Attaf préside une réunion du CS sur la coopération entre la LA et l'organe exécutif de l'ONU    Energie: la 12e édition des JST de Sonatrach en juin à Oran    CNDH : l'Algérie a placé le secteur de l'éducation en tête de ses priorités    France : le parquet de Paris recadre le ministre de l'Intérieur    En qualité d'envoyé spécial du président de la République, Saihi reçu à Moroni par le Président de l'Union des Comores    Ballalou: renforcer davantage la coopération culturelle entre l'Algérie et l'Italie    Mise en service d'un tronçon de 14 km de la pénétrante autoroutière Djen Djen-El Eulma    Le Président Tebboune salue l'opération de libération du ressortissant espagnol    Le président de la République reçoit le Commandant d'Africom    Le nouvel appareil de jardinage d'intérieur de LG dévoile un désigne raffiné    Le rôle du Président Tebboune salué    S'agit-il d'un véritable cessez-le-feu ou d'une escroquerie ?    Les premières décisions du Président Donald Trump tombent    JSK : L'Allemand Josef Zinnbauer, nouvel entraîneur    La JSK sauve sa place de leader face au CRB    Le tirage au sort le 27 janvier    «Les masques sont tombés ! »    Deux personnes échappent de justesse à la mort    Le wali gèle les activités de l'APC de Béni-Dergoune    Lancement d'un concours pour le recrutement de 476 employés    Une délégation parlementaire inspecte des sites à Timimoun    Plus de 25 heures de témoignages vivants collectées à Tlemcen    ''Le Pays de Peter Pan'' de J.M. Barrie et ''La Terre du Milieu'' de J.R.R. Tolkien    Conseil de sécurité : l'Algérie convoque des consultations sur la Syrie    Production pharmaceutique : signature d'un contrat entre "Enad-Shymeca" et une start-up spécialisée dans l'intelligence artificielle    La Télévision algérienne dévoile sa grille de programmes pour le mois de Ramadhan 2025    Conférence historique sur le rôle de la Fédération du FLN durant la Révolution de libération nationale    Le président de l'APN reçoit une délégation parlementaire de la Slovénie    Des cadres de la DGSN en visite au siège du Conseil de la nation    Education : le gouvernement examine les mesures proposées pour la révision des programmes scolaires    Le président Tebboune salue l'opération de libération du ressortissant espagnol    Le Général d'Armée Saïd Chanegriha reçoit le Commandant d'AFRICOM    Skikda: 162 millions de dinars pour la réhabilitation des infrastructures devant accueillir une partie des Jeux scolaires africains    Union nord-africaine de football: "un intérêt croissant pour le football scolaire de la part de la CAF"    CNFE: plus de 6500 stagiaires formés en 2024    Le Directeur général de la Protection civile en visite de travail et d'inspection dans la wilaya d'El Meghaier        L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



UN PRINTEMPS ALGERIEN OU L'AGONIE DE L'EMPIRE FRANÇAIS
Mars est le mois qui ouvre les portes du printemps. Il attise les souvenirs
Publié dans Le Soir d'Algérie le 22 - 03 - 2016


Par le Commandant Azzedine
Le 8 du mois, mes pensées vont à toutes ces femmes qui ont versé leur sang pour notre liberté à tous. A ces multitudes qui ont pétri la galette, chauffé le café. A ces héroïnes sans lesquelles il n'y aurait pas eu de héros. A nos mères, à nos sœurs, à nos filles qui peuplent aujourd'hui les amphithéâtres des universités, les cours d'école, à ces femmes qui se battent et qui résistent contre l'obscurantisme.
En ces jours de résurrection de la nature, mes pensées vont naturellement à la journée du 19 mars de l'année 1962. Une grande date qui mérite son appellation de Fête de la Victoire. C'est le mois qui a fermé un long hiver, le plus âpre que nous ayons vécu, le plus long de notre histoire, puisqu'il a duré quelque 132 ans !
Ce jour est gravé dans ma mémoire. J'en ai un souvenir très précis. J'étais avec des combattants et quelques cadres de la Wilaya IV. Nous étions dans la région de Sakamody, non loin d'Alger, sur les contreforts qui dominent, à l'est la plaine de la Mitidja. Cela faisait quelque temps que j'étais revenu clandestinement en Algérie avec un petit groupe de patriotes, grâce à une filière de sympathisants français de notre cause, via Genève et Paris.
