De notre bureau de Bruxelles, Aziouz Mokhtari Yvan Mayeur, bourgmestre de Bruxelles, est à Paris. Le maire de la plus importante agglomération belge a des choses à dire aux Français, notamment à l'Andalouse Anne Hidalgo, mayeure de Paris. Chaude explication. Les politiques et les médias hexagonaux en font trop, il est vrai, dans le «Belgium-Bashing», Molenbeek par-ci, Scharbeek par-là, lorsque ce n'est pas Anderlecht, Liège ou Verviers, municipalités du royaume de Philippe et de la charmante Mathilde, accusées, toutes d'être des sanctuaires d'où partent les kamikazes, semeurs de mort, de désastres et de désolation dans toute l'Europe. Les Belges, contrairement à ce que l'on peut supposer, ne s'en laissent pas conter. Ils réagissent avec du «tact ferme», de la «modération diseuse» et aussi de la «réplique cinglante». Inventeurs de mots, créateurs de belles formules, les Bruxellois répondent à leurs «frères de France» que ce n'est pas de leur faute, à eux, si Daesh s'est bien implanté en Syrie. Comprendre par là que ce n'est pas leur diplomatie qui a mis en danger l'Etat laïque à Damas, qui a aidé les nébuleuses terroristes et qui s'est allié avec les financiers de l'EI, l'Arabie Saoudite et le Qatar. La Belgique, certes, a été partie prenante des expéditions punitives politico-guerrières contre Bachar, mais elle l'a fait sans grande conviction, traînée par les pieds par l'OTAN, la France et la Grande-Bretagne. Les Belges, taiseurs en politique étrangère, semblent, depuis, notamment le cas «Molenbeek» se rapprocher de la Syrie et même de la Russie. Le chef de la diplomatie russe, Lavrov, de passage à Bruxelles, avait, lors d'une conférence de presse, déclaré, gros cigare aux lèvres, «notre amitié» avec le Royaume de Belgique ne saurait être «altérée» par des cheminements contradictoires. Habile, le relex de Poutine tend la perche en proposant à la Belgique un deal qui isolerait la France de Fabius, alors ministre des AE et dont l'essentiel de son passage au Quai d'Orsay se résumait à pérorer «Bachar doit partir». Aujourd'hui, la voie est ouverte par les nouveaux positionnements. La presse néerlandophone, puissante, ouvre depuis une semaine sur la «Libération de Palmyre», «la victoire des lumières sur les ténèbres en terre d'Islam», «l'incontournable Assad pour toute future élimination des bases arrière de Daesh» ou «l'idiotie de croire que l'armée syrienne sera vaincue par des mercenaires qui fuient, dès les premières vraies batailles». La Belgique joue gros, ces temps-ci. Capitale de l'Union européenne et abritant l'essentiel des structures de l'Alliance atlantique - Nato -, Bruxelles ne peut, comme ça, décider de sa politique. Ni intérieure ni extérieure. Elle en sortirait dénudée, déplumée. A moins que le rapport de force au niveau mondial le permette. Les Belges prient Dieu, voire tous les dieux pour qu'un accord durable soit trouvé entre Obama et Poutine sur la Syrie pour qu'enfin, le potentiel diplomatique, traditionnellement d'arbitrage, puisse se libérer. En attendant, ici, à Molenbeek, Schaerbeek, Anderlecht, station métro Maelbeek ou à l'aéroport Zaventem, devenus points de chute et de repère de tous les médias internationaux, cela ne va pas bien. Les gens sont tristes, les regards fuyants, les mines grises, le cœur n'y est pas, n'y est plus. La peur le dispute à l'angoisse et le chant des sirènes des policiers, ambulanciers, gendarmes, sociétés privées de sécurité est la seule mélodie entendue et validée. Le Belge, peu habitué à vivre sous tension de ce type, n'arrive pas à démêler l'écheveau. Les experts, dont beaucoup bidon», les journalistes «spécialisés» et les formules à l'emporte-pièce des politiques ajoutent à sa perplexité. «Pourtant, relate Geneviève, pensionnée de l'éducation, nous n'avons jamais fait de mal à l'Islam, chez nous». La journaliste qui l'interviewait prend, il est vrai, la peine de lui expliquer qu'il s'agit de «terroristes agissant au nom de l'islam et non des musulmans». Est-ce, sera-ce suffisant ? dimanche, pour une marche «contre la peur», devenue «pour la paix», interdite mais tolérée par les pouvoirs publics, des centaines de militants d'extrême-droite arrivant de Vilvoorde, flamande, s'affairaient à casser du «musulman», du «Marocain», de l'Arabe. Colère non contenue de plusieurs associations de défense des droits de l'Homme, du bourgmestre de Bruxelles qui ne comprend pas qu'on puisse laisser prendre le train à des fauteurs de troubles alors même que leurs intentions étaient connues, non dissimulées. Ils visaient place de la Bourse, lieu culte des rassemblements, des hommages et des prises de parole contre les attentats ayant ciblé Bruxelles le 22 mars du mois en cours. «Qu'a-t-on fait au bon Dieu, n'hésite pas à crier sa révolte, André, retraité de l'ULB (Université de Bruxelles), aujourd'hui consultant sur les littératures comparées et les langues orientales, pour avoir un gouvernement qui laisse tomber Palmyre et qui ne se félicite pas de sa reprise à l'armée syrienne ?» Cette colère, à peine contenue, d'André est la même que l'on trouve dans les bars, les lieux de rassemblement des gens ; bref, dans le café de commerce. Les gens poussent leur Etat à s'allier avec Bachar, le plus rapidement serait le mieux. Au sein du gouvernement, composite, dirigé par le libéral francophone Charles Michel, ça tangue, ça se fissure. Les ministres de l'Intérieur et de la Justice ont même présenté leur démission — refusée— à cause des graves «défaillances» et «dysfonctionnements» —quel euphémisme— précédant Zaventem et Maelbeek. Pourtant, c'est depuis le 13 novembre de Paris que la Belgique ne sait plus où donner de la tête. Les Belges pressentent, présentement, que plus rien ne sera comme avant, mais ils ont le sentiment, voire la certitude que l'après peut être pire que l'avant. La presse ne cesse de leur rappeler, un malheur n'arrivant jamais seul, qu'une douzaine de terroristes, superbement armés, courent toujours et que la frontière franco-belge, poreuse, n'est pas une garantie pour le dormir-tranquille. Montée de l'extrême-droite. Ça ne va pas en Belgique. Objectivement et subjectivement. Ressorts cassés.