De notre bureau de Bruxelles, Aziouz Mokhtari Ça va mal en Belgique. Récit d'une descente aux enfers entamée le 22 mars dernier. Les statistiques sont effarantes. Bruxelles, capitale de l'Union européenne, voit sa fréquentation touristique chuter de 98%. C'est bien ça, quatre-vingt dix-huit pour cent. Ça va mal partout. Les lieux cultes, le Musée de la science unique au monde est désespérément vide, lui qui, habituellement, voit arriver de partout — Berlin, Paris, New York, Barcelone, Toulouse, Boston, Montréal, des visiteurs savants et des cadors dont le voyage est payé par leur université. L'Atomium, boules géantes de l'extérieur et de plaisirs de l'intérieur, vitrine de Bruxelles ne ressemble plus à rien. Seul le vide et le stress règnent en maîtres dans cet endroit qui avant ce maudit 22 mars 2016, ne désemplissait pas. Inauguré en 1958, année de l'exposition universelle, rénové, restauré, bichonné à plusieurs reprises, les attentats de Zaventem et de Maelbeek l'ont complètement anéanti. Ni les Bruxellois, ni les étrangers ne veulent s'y rendre. C'est risqué mais aussi le cœur n'y est pas. N'y est plus. Les gens d'ici préfèrent, les médias lourds y sont pour beaucoup dans cela, rester entre eux, dans des bars de quartiers, valeurs sûres. Mais la bière ne coule plus à flots comme au temps jadis d'avant les expéditions meurtrières. Une Blanche, artisanale du village Houegarden, par ci, une ou deux Jupiler par là, quelques téméraires vont jusqu'à 4 Chimay brassé par des moines depuis belle lurette et pas plus. Les Bruxellois ne font plus la fête. D'ailleurs, le transport public ne le permet plus. Métros fermés à partir de 19h tout au long de la semaine dernière, taxis pas aussi téméraires que d'habitude, peur de se faire accompagner comme avant par un ou une inconnu(e) rencontré(e) dans le bistrot ou de prendre un clandestin ou un Uber, tout est configuré pour que la peur s'installe. En boucle dans les télés et dans les unes des journaux à sensation, il n'est question que de Salah Abdeslam, de l'homme au châpeau de l'aéroport encore en fuite et de douze présumés terroristes encore dans la nature... Les publications sérieuses, mesurées comme le Libre Belgique, Le Soir ou les néerlandophones comme De Morgen n'inversent pas la tendance. Les Bruxellois eux-mêmes ne sont pas prêts d'écouter les propos rationnels. Ils sont attentifs à l'émotionnel, au tout sécuritaire, au «démantèlement» de Molenbeek. Ce quartier, au cœur de la ville, à majorité marocaine d'où tout ou presque tout est parti, les attentats de Paris puis ceux de Bruxelles, cristallise toutes les rancœurs, toutes les angoisses et devient phantasmagorique. Les élus, bourgmestres, conseillers municipaux multiplient les initiatives, rivalisent de propos pour expliquer, analyser, mettre de «l'ordre dans les esprits», ça ne fonctionne pas. L'opinion publique gonflée à bloc, traumatisée veut des coupables, cherche des têtes politiques pour la potence, déjà dressée. Le gouvernement Charles Michel, droite dure, coalition des nationalistes flamands et des libéraux francophones, tangue, navigue à vue, ne semble pas avoir une stratégie appropriée. Les ministres de la Justice et de l'Intérieur ont remis leurs démissions qui ont été refusées. Dans la foulée, une commission d'enquête parlementaire a été installée. Les questions seront dures et l'opposition ne fera pas de cadeaux tant les failles et les dysfonctionnements ont été nombreux dans l'avant et l'après-attentats. L'unité de la nation a existé, il est vrai, mais quelques jours seulement, le temps de l'émotion et des recueillements. Pas plus. La Belgique n'est pas servie, il faut le relever, par son voisin français qui lui mène la vie dure et qui lui complique l'existence. Le «Belgium Bashing» des Français est devenu l'activité principale en Hexagone. La presse française d'habitude si gentille, si polie, si révérencieuse et si peu fouineuse, s'est déchaînée contre la Belgique. Ceci explique sans doute cela...