Nous nous sommes retrouvés avec le colonel Si Sadek, Slimane Dehilès, qui avait succédé au colonel Ammar Ouamrane fin 1956 jusqu'à avril 1957. Comme nous, si Sadek venait de l'extérieur. Etaient également des nôtres, les commandants Omar Oussedik et Charef Moussa, les capitaines Boualem Oussedik et Ali Lounici. Tous des anciens patriotes de la Wilaya IV, ainsi que Mohamed Aïtsi qui, lui, venait de la Wilaya 1.
Comme tout le monde, c'est par le son nasillard d'un transistor que nous avions appris par la voix fluette du Président le soir du 18 mars, l'aboutissement des négociations et la signature des accords d'Evian.
Je me souviens comme si cela s'était passé hier, de l'enfer que nous avons vécu la matinée du 19 durant. A croire que l'armée colonialiste avait décidé d'épuiser tous ses stocks d'armement avant l'entrée en vigueur du cessez-le-feu. Elle avait allumé dans le ciel et sur terre un brasier démentiel. L'aviation qui tapissait montagnes et talwegs de bombes, projetant dans les airs des tonnes de terre qui retombait comme des pluies volcaniques, l'artillerie qui excavait les coteaux explosant les arbustes qui s'enflammaient... Le colonialisme déversait ses dernières barriques de fiel. Puis brutalement, on aurait dit que le monde alentour s'était éteint. Un silence à couper le souffle se fit... Puis le premier son que j'entendis c'était le chant des oiseaux. Ils étaient les premiers à saluer la paix. Comme saisis d'une paralysie du sommeil, seuls nos yeux se cherchaient. C'est, je crois, le plus beau de tous les silences qu'il m'ait été donné d'apprécier. Midi pile ! Le carnage avait cessé. Si Sadek s'adressant à quelques moussebiline les invita à se diriger vers Médéa. Une voix lui dit : «Mais... si Sadek, l'armée, les postes, les guérites... Les français.»
- Suivez-moi, leur répondit-il, je connais l'armée française, j'y ai servi... Midi moins une, ils ne te ratent pas. Midi pile, c'est l'arme au pied. Terminé !»
Les gens ont soufflé. Nous sortions d'une guerre de sept ans et demi. La France colonialiste nous avait livré une guerre totale. Elle avait quadrillé les djebels. Elle avait implanté des postes militaires partout, dans les plaines et les montagnes à chaque entrée et sortie d'agglomération, sur toutes les collines où le moindre des reliefs, des guérites scrutaient d'autres guérites.
A titre indicatif, la commune de SaintPierre-Saint Paul (aujourd'hui Ouled Moussa) comptait une cinquantaine de déchras (hameaux) pratiquement insignifiantes, l'armée française y avait construit 54 postes militaires. Certaines déchras étaient à l'ombre de deux postes parfois. Ils ont tricoté le pays à l'aide de voies de pénétration. Ils ont aménagé des centaines d'aérodromes et de pistes d'atterrissage à travers tout le territoire national. Ils avaient détruit huit mille villages. Toute l'Algérie est devenue une zone interdite. Nos populations étaient regroupées dans des camps de regroupement, un euphémisme qui cache sous ses oripeaux l'incarcération de plus de 2 250 000 personnes, soit environ un tiers de la population rurale générale du pays et dont plus de la moitié d'enfants. Parqués telles des bêtes derrière des murs de barbelés, à l'ombre des miradors, avec des gardes chiourmes qui avaient droit de vie et de mort sur les femmes, les enfants et les vieillards. En 1959, Michel Rocard, alors inspecteur des finances, avait remis un rapport au délégué général Paul Delouvrier, dans lequel il faisait état de la mort de plus de deux cent mille personnes. Toujours selon le rapport, il mourait approximativement 500 enfants par jour ! Les lignes Morrice et Challe avaient clôturé hermétiquement les frontières est et ouest du pays. Un million d'hectares de forêts a été bouffé par le napalm. De l'autre côté, dans les pays voisins aux indépendances encore fragiles, nous ne pouvions plus passer. Ils ont utilisé toutes les armes. Je dis bien toutes les armes qui existaient à cette époque, si on excepte la bombe A. Et tenez-vous bien, après tout cela, devant un tel désastre que seule la haine peut produire, il s'en trouve qui soutiennent encore que de Gaulle nous a octroyé l'indépendance. Quel cadeau !
