. Dépités par l'affaiblissement et un début de débâcle des insurgés islamistes d'Ahrar Cham, Jaish al-Islam et du Front al-Nosra (branche syrienne d'Al-Qaïda) à Alep – l'armée syrienne et les FDS se rapprochent de Bab Al-Salamah, point de passage avec la Turquie - Ankara et Riyad, qui voient s'évanouir leur rêve d'une Syrie islamiste, veulent empêcher une déroute de leurs protégés syriens, voire celle de Daesh. Depuis quelques jours, ils évoquent une opération terrestre dans le nord de la Syrie. Une opération vouée à l'échec, assurent de nombreux experts militaires occidentaux, et ce, pour deux raisons : d'abord parce que Moscou dispose d'une supériorité aérienne sans partage ; ensuite parce que les Russes ont déployé leurs redoutables systèmes de défense antiaériens S-400 qui interdit à tout avion turc de s'aventurer dans la région depuis l'affaire du Sukhoi abattu par la Turquie le 24 novembre dernier. Ajoutons que la Turquie et le Qatar (on allait l'oublier celui-là), qui ont déconseillé aux insurgés syriens de négocier directement avec le régime de Damas à Genève, doivent sans doute se mordre les doigts. Ils auraient pu obtenir au moins un cessez-le-feu.