Par F. Hamici-Fares(*) Qu'y a-t-il de plus violent que de condamner ceux qui condamnent la violence ? Oui, chers compatriotes, chez nous, condamner la violence au sein des familles serait destructeur. Oui, vous avez bien lu : condamner la violence domestique risque de «disloquer la famille algérienne». Avez-vous constaté actuellement les désastres causés par la violence sur l'individu, la famille, la société et l'environnement en Algérie ? Il ne reste plus qu'à légiférer la violence comme un modus vivendi. Et qui a pondu cette «perle» ? Ceux qui sont censés nous protéger et sauvegarder notre dignité. Alors que dans certains pays, il est question de «politique du bonheur», chez nous on en est encore à se demander s'il est préférable de privilégier la pensée via la parole ou continuer à user du langage archaïque, violent et primaire. A juger par la croissance du nombre d'affaires judiciaires, concernant ces agressions, les détracteurs de la famille ont de beaux jours devant eux (57 cas d'assassinats jugés en un an et 10 000 cas de violences domestiques, sans compter tous les cas passés sous silence). Loin de servir la famille, la violence de l'homme sur la femme sert à la détruire. En faisant peur à sa conjointe, il exerce un pouvoir et un contrôle sur elle, sans respect de son intégrité et de sa différence. Le respect réciproque et la communication responsable contribuent à la viabilité d'une bonne relation de couple, pour une famille équilibrée et des enfants adaptés. Comment une femme, une mère battue, donc souvent dépressive, peut-elle répondre aux besoins de son enfant de manière adéquate ? Un attachement de qualité, un environnement sécure dès les premières années de vie sont la base de tout équilibre. Durant la guerre de Libération, la femme algérienne s'est totalement investie pour libérer le pays. Elle continue encore à œuvrer à son émancipation, et en guise de remerciements que reçoit-elle ? Des coups, des insultes, des humiliations, des crachats... Pour couronner le tout, des discours haineux et machistes l'assimilent au diable et en sus une loi rétrograde a failli passer. Celle pénalisant la violence faite aux femmes a été difficilement approuvée par l'APN le 8 mars 2015 et est restée longtemps bloquée au Sénat. Finalement elle a été adoptée le 10 décembre 2015, mais après une polémique ignoble et avec un bémol qui responsabiliserait la victime. On lui fait porter le poids de l'issue des violences qu'elle subirait : on lui laisse le choix de pardonner ou pas à son bourreau. Pense-t-on à sa culpabilisation par l'entourage si elle décide de ne pas accorder son pardon ? Au prix fort qu'elle devrait payer ? De ne pas se taire et de vouloir éviter une mort physique ou psychique ? Coups et humiliations, tel est le lot de la femme battue ; ayant pour conséquence un traumatisme caractérisé par la sidération et la difficulté à réagir. Alors pourquoi la charger davantage en lui laissant cette liberté qui n'en est pas une de pardonner ou pas, pour mieux l'accabler ensuite? C'est la voie ouverte à d'autres dépassements. Protéger la femme, c'est protéger la mère, l'enfant, la famille et par ricochet toute la société. Si nos décideurs connaissaient les conséquences néfastes des maltraitances domestiques, sur plusieurs générations, ils n'auraient pas hésité une seconde à signer des dix doigts la loi condamnant les violences au sein de la famille. Qui dit femme violentée dit souvent mère violentée et, par voie de conséquence, enfant violenté. Toutes les violences sont condamnables d'où qu'elles viennent et quelles qu'elles soient : familiales, scolaires ou autres. Il a été prouvé que les plus répandues et les plus traumatogènes sont les violences domestiques. Celles qui impactent le plus l'enfant avec tout ce que cela implique de négatif sur son développement, sur son bien-être psychique, physique et intellectuel. L'agressivité est inhérente à l'être humain, mais la socialisation la canalise pour en faire un moteur d'avancée au lieu d'une violence destructrice. Loin d'être une force, un signe de virilité, la violence signe, au contraire, la faiblesse, les insuffisances, les peurs et l'archaïsme du fonctionnement de l'individu à soigner ou à incriminer. Avec les neurosciences et la théorie de l'attachement, il s'avère qu'un milieu sécure et apaisant permet un attachement organisé, une confiance en soi et un sentiment de sécurité pour affronter les problèmes de la vie. Un «ayaghyul» lancé à la volée par un parent excédé est une violence qui peut marquer l'enfant à vie. Cet être à part entière a droit au respect et aux soins, tout comme sa mère. Une prise en charge précoce des troubles psycho-traumatiques arrêtera un cercle de violence qui risque de se transmettre sur plusieurs générations. Voir sa maman effrayée, pleurer, crier ou en sang parce que papa la frappe est le pire des séismes que puisse subir un enfant dont l'immaturité du cerveau l'empêche d'intégrer ces expériences. Il assiste avec un sentiment d'horreur, d'effroi et d'impuissance à ce drame et perçoit la situation comme une menace à sa vie, à son intégrité physique et psychique. Le milieu familial doit le protéger contre les agressions et les dangers de toutes sortes. Les troubles psychologiques, comportementaux, sociaux, somatiques, cognitifs et émotionnels résultent de ces violences. L'enfant, devenu un adulte perturbé, risque de reproduire ce qu'il a vécu ou ce à quoi il a assisté impuissant et malgré lui au sein de sa propre famille. Et la