La population algérienne tout entière, à ce moment-là avait cru que le cessez-le-feu c'était la paix.
Malheureusement, dans la capitale et les villes importantes, nous en étions encore loin. L'OAS terminait le sale boulot de cette sale guerre. Un massacre délirant des populations civiles sans défense. Parce que l'OAS voulait remettre en question les accords d'Evian et provoquer l'irréparable en faisant réagir les populations algériennes contre les pieds-noirs et rendre caducs les accords de cessez-le-feu pour permettre l'intervention de l'armée française. Il ne faut jamais perdre de vue que cette dernière menaçait encore le 24 juillet 1962, soit près de trois semaines après la reconnaissance par Paris de la République algérienne, d'intervenir «directement pour protéger ses nationaux» (!!!).
Mais nous ne sommes pas restés longtemps au maquis mes compagnons et moi.
J'avais le plus grand des respects et des considérations pour tous ces hommes qui sont restés à l'intérieur au moment des grandes opérations dévastatrices, voulues par de Gaulle et menées par Challe en 1958-1959-1960. Ces hommes ont fait leur devoir.
Avant de rallier Alger, j'ai expliqué à tous que malgré le cantonnement des troupes de l'Armée de libération dans les lieux où ils se trouvaient au moment du cessez-le-feu, ainsi que prévu par les accords d'Evian, et vu que la lutte se déroulait dans les centres urbains contre les nervis de l'OAS, nous nous sentirions plus utiles à Alger aux côtés des populations livrées à elles-mêmes et à la terreur des ultras partisans de l'Algérie française. De sinistres nouvelles nous parvenaient quotidiennement. Chaque matin apportait son macabre «body-counting». Il y avait des jours où l'on dénombrait plus de cinquante morts et un cortège de blessés qui se comptait parfois par centaines.
La proposition d'aller en découdre avec l'OAS a été accueillie avec joie par tous. C'est ainsi que nous avons résolu d'entrer à Alger et de réorganiser la Zone autonome qui avait été décimée par ce que Jacques Prévost, journaliste de France 5 (Radio Alger) a improprement appelé «La bataille d'Alger». Je dis improprement car en fait de bataille, l'armée française a eu les mains libres, après avoir reçu des politiques les pleins pouvoirs d'opérer en dehors de tout cadre légal, pour commettre les pires exactions de son histoire déjà sanglante.
Nous sommes entrés à Alger pour organiser la défense citoyenne de la capitale. Pourquoi citoyenne car pour nous, il s'agissait d'organiser les populations. Nous ne pouvions pas prendre le risque d'une confrontation directe avec l'OAS et de jouer de la gâchette avec ses tueurs qui, quotidiennement, organisait leurs rodéos meurtriers. Cela aurait immanquablement mis en péril les récents accords d'Evian. Si notre action partait en vrille, ce serait donner l'occasion à l'armée française de remettre le couvert, d'autant que bien de ses officiers se sont découvert des qualités de putschistes qui ne demandaient qu'à s'exprimer.
L'opinion algérienne et française avait encore en mémoire l'épisode peu glorieux du «pouvoir insurrectionnel (qui) s'est établi en Algérie par un pronunciamiento militaire... un quarteron de généraux à la retraite... partisans, ambitieux et fanatiques», etc.etc, d'avril 1961. Tentative de coup d'Etat qui avait ébranlé la cinquième République instaurée elle-même par le golpe du 13 mai maquillé en «retour de l'enfant prodigue», mais cela est une autre histoire. Pour rejoindre Alger, nous étions accompagnés par Si Mohammed Berrouaghia, qui nous a mis en contact avec les militants, il est vrai peu nombreux, mais toujours aussi efficaces et dévoués à la cause.
Aussitôt dans la capitale, j'ai évidemment averti le GPRA. Je l'ai informé que j'étais là pour réorganiser Alger en zone autonome, comme elle avait existé déjà sous Abane et Ben M'Hidi.
