De notre bureau de Bruxelles, Aziouz Mokhtari Atmosphère lourde. Pesante. Les gens se regardent à peine en face. Les stations de métro sont investies par les forces de l'ordre. Armées jusqu'à l'os. Les Bruxellois comprennent l'utilité du dispositif — comment pourrait-il en être autrement ? — alors que les carnages de ce vendredi 13 de Paris ont tous été conçus et organisés depuis ici. Depuis Molenbeek. Les mesures exceptionnelles se succèdent aux mesures tout aussi exceptionnelles. Annulation du match Belgique-Espagne (70 000 billets vendus), la municipalité de Molenbeek est pratiquement coupée du reste du pays, voire du monde. Tout ici est contrôles, fouilles, surveillance, policiers en civil, indics «barbus». La bourgmestre (équivalent de maire en France) Françoise Schepmans appelle au «calme», à la «sérénité» et à la «tempérance». Egrène «les «réalisations» et les «avancées» réalisées depuis son intronisation, il y a trois ans, à la tête de la maison communale dans une coalition composite. Le gouvernement à qui appartient sa majorité ne lui fait, pourtant, pas de cadeau. Jambon, le ministre de l'Intérieur, nationaliste flamand, déclare, cruel : «Je m'occuperai personnellement de Molenbeek.» Schepmans n'est pas seule sur la sellette. Loin s'en faut ! La France par la voix du chef de l'Etat, François Hollande, estime que l'essentiel des descentes punitives sur Paris est arrivé de Belgique. La sentence est lourde de conséquences diplomatiques d'autant qu'elle a fusé du congrès de Versailles, réunion exceptionnelle des deux Chambres, Parlement et Sénat où le chef de l'Etat s'exprime sans que les représentants de la nation puissent l'interroger. Hollande a, lors de cette intervention, demandé ni plus ni moins qu'une révision constitutionnelle allant dans le sens d'un renforcement des pouvoirs de police au détriment de ceux de la justice. Un «Patriot Act» français où le Président verrait ses prérogatives renforcées. Les Belges affaiblis, humiliés et déstabilisés que tout a été soigneusement préparé chez eux avant que Paris n'explose, font le dos rond, esquivent, ne vont pas à la bagarre contre le puissant voisin. La crise diplomatique et la rupture du lien affectif entre Paris et Bruxelles sont proches, c'est évident, c'est inscrit dans le marbre du futur. Le polémiste et controversé Eric Zemmour, naviguant allégrement dans les eaux de l'extrême-droite et de la droite extrême, veut que «la France bombarde Molenbeek plutôt que Raqaâ (état-major présumé de Daesh en Syrie, ndlr)... Des manifestations de groupes d'extrême-droite, hostiles à l'Islam et aux musulmans, s'annoncent, un peu partout dans le pays. Courageusement, Françoise Schepmans a interdit l'une d'elles dans sa commune, la pauvre Molenbeek. Les habitants, ici, se terrent, sortent tôt de leurs demeures et fuient les questions des journalistes. Nombreux, très nombreux, de plus en plus nombreux, «trop nombreux», selon Abdelkader, originaire de Nador (Rif marocain) et tenancier d'un café-thé près de Comte de Flandre. La machine médiatique mondiale s'emballe et entraîne le personnel politique belge. Les pistes nauséabondes, les propos abjects contre les musulmans et les outrances arrivent au galop. Les informations les plus folles circulent. Salah Abdeslam, l'un des tueurs de Paris, serait aux abords du stade Roi Baudouin et serait «superbement» et «anormalement» armé. L'homme le plus recherché d'Europe aurait été déposé aux environs de ce temple du football samedi dernier. Selon des indiscrétions «policières», le match des Diables rouges contre l'Espagne ne pouvait pas se tenir dans une ambiance pareille. Pourtant, c'est vrai Salah Abdeslam a effectué le voyage Paris-Bruxelles juste après le «travail terminé» dans la capitale française. Les pouvoirs publics du royaume le savent bien : en Belgique, plus rien, désormais, ne sera plus comme avant. Les carnages de Paris ont frappé aussi au cœur de la capitale européenne et de l'Otan. La Belgique si calme, si ordonnée, si «vicieuse» pour postuler — et obtenir — les sièges les plus prestigieux (Union européenne-Alliance atlantique, Fédération internationale des journalistes (FIJ), Union syndicale mondiale, démembrements importants de regroupements de l'ONU, une foultitude d'associations universelles) voit son prestige ébranlé, sa dynamique d'exportatrice de «bons offices» cassée. Bruxelles perd beaucoup en cette occurrence. Les chancelleries, y compris européennes, n'apprécient pas trop que les états-majors tant politiques, sécuritaires, diplomatiques ou militaires se réunissent, régulièrement, dans des villes médiatiquement identifiées comme «non sûres». Un ou d'autres attentants terroristes ici, ou élaborés, ici, et la Belgique se retrouvera une main devant et une main derrière. A. Baaoud, belgo-marocain, actuellement en Syrie daeshistes est à l'origine du plan qui a incendié Paris depuis Bruxelles. C'est un Molenbeekois ! C'est l'une des informations en une des quotidiens du soir. Le niveau d'alerte est passé de 2 à 3 sur l'ensemble du territoire. C'est presque le dernier degré de l'échelle de «Richter» en matière de terrorisme. Toutes les manifestations sportives, culturelles ou autres sont annulées jusqu'à nouvel ordre.