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LE CONSEIL FRAN�AIS DU CULTE MUSULMAN (CFCM) A LA VEILLE DES �LECTIONS
Claquements de portes et institution qui tourne en rond
Publié dans Le Soir d'Algérie le 14 - 02 - 2005

Elle �tait la seule femme � avoir fait partie de la consultation pour la cr�ation du CFCM, ou Conseil fran�ais du culte musulman. Bettoul Fekhar- Lambiotte, alg�rienne, a vite claqu� la porte de cette institution, d�non�ant la mont�e progressive de l'islamisme au sein de cette institution et la place des fondamentalistes de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF).
Remplac�e par une autre femme, elle aussi d'origine alg�rienne, Dounia Bouzar, celle-ci n'a pas manqu�, � son tour, au bout d'un an et demi, de rendre le tablier d�clarant qu'"au CFCM il n'a jamais �t� question de d�battre sur les musulmans n�s en France" champ pour lequel on a fait appel � ses comp�tences et qu'elle constatait "qu'une fois de plus les seules discussions qui vont mobiliser le CFCM jusqu'aux �lections concernent les places des uns et des autres, sans qu'aucun d�bat soit possible. Si les motivations de d�mission de l'une et l'autre des deux femmes ne sont pas identiques, elles se rejoignent cependant sur un point essentiel : le CFCM ne joue pas le r�le pour lequel il a �t� cr�� et ses membres ne sont mus que par le pouvoir et le nombre de places qu'ils peuvent grappiller aux prochaines �lections pour renforcer leurs influences. Les enjeux �videmment du renouvellement en avril prochain du bureau du Conseil sont la pr�sidence du CFCM et le poids des diff�rentes organisations qui le composent. Mais il appara�t nettement que c'est le concept m�me de cette repr�sentation, son mode d'organisation et de d�signation de ses membres, en fait la mani�re dont les autorit�s fran�aises ont pens� ce Conseil et son fonctionnement qui font d�bat aujourd'hui. Ils laissent penser que le long cheminement qui a conduit � ce Conseil a plut�t privil�gi� un consensus fragile, de fa�ade. Ce consensus n'est pas des moins dangereux dans ce type de structures. A terme, il pourrait donner une fa�ade l�gale � tous les d�bordements, pour ne pas dire tous les extr�mismes, et on le voit bien � quelques mois du premier renouvellement. Le consensus de fa�ade a aujourd'hui tr�s vite vol� en �clats laissant place aux rivalit�s, aux courses pour les postes et naturellement aux mannes financi�res et leur pr�servation, le d�bat r�cent sur la formation des imams et le projet de cr�ation d'une fondation pour plus de transparence du financement du culte �tant les meilleurs exemples de ce mariage forc� entre des conceptions d'un islam aux contours id�ologiques et aux int�r�ts �conomiques et politiques divergents. Beaucoup de remous et de turbulences dans une institution que nous avons voulu un peu mieux conna�tre, en nous adressant d'abord � celles qui ont d�cid�, avec fracas, de la quitter. Chacune d'elles a une vision de l'islam, une id�e sur la mani�re de l'organiser ou de ne pas l'organiser qui nous a paru int�ressante � d�couvrir. D'abord Madame Bettoul Fekhar-Lambiotte, qui anime l'association "Terres d'Europe" et qui a �t� � l'origine de tr�s nombreuses rencontres en France, sur l'Islam, profitant ainsi et bien avant la cr�ation du CFCM, de toutes les occasions pour faire conna�tre "un islam de tol�rance et d'ouverture et de progr�s".
De notre bureau de Paris, K. Baba-Ahmed

Le Soir d'Alg�rie : Vous aviez claqu� la porte du CFCM en disant que vous reprenez votre libert� parce que vous n'admettiez pas l'entr�e de l'int�grisme dans cette institution. L'histoire vous a-t-elle donn� raison, avec toutes les tourmentes que vit aujourd'hui ce Conseil ?