Mais si, comme l'écrit Ben Khedda, dans son livre intitulé «Abane-Ben M'Hidi, leur apport à la Révolution algérienne», la première Zone autonome instituée par le Congrès le la Soummam en août 1956, a fonctionné, sous le commandement du redoutable Yacef Sadi, comme un appareil de combat de premier plan, sa mission en 1962 ne pouvait plus être la même, en ce sens que les données politico-militaires avaient évolué et des accords liaient désormais le GPRA et l'ancienne puissance colonisatrice. En 1956-1957, la ZAA était une super-wilaya car elle était celle du CCE puisqu'il y siégeait. Maintenant elle se devait de préparer Alger à devenir la capitale de l'Etat algérien restauré et le siège des institutions de la République algérienne.
Pour la nouvelle ZAA, il s'agissait : comme me l'a indiqué le président du GPRA : primo de défendre les populations contre l'hystérie criminelle des tenants de l'Algérie française.
Secundo éviter coûte que coûte que les provocations n'entraînent une riposte qui amènerait les Algériens à descendre sur les quartiers français. Par conséquent, protéger les accords d'Evian.
Tertio, en collaboration avec l'exécutif provisoire du Rocher-Noir, et les autres institutions comme la préfecture ou les différents corps de sécurité, particulièrement la gendarmerie, préparer les conditions et les meilleures qui puissent être, pour la tenue du référendum d'autodétermination prévu pour le 1er juillet.
Nous considérions que le GPRA était la seule autorité légale et légitime car il émanait du CNRA et il en était l'instance exécutive depuis la disparition du CCE. Il était avec le CNRA les seuls dépositaires de la légitimité révolutionnaire.
Pour mieux comprendre la situation qui prévalait au plan politique en mars 1962, permettez-moi de revenir en arrière jusqu'à la session du CNRA qui s'était déroulée dans la capitale libyenne le 27 août 1961. Un conflit latent agitait, déjà, les relations entre le GPRA et l'Etat-major général dont j'étais membre. Il faut dire que Boumediène, Kaïd Ahmed, Ali Mendjeli et moi qui constituions cet Etat-major depuis janvier 1960, étions soudés comme les doigts de la main.
«L'affaire du lieutenant Gaillard», dont nous avions abattu l'avion dans la région de Mellègue dans la zone frontalière de l'Algérie, a attisé, en quelque sorte, les brandons de discorde entre le GPRA et nous.
Cet avion en opération avait bombardé des écoles militaires d'entraînement de nos troupes. Nous l'avions abattu et son pilote s'étant éjecté, nous l'avions capturé et mis au secret. Les autorités tunisiennes, pressées par Paris, avaient demandé au GPRA de leur remettre notre prisonnier.
Bien entendu, charbonnier étant maître chez soi, les Tunisiens ont demandé au GPRA le transfèrement de l'officier français. Nous nous sommes opposés à l'impératif de notre gouvernement. Avec le temps, je dois avouer que nous avions tort sur toute la ligne.
Le prisonnier ayant été arrêté sur le sol tunisien, il était tout à fait naturel que nous le remettions aux autorités locales. Après tout, nous n'étions que leurs hôtes.
C'est Abdelhafid Boussouf, ministre des Renseignements et Liaisons générales, accompagné de Lakhdar Ben Tobbal, ministre de l'Intérieur, autrement dit, deux des trois «B», en chair et en âme, qui sont venus exiger de nous que nous leur remettions le détenu. Après avoir tergiversé, nous avons fini par céder.
Cette crise a considérablement envenimé les rapports entre les deux institutions. Au point de nous amener à une démission collective, ou plutôt un retrait tactique, déguisé, puisque avant de partir, nous avons désigné des hommes de confiance pour garder la maison. En effet, nous avions confié les clés aux responsables de la zone nord dirigée par le capitaine Ben Salem, assisté des lieutenants Abdelghani, devenu plus tard Premier ministre, Abdelkader Chabou devenu responsable de l'ANP, sous Boumediène, et Chadli Bendjedid, le futur président de la République. Il y avait également les gars de la zone sud avec Salah Soufi, futur membre démissionnaire du Conseil de la Révolution issu du coup d'Etat de juin 1965, Saïd Abid, lui aussi membre mais qui est mort mystérieusement à la suite de la tentative de prise du pouvoir par le colonel Tahar Zbiri. Je citerai, également, les membres du bureau technique avec les capitaines Zerguini et Boutella et le lieutenant Slimane Hoffman.
