Par Zazi Sadou Porte-Parole du RAFD 1993-2002 Le 21 février 2016 à 20h30 nous a quittés Maurice Baglietto appelé affectueusement Momo. Il aurait eu 91 ans ce mois de mai. Il a rejoint, au cimetière de Kouba, sa femme défunte et sa terre natale qu'il a tant chérie. Momo incarnait magistralement la notion de héros anonyme. Sa bravoure n'avait d'égal que son humilité. Il a été inébranlable dans son engagement pour l'Algérie, la justice sociale, la Liberté. Il s'est toujours revendiqué communiste en dépit des soubresauts de l'Histoire. Sa droiture, son humilité et sa générosité méritent d'être soulignées. Jeune homme dans l'Algérie colonisée, il s'engage avec ferveur aux côtés de son père et de sa famille pour défendre les ouvriers et les pauvres. Son engagement pour l'indépendance de l'Algérie lui vaudra de longs mois d'emprisonnement dans le «camp de Lodi». A l'évocation de cette période de luttes déterminantes contre le colonialisme, il aimait dire avec son humour inoubliable. «J'ai été interné à l'Université de Lodi.» Une façon bien personnelle pour souligner tout ce qui a caractérisé ce camp qui a regroupé des centaines de patriotes de toutes origines, unis par la seule cause de l'indépendance de l'Algérie. Au-delà des humiliations qu'il va taire avec pudeur, son témoignage attestait de l'esprit de solidarité qui unissait les détenus mais aussi leur détermination à vaincre le système colonial. Ils rêvaient de l'Algérie indépendante, dessinaient son futur, croisant leurs chants et leurs espérances. Momo aimait raconter les cours dispensés par les «lettrés» comme il aimait le dire. Cours de français, d'arabe, de mathématiques, de sciences... C'est au «camp de Lodi» qu'il perfectionne la confection de sa fameuse «paella», sorte de lien réconfortant avec sa belle-famille espagnole et ses aïeux italiens venus il y a plus d'un siècle ouvrir un comptoir commercial à Alger. Depuis, plusieurs générations de Baglietto se sont enracinées dans la terre d'Algérie qu'ils ont choisie comme demeure. Après l'indépendance, c'est tout naturellement que Momo continue de vivre avec sa famille dans son quartier du Ruisseau. Et c'est tout naturellement qu'il poursuit son militantisme au sein du Pags (Parti de l'avant garde socialiste) puis du MDS. Ne rien lâcher... Toujours dans l'action. C'est cela la substance même de la vie de Momo. A la retraite, il s'investit avec bonheur dans l'apiculture qu'il avait entamée comme hobby durant sa vie professionnelle. Il va former des jeunes, en particulier le fils d'une famille voisine auquel il va transmettre le goût du travail bien fait. Combien d'entre nous se souviendront encore des pots de miel qu'il livrait aux uns et aux autres en précisant de quelle terre et fleurs de la Mitidja les abeilles se sont nourries. Il était incollable sur le sujet. Et inquiet des dérives de l'agriculture polluante. Il n'a eu de cesse d'alerter sur la dégradation de l'environnement des abeilles, des maladies qui les touchaient tout comme les atteintes des fonds marins avec l'extrême pollution qui aliénait peu à peu sa faune et sa flore. Il connaissait cette côte méditerranéenne où il allait, dès l'enfance, plonger et pêcher. Il en parlait non comme un érudit mais comme un amoureux de sa terre et de sa mer. L'ombre de la mort et de l'horreur des années 1990 n'entamèrent en rien son engagement. Ni peur, ni terreur n'ont eu raison de sa farouche détermination à rester debout et participer pleinement à la Résistance contre l'Intégrisme. Ne jamais baisser les bras ! Meurtri par tant d'horreur, il ne pouvait «se terrer» chez lui ou s'éloigner de l'Algérie. C'est tout naturellement qu'il se met à la disposition des militantes du RAFD (Rassemblement algérien des femmes démocrates) dès