Bettoul Fekhar-Lambiotte : C'�tait �vident. Peut-�tre ai-je �t� trop rapide, comprenant beaucoup trop t�t, six mois � l'avance, qu'il manquait fondamentalement un pr�alable. C'est une tr�s bonne chose que nous puissions disposer d'un Conseil fran�ais du culte musulman parce que l'on ne peut pas continuer � traiter l'Islam comme un parent pauvre. L'on ne peut plus discriminer des gens au nom de leur spiritualit�. Avec le temps, je me dis parfois que ce que vit le CFCM aujourd'hui est peut-�tre une maladie de jeunesse, mais au fond, je n'en suis pas convaincue. Il y a un probl�me de pouvoir et d'id�ologie dominante qui nous ram�ne au vieux d�bat du temps de la cr�ation de l'Islam et des batailles pour la succession du Proph�te. Tous nos malheurs proviennent de l�. Mais aujourd'hui, nous assistons � une prise de pouvoir de l'institution, par un Islam r�trograde. Je ne me reconnais pas dans cette repr�sentation de l'Islam.
Mais vous avez �t� tout de m�me membre de la consultation, et �tiez pr�sente � tout son processus de cr�ation...
Je suis rest�e, en effet, 3 ans et demi et j'ai vu l'influence grandissante que prenait ce courant r�trograde et les fa�ons d'agir de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) et de la F�d�ration nationale des musulmans de France FNMF). Ils forment un bloc �vident. Par ailleurs, � partir du moment o� on dit que le CFCM est la repr�sentation de tous les musulmans de France, de tous les courants de l'Islam, je m'insurge contre le fait que des chiites ne soient pas repr�sent�s ; contre le fait que les kharidjites ne le soient pas aussi. Il y a des Mozabites ici en France, ils ont leur mosqu�e, et pourquoi ne font-ils pas partie du CFCM ? Je m'insurge, en outre, contre le syst�me de d�signation qui privil�gie les f�d�rations et grandes mosqu�es (Paris, Lyon, Evry, Marseille, Mantes-la-Jolie et l'�le de la R�union) et pourquoi pas d'autres mosqu�es comme Strasbourg, et concerne la composante des personnalit�s qualifi�es. L'on se demande en quoi elles sont qualifi�es. L'on n'a pas fait appel aux intellectuels et l'on a fait, par ailleurs, appel � une seule femme, moi, qui ne pr�tends pas du tout repr�senter les deux millions et demi de femmes musulmanes de France.
En �voquant cette absence d'intellectuels, dans la liste des personnalit�s d�sign�es, � qui pensez-vous, par exemple ?
Pourquoi Arkoun n'a pas �t� sollicit� ? Pourquoi Merad n'en faisait pas partie ? Pourquoi est-ce que Djamel-Eddine Benchikh n'en �tait pas membre et encore pourquoi le grand traducteur du Coran, qu'est Youcef Seddik, n'y figurait pas ? Dans ce domaine, les intellectuels qui auraient pu beaucoup apporter au CFCM sont nombreux et on ne leur a pas fait appel. Avec le temps, je pense que la cr�ation du CFCM co�ncidant avec la veille de la guerre en Irak, l'on n'a pas voulu cr�er d'�clats et l'on a abouti, de ce fait, � un Conseil b�cl�. Il faut vous dire aussi, que dans cette conjoncture, les manifestations du Bourget organis�es par l'UOIF ont fait illusion alors qu'en France cette organisation n'a pas tellement d'adh�rents, comme on veut le faire croire.
Pr�cis�ment, lorsque des critiques sont �mises sur la composition du CFCM et le r�le dominant de l'UOIF, les autorit�s fran�aises r�torquent : "Si l'UOIF a une place aussi importante dans le CFCM c'est tout simplement parce que les musulmans de France lui ont accord� cette place.
Non ce qu'a fait l'UOIF est une v�ritable prise de pouvoir au sein du CFCM. Il n'y a malheureusement jamais eu, au grand jamais de discussions � l'int�rieur du Conseil, sur ce probl�me de fond et Dounia Bouzar en est partie pour cette raison.
Ce qui vous heurte dans la composition du CFCM, c'est l'absence d'intellectuels et de gens qui r�fl�chissent, produisent et enrichissent le d�bat sur l'Islam. Mais alors qu'ont fait, � ce jour, ces intellectuels pour emp�cher que le CFCM soit l'otage de l'UOIF et plus en encore que ces extr�mistes investissent les banlieues et cr�ent l'Islam des caves avec tous les dangers que repr�sente cette nouvelle religion aupr�s des jeunes ?