Quant à nous, nous nous sommes rendus à l'étranger. Ali Mendjeli et Kaïd Ahmed, au Maroc tandis que Boumediène et moi nous avons été en Allemagne afin de rencontrer, les organisations militantes de la fédération de France et plaider notre point de vue dans ce qui nous opposait aux politiques du GPRA.
En fait, j'avoue que je n'étais pas chaud pour tout cela. Ce qui avait commencé comme une question de protocole et de préséance institutionnelle allait un peu trop loin à mon sens. Cela devenait de l'insubordination vu que nous contestions l'autorité même du GPRA, autorité qu'il tenait du CNRA, c'est-à-dire l'organe suprême de direction de la Révolution dans lequel nous siégions en tant que membres.
C'est ainsi que j'ai pris la parole devant mes pairs lors de cette session du CNRA d'août 1961, pour les informer de ma décision de demander l'autorisation au Président qui sera issu de la réunion du CNRA de rentrer en Algérie. J'ai donc quitté Tripoli pour me rendre à Tunis où j'ai été reçu peu après par le nouveau président du GPRA qui succédait à Ferhat Abbas : notre deuxième Président de l'histoire : le Président Benyoucef Ben Khedda.
C'est lui qui m'a autorisé et m'a chargé de la mission avec ordre écrit de réorganiser la Wilaya IV. Et je peux attester qu'il n'y avait aucune arrière-pensée quant à une manœuvre quelconque ou une supposée stratégie visant à court-circuiter une institution au profit d'une autre.
Dès qu'on est descendus à Alger, et dès que Si Mohamed Berrouaghia nous a présenté les militants qui activaient dans la capitale, nous avons commencé à organiser la deuxième ZAA.
Aux termes des accords d'Evian, les troupes de l'ALN devaient rester dans les cantonnements qui étaient les leurs au 19 mars à 12 heures. Mais comme nous étions rentrés clandestinement, nous avions fini progressivement par mettre les Français devant le fait accompli et devenir incontournables. Ils ont été dans l'obligation, non seulement de nous accepter, contraints et forcés par notre action contre l'OAS, l'organisation de la cité, l'adhésion du peuple d'Alger à nos initiatives dans tous les domaines, de travailler avec nous,
Quand les gars du Rocher-Noir, autrement dit l'Exécutif provisoire, sont arrivés ils savaient qu'il y avait une institution qui s'appelait la Zone autonome d'Alger. Les noms des officiels de l'exécutif sous la direction d'Abderrahmane Farès avaient été annoncés le 29 mars 1962, et ils n'ont tenu leur première réunion officielle que le 13 avril. Mais nous, nous étions déjà sur le terrain et ils savaient que nous nous trouvions depuis un laps de temps déjà dans la capitale. Une Zone autonome qui avait l'accord du GPRA qui agissait, qui envoyait ses rapports d'activité au GPRA chaque semaine. Et donc vis-à-vis des autorités françaises, il y avait une organisation. Entre nous soit dit, ça arrangeait le pouvoir colonial et il ne faut pas perdre de vue que l'OAS menaçait ce pouvoir et son autorité. Une autorité décatie certes, mais autorité quand même.
La partie française avait bataillé ferme pour préserver les intérêts des Européens. Sans doute pensait-on, d'un côté comme de l'autre de la table des pourparlers, que l'annonce de la fin des hostilités allait calmer la situation en attendant la phase finale du processus de libération qui était le référendum d'autodétermination.
Malheureusement, ce fut le scénario inverse qui se produisit. Les ultras qui ont de tous temps été très actifs en Algérie sous des appellations différentes, ont entraîné dans le sillage de la violence toute une population remontée à bloc contre les Algériens bien-sûr mais aussi contre Paris qu'on accusait de bradage de la colonie.
