Le gouvernement britannique vient d'organiser un «Sommet» réservé à la lutte contre la corruption. Le gouvernement algérien n'a pas fait le déplacement à Londres, la politique de la chaise vide ayant sa préférence. Et pour cause, l'objet de cette rencontre n'est pas inscrit à son agenda. Par contre, l'APS - l'agence gouvernementale «Algérie presse service» -, y était, représentée par son correspondant sur place qui a même réussi à faire parler le ministre sénégalais de la Justice qui avait été mandé par le gouvernement de son pays. Ce dernier a déclaré à notre confrère de l'APS : «Les pays de l'Occident sont responsables de la restitution des fonds volés dans les pays en développement, qu'ils hébergent dans leurs banques, et que la responsabilité de restituer les fonds volés à leur pays d'origine incombait à présent aux pays riches de l'Occident qui doivent mener une ‘'action efficace'' dans ce sens.» Et notre ministre d'ajouter : «L'organisation du sommet est en soi-même une bonne initiative, mais qui demeure insuffisante si les hébergeurs des fonds volés du Nigeria et d'autres pays ne l'appuient pas avec des mesures permettant de prouver leur bonne intention dans ce sens.» Toujours selon l'APS, pour le ministre sénégalais de la Justice, «il s'agit de rendre les fonds volés, mais aussi de dévoiler quelles sont les entreprises constituées avec cet argent usurpé, et qui sont les vrais détenteurs. Il estime qu'il est du devoir des pays développés de rendre publics les noms des propriétaires des entreprises offshore. Il a expliqué que dans un acte de corruption, il n'y a pas que les corrompus, il y a aussi les corrupteurs, et les deux sont tout aussi responsables dans cet acte ‘‘répréhensible''». Lors du sommet de jeudi, le président nigérian, Muhammadou Buhari, avait insisté sur le devoir de la communauté internationale de lutter contre les paradis fiscaux, mais aussi de faire en sorte que «les fonds volés, dissimulés dans des banques à l'étranger, soient restitués à leur pays d'origine». Il a ajouté que le vol des rentes du pétrole dans son pays était un sérieux problème de sécurité nationale, qui engendre à l'Etat la perte de 7 milliards USD chaque année. Création d'un centre international d'enquêtes anticorruption Parmi les participants au sommet, 17 pays avaient signé la déclaration mondiale contre la corruption. Ils se sont engagés à renforcer les capacités de lutte contre la corruption, à la dénoncer partout où elle se trouve, de poursuivre et de punir ceux qui la commettent, facilitent ou sont complices. Pour ce faire, ils se sont engagés à mettre fin à «l'utilisation abusive des sociétés anonymes cachant les produits de la corruption» en chassant les avocats, les agents immobiliers et les comptables qui facilitent ou sont complices de la corruption, en augmentant la transparence des budgets publics, et en rendant plus facile le signalement de la corruption sans crainte de représailles. Ils se sont également engagés à traquer les avoirs volés, à les retourner en toute sécurité à leurs propriétaires légitimes et à bannir l'impunité. Le Premier ministre britannique avait annoncé des mesures pour lutter contre la corruption au Royaume-Uni, et annoncé que plusieurs autres pays allaient les adopter. Il s'agit, entre autres, d'imposer aux entreprises étrangères désirant acquérir un bien immobilier de révéler le vrai nom de leur propriétaire, de la création d'un registre pour les entreprises étrangères, afin de stopper le transit et le blanchiment de l'argent sale des corrompus. Un centre international d'enquête anticorruption basé à Londres sera également créé. Le double langage du Premier ministre britannique Le communiqué final du sommet a cité l'engagement des pays participants à échanger les informations, et annoncé l'organisation d'un forum mondial annuel sur la question, le premier aura lieu en 2017 à New York et sera consacré au recouvrement des fonds issus de la corruption au Nigeria, Ukraine, Sri Lanka et en Tunisie. La rencontre qui sera co-organisée avec le Royaume-Uni et prise en charge par l'ONU et la Banque mondiale permettra de renforcer la coopération entre les pays qui ont eu des avoirs volés et les pays où ces actifs sont cachés. En organisant ce grand sommet international anticorruption, dans la foulée du scandale des «Panama papers», le Royaume-Uni veut s'ériger en leader mondial de la lutte contre l'évasion fiscale, il risquait d'y avoir d'importants absents autour de la table : les paradis fiscaux du giron britannique eux-mêmes. Les quatorze territoires d'outre-mer (îles Caïmans, îles Vierges britanniques, Bermudes...) et les trois dépendances de la Couronne d'Angleterre (Jersey, Guernesey et l'île de Man) traînent les pieds et n'ont aucune envie de venir se faire taper sur les doigts en public. L'affaire résume bien l'ambivalence de Londres. Depuis quelques années, le Royaume-Uni a fait de la lutte contre l'évasion fiscale une priorité affichée. Au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il joue désormais un rôle actif pour la mise en place de normes fiscales communes pour les grandes multinationales. En interne, il a aussi multiplié les durcissements législatifs, pour combler les failles béantes utilisées par les entreprises. Depuis 2010, Londres estime avoir ainsi levé 2 milliards de livres (2,5 milliards d'euros) en recettes fiscales supplémentaires. A l'ombre des paradis fiscaux de la couronne d'Angleterre Mais, parallèlement, les paradis fiscaux qui sont dans l'orbite britannique continuent à bien se porter. Selon Nicholas Shaxson, auteur du livre Treasure Islands (éditions The Bodley Head, 2011), ils représentent la moitié des paradis fiscaux au monde et le tiers des actifs bancaires internationaux y sont enregistrés. Leur poids essentiel dans l'évasion fiscale internationale a été illustré par les «Panama papers», une fuite de millions de documents venant du cabinet juridique panaméen Mossack Fonseca : la moitié des entreprises exposées dans ce scandale étaient enregistrées aux îles Vierges britanniques. «Pour que le Royaume-Uni soit crédible [dans sa lutte contre l'évasion fiscale], il faut d'abord qu'il balaie devant sa porte», attaque Maggie Murphy, de l'association Transparency International. Or, pour l'instant, les promesses tardent à se concrétiser. «Après les SwissLeaks et les LuxLeaks [fuites révélant l'évasion fiscale pratiquée par le groupe bancaire britannique HSBC en Suisse et par le Luxembourg], on a entendu beaucoup de bruit mais on n'a pas vu beaucoup d'actions, estime Nick Bryer, de l'ONG Oxfam. Le danger est que la même chose se reproduise.» La réunion de Londres était organisée dans un contexte politique très délicat pour David Cameron, un mois après les révélations des «Panama papers». Parmi la fuite de ces millions de documents, le nom du père du Premier ministre britannique était apparu. M. Cameron lui-même avait dû avouer qu'il avait bénéficié d'argent enregistré aux Bahamas. S'il a payé tous les impôts qui étaient dus, il a été politiquement très secoué par l'affaire. Alors, ce «Sommet» de Londres, juste pour se refaire une santé politique ? Affaire à suivre...