Nous sommes coupables et moi avec tous, d'une passivit� et d'un confort intellectuels. Nous nous gargarisons de mots sans �prouver le besoin de parler de l'Islam, et notre silence nous est retourn� en boomerang. Nous sommes coupables, parce que nous ne nous sommes pas suffisamment d�fendus. Nous avons �t� trop laxistes et avons en quelque sorte favoris� la coupure avec notre peuple et, partant de l�, nous assistons aujourd'hui � l'importation d'un Islam belliqueux du Moyen-Orient. Notre Islam, celui de la majorit� qui est maghr�bine en France, est un Islam d'ouverture, un Islam de la responsabilit� individuelle et collective. A nous maintenant de combler le vide.
Tous les probl�mes du CFCM se situent-ils l� uniquement ?
La r�flexion sur l'Islam avec une indiff�rence au fric et au pouvoir n'a malheureusement pas eu lieu. Mais je dois aussi rajouter que nous sommes tomb�s � pieds joints et avons �t� pi�g�s par une erreur de m�thodologie. Il nous fallait d'abord conna�tre le cadre de la la�cit�, pour savoir dans quel espace juridique nous allions �voluer et cette approche m�thodologique n'a pas �t� faite par nous. Les animateurs de la cr�ation du CFCM auraient pu aussi faire appel � certaines personnalit�s connues (Emile Poulat, Herrera ou Mustapha Ch�rif…) qui auraient pu cadrer le d�bat.
Les autorit�s fran�aises envisagent aujourd'hui de cr�er deux grands chantiers : la formation des imams et la cr�ation d'une fondation pour assurer une transparence dans le financement du culte. Qu'en pensez-vous, sachant que ces deux sujets ont soulev� une grande pol�mique � l'int�rieur m�me du CFCM ?
La Mosqu�e de Paris a loup� son affaire. Elle poss�de un institut islamique et elle �tait l�gitimement en droit d'y assurer la formation des imams. Elle ne l'a pas fait et s'est content�e d'observer fleurir celui de l'UOIF qui est une v�ritable p�pini�re d'islamistes r�trogrades. C'est dans cet institut de la Mosqu�e de Paris que l'on aurait d� former ces imams en exigeant un niveau de qualit�, une double culture, une aisance en fran�ais et une formation th�ologique solide et enfin et surtout une connaissance de toutes les religions et pas seulement de l'Islam.
Et sur la cr�ation de la fondation pour assurer la transparence du financement du Culte musulman ?
Il m'est revenu que cette fondation serait aliment�e par la zakat et les b�n�fices de l'abattage de la viande hallal. Je ne sais pas si j'ai raison, mais je doute que la zakat soit donn�e au CFCM (encore faut-il qu'il soit cr�dible et pour l'instant il ne l'est pas). Comment en effet donner � une structure non cr�dible 2,5% des ses revenus ?
Il ne faut pas nier que la manne financi�re engrang�e par la zakat, par l'abattage et par des "dons venus d'ailleurs" peut permettre aujourd'hui, si elle ne le fait pas d�j�, des financements occultes qui peuvent aller jusqu'� la formation de futurs terroristes ou � tout le moins la propagation d'un Islam tr�s particulier. Le fait d'avoir pr�vu dans la composition du Conseil d'administration un repr�sentant du minist�re de l'Int�rieur pourrait peut-�tre garantir cette transparence, non ?
Tout � fait, � condition que cette transparence soit r�elle et que l'argent ne vienne pas de l'Arabie Saoudite et qu'en outre l'on fasse pr�sider cette fondation par un musulman et qu'elle soit contr�l�e par un Fran�ais. K. B.-A.