systémique confirme la légitimité destructrice, qui confère à la victime le droit de reproduire les injustices subies, sur un tiers innocent. Aujourd'hui les imageries neurologiques montrent qu'une information qui vient du monde extérieur fraie des circuits dans le cerveau. Ils modèlent nos aptitudes à percevoir le monde. Le comportement de l'adulte est conditionné par son passé d'enfant traumatisé. La maltraitance et ses effets peuvent conduire à une perte d'estime de soi, de motivation et à des troubles dépressifs. La violence mobilise immédiatement les mécanismes du stress chez la personne agressée. Ce stress physique implique une réaction du système cardio-vasculaire, ainsi que du système immunitaire. D'aigu ou ponctuel il devient chronique, car la personne demeure dans une situation de violence qu'elle ne peut fuir. Les retombées à moyen et long termes sont très lourdes pour l'organisme. Un attachement réussi est un gage pour la confiance en soi et le sentiment de sécurité, indispensables pour affronter les épreuves de la vie. L'absence d'attachement peut mener jusqu'à l'infanticide, la défaillance d'attachement se traduit par des maltraitances et l'excès d'attachement peut être préjudiciable à l'épanouissement de l'enfant et peut aller jusqu'aux relations incestueuses. L'attachement est lié à la recherche de soin, d'aide et d'apaisement face à une menace extérieure ou dans les moments de solitude ou de détresse. Mais comment une mère maltraitée, traumatisée, déprimée (coups, humiliations, négligences) peut-elle apporter l'apaisement nécessaire à son enfant et répondre de manière adéquate à ses attentes ? Lorsque la figure d'attachement ne protège pas l'enfant des expériences traumatiques, il en résulte un contexte perturbant pour la personnalité. Ceci a pour conséquence un état de stress post-traumatique complexe. L'impact traumatique sur le plan biologique a été mis en évidence par des études en imagerie cérébrale. Les carences et déviances du lien d'attachement sont hautement victimisantes, notamment pour les enfants, en cas de dysfonctionnements majeurs de la communication familiale. Un attachement réussi aiderait à construire la confiance en soi et le sentiment de sécurité nécessaires pour affronter les épreuves de la vie. L'exposition répétée au trauma, en particulier les traumas intentionnels, ainsi que le manque de soutien familial et social sont des facteurs qui entravent le phénomène de résilience. Outre la répétition des expériences traumatiques dans l'enfance au sein de la famille, les troubles sont aggravés par l'immaturité du cerveau au moment du traumatisme. Les neurosciences et les théories de l'attachement mettent en évidence des modifications développementales et neurologiques importantes chez l'enfant. Ces modifications permettent d'expliquer les perturbations multiples. Les expériences d'Harlow, Bowlby et Ainsworth (entre la nourriture et l'agrippement, le bébé privilégie ce dernier) ont mis en exergue les conséquences des maltraitances et des négligences : les troubles sexuels, les peurs, l'incapacité à réguler leurs états internes, à reconnaître leurs ressentis... Ces facteurs influent sur le développement de la personnalité, dans la capacité de l'exploration du monde extérieur, dans l'intégration sociale et l'autonomisation. Nous retrouvons chez les victimes de maltraitances précoces enlisées dans les souvenances et amputées d'une partie de leur vie le sentiment d'insécurité, de honte, de colère impulsive, et surtout cette difficulté à s'adapter et à avoir une vie sociale malgré leur désir d'évoluer. Le phénomène dissociatif, cause de maltraitances précoces, s'exprime par des oublis de certains évènements importants de la vie (dissociation mnésique) par la dépersonnalisation (le sujet ne se reconnaît pas et se pose la question si c'est bien lui), une déréalisation (avec la question est-ce qu'il est bien chez lui ou là ou il croit être) et une confusion d'identité qui le pousse à s'interroger sur son identité sexuelle. Des émotions suscitées par l'événement traumatique sidèrent la victime qui, dès lors, oscille entre l'anesthésie et le débordement affectif. L'âge et la durée d'exposition au trauma, la qualité du lien avec l'entourage, le type de trauma sont autant d'éléments qui participent au risque de développer un trouble psycho-traumatique. Il peut se manifester par : les phobies, la dépression, le risque de suicide, la dépendance à la drogue ou à l'alcool, l'anxiété, les troubles alimentaires, les cauchemars, la douleur, les maladies psychosomatiques, le désinvestissement scolaire et de toute activité. Par contre un lien d'attachement solide et stable est une ressource inestimable, un facteur de résilience qui aide la victime à se reconstruire, à acquérir des compétences et à retrouver une vie normale. C'est à l'Etat qu'incombe la responsabilité de faire le nécessaire afin de protéger la mère, la famille et par voie de conséquence l'enfant pour en faire un être et un citoyen socialement, psychologiquement, intellectuellement et physiquement adapté. C'est à l'Etat qu'incombe la responsabilité de désengorger les consultations des «psy» en agissant dans l'intérêt de la femme, de la mère, de la famille et de l'enfant, cet adulte à venir. Pour une société meilleure, où régneront plus de civisme et moins de mépris pour soi même, pour son semblable et pour son environnement. Et si on légiférait l'amour et le respect... ? F. H.-F. * Psychologue, thérapeute familiale, praticienne EMDR.