sa création en 1993. Pendant plus d'une décennie, il ne compta ni son temps, ni ses modestes moyens, ni son énergie accompagnant certaines d'entre nous pour aller à la rencontre de ces femmes et de ces hommes anonymes qui bravaient l'horreur en résistant à la violence de l'intégrisme sans autre moyen que leur courage. Elles, faisaient la fierté de l'Algérie insoumise. Elles alimentaient notre détermination à rester debout. Il était fier de se décrire comme «le seul homme militant de plein droit au sein du RAFD». Il fut un véritable militant de la lutte anti-intégriste. Inlassablement, nous avons sillonné l'Algérois, la Mitidja, la Kabylie, l'Ouest et l'Est du pays. Aller à la rencontre des victimes du terrorisme et de leurs familles, aller témoigner, donner et se nourrir du courage des femmes résistantes. Haouch Gros fut un lieu d'actions multiples de solidarité et de résistance. Ce fut le carrefour de tous nos voyages. Le visage de Momo, ancien résistant, était connu de toutes et tous. Le lien tissé avec la famille Sellami, l'une des familles de patriotes les plus déterminées de cette région qui paya lourdement son engagement était fort. Avec Rabéa Sellami, veuve du fondateur des Patriotes de la Mitidja Mohamed Sellami, de nombreux projets virent le jour en faveur des enfants et des femmes. Momo sera une cheville ouvrière par sa présence et son engagement. Durant des années, dans des conditions extrêmes, nous allâmes en sa compagnie à Mostaganem à la rencontre des enseignantes courageuses qui affrontaient la mort sur le chemin des écoles, à Jijel pour rencontrer les villageoises restées seules faisant rempart aux groupes armés, à Annaba, Oran, Béjaïa et ailleurs pour témoigner. Au bord de sa voiture blanche, nous allâmes à la rencontre des populations de Raïs et Bentalha quelques heures seulement après les massacres des populations par les groupes armés islamistes. Avec Lila B. et Momo, nous serons, des semaines durant, les témoins de l'horreur. Agissant pour mobiliser et organiser la solidarité avec les rescapés. Les militaires et gendarmes hostiles à notre présence au départ finirent par se rendre à l'évidence. Je me souviendrai toujours des yeux d'un jeune soldat et son émotion lors d'un contrôle militaire à un barrage. Momo lui remet son permis de conduire algérien au nom de Maurice Baglietto. Le jeune soldat étonné lui demande pourquoi un nom français ? Momo lui montre alors sa carte d'ancien moudjahid et lui dit avec force : je suis algérien comme toi ! Le jeune lui rend les papiers avec un salut militaire réglementaire et d'une voix très émue confiera que c'est la première fois qu'il rencontre un «Européen» militant de l'indépendance. Et de conclure : «Ils nous ont volé une partie de notre histoire. Ça, ce n'est pas enseigné à l'école.» Nous avons très souvent évoqué ensemble ce moment avec émotion. Jusqu'à son dernier moment de lucidité, il se tiendra informé de l'état du monde. D'un appétit aiguisé pour les événements politiques il sera un lecteur assidu de la presse algérienne et un commentateur avisé. Momo vivait son temps sans amertume. Il regardait droit devant avec cette capacité magnifique de raconter et transmettre l'histoire. Par l'anecdote mais aussi par la démonstration. Il avait cette capacité de s'intéresser aux jeunes générations et de se faire aimer par eux pour une raison principale : Momo était enthousiaste et ne cherchait pas à donner des leçons. Il n'y a pas plus bel ouvrage que celui de transmettre à des enfants et des jeunes un ancrage, des repères et des valeurs. Momo va continuer de vivre à travers ce qu'il a légué à d'autres. Avec cet esprit généreux et tourné vers les autres dont ses enfants sont les dignes héritiers. Qu'il repose en paix ..