Il faut d�sacraliser l'histoire musulmanes
Autre lieu, autre femme, autre point de vue. Celui de Dounia Bouzar, membre du CFCM jusqu'au 3 janvier dernier, date de sa d�mission, et qui pr�sentait jeudi dernier au Centre de la presse �trang�re (CAPE) son dernier ouvrage Monsieur Islam n'existe pas, paru aux �ditions Hachette. Charg�e de mission jeunes au minist�re de la Justice, elle a d�j� publi� en 2003, en collaboration avec Sa�da Kada, L'une voil�e, l'autre pas aux �ditions Albin Michel qui avait fait, � l'�poque, couler beaucoup d'encre. L'auteur a men� pendant deux ans une enqu�te aupr�s d'associations dirig�es par de jeunes musulmans et tente de d�crire comment ces jeunes vivent leur Islam... "Ce qui me passionne et m'agite, dit-elle, c'est pas tant le principe, quand bien m�me ce serait un principe religieux mais son application." L'auteur a tent� de savoir comment ces jeunes, hommes et femmes, comprennent ce que Dieu peut leur dire et de conclure � l'issue de son enqu�te "que ce n'est pas par de vaines th�ories que les religions avancent mais c'est par l'exp�rimentation. En �tant dans de nouvelles situations concr�tes, les croyants se rendent compte par eux-m�mes que les anciennes interpr�tations qu'ils avaient de l'Islam ne donnent plus de r�ponse aux nouvelles questions qu'ils se posent, face � de nouvelles situations concr�tes. Aux jeunes, le discours dominant, �manant tant des politiques fran�ais que de certains musulmans eux-m�mes, part du pr�suppos� que l'Islam est incompatible avec la la�cit�. Et que, par essence, l'Islam g�re toutes les sph�res et qu'il n'y a pas de possibilit� de s�parer le profane du sacr� en Islam". Or ces jeunes, selon l'auteur, sont arriv�s au constat qu'on ne peut plus regarder dans les pays musulmans pour trouver une r�ponse � la question de savoir comment vivre leur religion, dans un pays la�que. Les jeunes commencent � dire "d'accord, le Coran contient des principes mais finalement il ne pr�voit pas de mode de fonctionnement pour mettre en place ces principes. Une distinction s'op�re aujourd'hui, petit � petit, chez ces jeunes, entre l'aspect historique et les principes religieux. L'on observe un processus de r�flexion, l� o� il y a dialogue, et l� o� le dialogue n'existe pas, il y a rigidification. Les jeunes, dit encore Dounia Bouzar, se rendent compte tr�s vite du pi�ge qui consiste � se faire d�finir uniquement comme musulman et s'aper�oivent qu'en les r�duisant � cette seule d�finition, les hommes politiques cherchent � les enfermer dans une entit� homog�ne, et � faire l'�conomie de proc�dures de consultation, de remises en cause politiques. La prise de conscience des jeunes et leur construction aujourd'hui se fait aussi sur les probl�mes de d�mocratie. Ils se disent que la discrimination ne touche pas que les musulmans et que la lutte contre les discriminations doit se faire de concert avec toutes les minorit�s et qu'elle ne doit plus �tre engag�e au nom de la libert� de religion mais au nom des valeurs citoyennes. Toute la th�se de Dounia Bouzar d�velopp�e largement dans son livre et annonc�e comme r�sultat de son enqu�te se r�sume dans le constat que l'histoire que l'on se fait de sa religion d�pend de sa propre histoire et qu'il faut totalement d�sacraliser l'histoire musulmane, comme l'ont eu � le faire toutes les religions avant l'Islam. Questionn�e par le Soir sur les raisons de sa d�mission du CFCM, Dounia Bouzar r�pond : "J'ai choisi de d�missionner parce que je ne pouvais plus supporter qu'on reproduise en France certains glissements sur la s�paration du profane et du sacr� et cette propension des politiques � tout confessionnaliser… Lorsque l'on �voque dans les discours politiques un musulman, cela devient tout de suite les musulmans, un Arabe, devient imm�diatement les Arabes… C'est une fa�on de r�duire les gens � une entit� homog�ne pour encore faire l'�conomie de proc�dures de d�mocratie et de droit � laisser les gens se d�finir. Le CFCM, pr�cise encore l'auteur, est le seul endroit o� je n'ai pas parl� d'Islam. L'on n'y a jamais parl� dans cette instance des musulmans n�s en France. Le probl�me vient �videmment du r�le trop politique que les autorit�s politiques veulent faire jouer au CFCM � qui on voulait faire r�gler tous les probl�mes : question des Alg�riens dans l'histoire de France qui n'a jamais �t� reconnue ; question des discriminations ; l'occultation de sujets qui f�chent les Etats amis… Le CFCM fonctionnera bien lorsqu'il sera compos� de jeunes n�s ici en France. K. B.-A.


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