Les 21, 22 et 23 avril, la commune de Boudjima, sur les hauteurs de Tigzirt, a accueilli la 3e édition du Salon du livre dont la figure centrale cette année a été le dramaturge et poète kabyle Abdallah Mohia, dit Muhand u Yehia. Depuis sa création en 2013, le Salon du livre de Boudjima séduit par sa singularité et la richesse de son programme. Organisé par l'APC et les associations locales, cet événement se veut un espace de découvertes et de rencontres entre public et écrivains, mais surtout une occasion de sensibiliser les plus jeunes à la lecture tout en donnant l'exemple d'une certaine idée de la décentralisation culturelle. Cette année, ce village, situé dans la mythique confédération des Ath Ouaguenoun, rend hommage à l'un des fils prodiges de la Kabylie, Muhand u Yehya qui nous a quittés en 2004, et qui figure parmi les «phénomènes» les plus fascinants de l'acte créatif en Algérie. Sa façon de militer pour la question berbère reste à ce jour un exemple de rigueur et d'efficacité car aux slogans pompeux et aux querelles politiques il a préféré le travail acharné pour ouvrir les esprits à l'universel. A son actif, plus d'une centaine d'adaptation des chefs-d'œuvre de la littérature et du théâtre occidental, à l'instar des pièces de Molière, Brecht, Beckett, Pirandello, Alfred Jarry ; et des poèmes de Prévert, Brel, Ferré, Victor Jara, Boris Vian, etc. Il est aussi connu à travers les textes qu'il a donnés à chanter aux plus illustres artistes kabyles : Ferhat Imazighen Imula, Ali Ideflawen, Idir, Brahim Izri... A partir des années 1980 jusqu'au début des années 2000, il a mené un travail de fourmi avec son atelier de traduction en kabyle situé rue Ménilmontant, à Paris, où il adaptait les œuvres les plus complexes avant de les enregistrer sur cassettes qui faisaient ensuite le tour de la communauté émigrée mais aussi des cercles militants et populaires kabyles. A la fin de sa vie, il s'était consacré à l'adaptation des œuvres de Platon et de quelques autres philosophes de l'antiquité ; ces derniers travaux sont restés malheureusement inachevés puisque la maladie le fauche à l'âge de cinquante ans en ce triste 7 décembre 2004. Depuis, sa renommée n'a fait que croître en Kabylie et ses enregistrements, aujourd'hui convertis en MP3, sont devenus pour la jeune génération le symbole d'une culture et d'une langue vivantes et résolument modernes. C'est donc à cette vie vouée à la création que le Salon du livre de Boudjima rend hommage. Ainsi, la bibliothèque publique de la commune porte désormais le nom de Muhand u Yehya et l'ouverture de l'événement jeudi dernier s'est faite avec la chorale du lycée de Djebla qui a déclamé ses textes, suivie d'une table ronde autour de son œuvre animée par les linguistes et universitaires Saïd Chemakh et Amar Laoufi. Ses poésies seront déclamées tout au long de ces trois jours par les élèves d'établissements scolaires de la région mais aussi par la troupe Debza qui a adapté quelques-uns de ses textes en arabe algérien. Par ailleurs, une quinzaine d'éditeurs étaient présents à cette 3e édition ainsi que de nombreux écrivains des trois langues, à l'instar de Rachid Oulebsir qui a animé une conférence autour des origines du théâtre kabyle et des rituels cosmogoniques remontant à l'antiquité.