Imaginez une population totalement désarmée, épuisée par un des plus longs conflits de l'histoire de la décolonisation, caractérisé par une violence inouïe, qui devait faire face à l'hystérie meurtrière des séides d'une armée que la presse appelait des «desperados», comme pour justifier leur folie.
Ainsi nous avons connu la journée des fatmas, la journée des pompistes, la journée des pharmaciens, la journée des marchands de quatre saisons, quel cynisme ! Et puis ce terrible attentat contre les dockers et qui a emporté 72 d'entre eux dont le seul crime était de chercher du travail pour nourrir les leurs. Ils ont bombardé la place du Gouvernement au mortier, ils ont essayé d'incendier La Casbah, ils ont menacé de brûler toute la capitale.
Si leurs projets n'ont pas abouti, c'est grâce à la vigilance de toute la population algéroise et aux militants de la zone qui étaient là et qui étaient mobilisés.
Les institutions républicaines françaises étaient noyautées par les éléments de l'OAS et leurs sympathisants. Il a fallu du temps pour nettoyer tout ça. Un travail patient qui a été effectué par la Zone autonome. Nous informions l'exécutif au Rocher-Noir, ou alors, Vitalis Cross qui était préfet igame d'Alger.
Nous faisions un travail sur le terrain où nous collections des informations sur les éléments appartenant à l'OAS. Renseignements que nous communiquions aux responsables au niveau du Rocher-Noir ou de la préfecture. On informait la gendarmerie fidèle au pouvoir colonial, comme le capitaine Lacoste. De notre côté, nous agissions dans l'ombre. Nous ne pouvions pas intervenir directement au risque de constituer, à leurs yeux, une violation des accords.
Nous mettions donc à la disposition de ceux qui étaient censés maintenir l'ordre. Mais ce n'était pas toujours le cas. Ce laxisme à l'égard des tueurs de l'OAS a amené la population algérienne de la ville à vouloir descendre sur les quartiers européens pour se faire justice elle-même. Nous avons été contraints et forcés par l'inaction des services concernés à prendre nos responsabilités et nous avons déclenché le 14 mai, une opération simultanée sur tout le territoire de la Zone autonome d'Alger. Nous avons visé les postes de commandement OAS d'où ils prenaient leurs ordres, les cafés, les bars, les restaurants où ils se réunissaient et nous avons frappé fort. Très fort.
Le lendemain, nous avions donné une conférence de presse dans laquelle nous avons revendiqué l'action et expliqué les raisons de notre opération. A Genève, M'Hamed Yazid, notre ministre de l'Information, dégageait la responsabilité du FLN, tout comme, d'ailleurs l'exécutif provisoire du Rocher-Noir. Tout cela faisait un peu cacophonie mais nous nous sommes tenus à notre position.
Dans les ports et les aéroports, nous assistions au départ massif des Européens avec inquiétude. Nous nous disions que ces gens qui partaient occupaient les postes vitaux de l'économie, de l'administration, des services. Ils détenaient le savoir-faire pour faire fonctionner le pays. Saurons-nous être à la hauteur, techniquement s'entend, pour prendre en main les leviers de la machine. Comment faire couler l'eau dans les robinets, comment marchent les centrales électriques et les centraux téléphoniques.
Les hôpitaux ! Qui allait gérer et administrer le trafic portuaire et aéroportuaire ? Et par-dessus tout, comment allons-nous répondre aux exigences de la rentrée scolaire 1962-1963 ? Qui va enseigner si tous les enseignants s'en vont ? Les Algériens, avec beaucoup de courage, ont répondu et ont apaisé mais en partie seulement je dois le dire, nos angoisses comme le montrera la suite des événements.
Mais je profite une fois encore de l'occasion qui m'est offerte pour rappeler, et pour la énième fois, que le sinistre slogan «la valise ou le cercueil» est une invention des ultras de l'OAS, qui ont voulu le mettre sur notre compte.
Avec les crimes commis par l'OAS contre la population algérienne, le fossé qui s'était creusé par près de huit ans de guerre était déjà profond et assez large. Il s'est creusé davantage. Je peux dire aujourd'hui que c'est l'OAS qui a poussé la population européenne à une sorte de suicide collectif. Nous ne les avions pas menacés. Ils sont partis dans la précipitation. Se sentaient-ils responsables des crimes commis par d'autres ? Ceux qui avaient la conscience tranquille sont restés.
Je reconnais qu'il y a eu des abus, des règlements de comptes. Il s'agissait du conflit parmi les plus violents du 20e siècle avec une charge historique, culturelle «civilisationnelle», religieuse, amplifiée par l'injustice colonialiste car il n'y a rien sur cette terre de plus injuste que le colonialisme quoi qu'en pensent les nouveaux croisés qui lui trouvent des vertus émancipatrices.
Le colonialisme, c'est la négation de l'homme, c'est son avilissement, son ravalement au niveau de la bête. Rien dans l'histoire de l'homme, pas même l'esclavage des temps antiques, n'a souillé l'œuvre de l'humanité autant que le colonialisme ! Comme a dit quelqu'un dont le nom ne me revient pas, «le colonialisme c'est la sous-hommisation des nations».
A Tripoli en Libye, pour ce qui est du Congrès lui-même, Omar Oussedik et moi avons bien sûr reçu les convocations pour y participer. Nous ne nous y sommes pas rendus. Nous leur avons envoyé une lettre dans laquelle nous leur avions rappelé que le Congrès qui a vu naître le CNRA en août 1956, s'était déroulé en Algérie à la Soummam et qui plus est, en temps de guerre. Pourquoi donc ce congrès ne se déroulerait-il pas en Algérie d'autant plus que le cessez-le feu avait été proclamé sur tout le territoire ? Nous aurions pu assurer le bon déroulement de la rencontre sans encombre si cela avait été le vœu de la direction. Nous n'avons jamais eu de réponse. Le congrès s'est tenu à Tripoli, tout le monde connaît la suite.
En juin, nous avions commencé à recevoir les responsables du GPRA. On a reçu Krim Belkacem, Boudiaf, Aït Ahmed, Mohammedi Saïd et plusieurs autres hauts responsables. Ils sont venus, nous les avons accueillis. Mais nous avons pris garde de ne pas nous engager avec les uns ou les autres. La ZAA a observé une neutralité stricte.
Pour nous, il n'y avait qu'une seule autorité, c'étaient le CNRA et son exécutif le GPRA. Toute autre personne qui se prévaudrait d'une quelconque responsabilité, alors qu'elle n'est pas dûment mandatée par l'une ou l'autre des ces institutions, relèverait de l'imposture.
Durant toute la durée de la guerre, il y avait une entente entre les wilayate de la Wilaya I jusqu'à la Wilaya VI. Nous nous entendions parfaitement puisque notre seul objectif était l'indépendance de l'Algérie. Il y avait des mutations d'officiers, de combattants, d'une wilaya à une autre. Dans le domaine de la logistique, il y avait des échanges considérables de rations alimentaires entre les différentes structures. Nous pouvions opérer sur le territoire d'une autre wilaya. Y tendre des embuscades, mener des batailles, parfois. Il y avait une entente et une solidarité dans l'action.
C'est à partir de la crise sourde encore inexprimée, née à Tunis entre l'Etat-major et le GPRA, crise qui a éclaté en plein jour à Tripoli lors du dernier CNRA, que les choses sont parties en vrille. Des responsables guidés par leurs ambitions l'ont importée et elle s'est propagée à travers l'Algérie pour infester l'ensemble des structures politiques et militaires. La ZAA et la fédération de France demeuraient, de leur côté, loyales au GPRA.
C'est ce virus de la discorde qui a ensuite infesté. «On» appela «ça» l'«affaire des wilayas». Je m'inscris en faux contre cette terminologie. Les wilayas ont été les instruments de luttes externes.
Pour ma part, je peux assurer l'opinion que la Zone autonome s'est battue tout comme sa population. Nous avons livré la capitale libérée de l'OAS au GPRA lorsqu'il est arrivé.
La Zone contrôlait la situation. Jusqu'au 27 juillet 1962. A cette date, l'indépendance avait été proclamée et l'Etat colonisateur avait reconnu la République algérienne. A cette date, il ne restait plus rien à libérer.
Je suis fier de dire aujourd'hui que nous n'avons pas tiré un seul coup de feu contre les combattants de la Wilaya IV que j'ai servie et où j'avais été blessé treize fois.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.